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Billet de blog 18 juillet 2025

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Programme Bayrou : peau d’âne et peau de chagrin

Le programme de François Bayrou présenté le 15 juillet cherchant à faire 43,8 milliards d’euros d’économie vise essentiellement à mettre à contribution les moins riches : normal, dans son esprit, puisqu’ils sont plus nombreux ! Peut-on espérer une mobilisation, comme pour les retraites, contre ces mesures cyniques qui ne luttent en rien contre les inégalités.

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François Bayrou, sans bafouiller (merci le prompteur), a donc présenté son plan pour contenir la dette publique : une économie sur la hausse des dépenses publiques de 43,8 Md€. Sans prétendre que l’on peut régler le déficit en taxant seulement les plus riches (le pays n’est pas constitué d’ultra-riches d’un côté et de pauvres de l’autre), il aurait pu tenir compte de la taxe Zucman de 2 % sur les patrimoines des ultra-riches (qui détiennent plus de 100 millions d’euros), qui a été votée en février à l’Assemblée Nationale (mais loin d'être adoptée) et qui pourrait rapporter 20 Md€. Taxe bien modeste quand l’on mesure (si on fait le calcul ce qui n’a pas été expliqué dans les médias) que les 1800 ultra-riches possèdent en réalité 1000 milliards ! On aurait pu envisager 4 %, soit 40 Md€ : avec ça, on réduit le déficit (et donc la charge de la dette [intérêts], qui est effectivement élevée, mais qui, ceci dit en passant, est à 2 % du Pib alors qu’elle était de plus de 6 % en 1996). On peut même envisager d’annuler la contre-réforme sur les retraites et l’obligation de travailler jusqu’à 64 ans. Il ne faut pas oublier qu’Emmanuel Macron a creusé la dette de 1100 milliards alors qu’il se prétendait et qu’on le présentait comme un crack de l’économie. Il s’est plutôt montré le maître du krach économique : en baissant les impôts de 60 Md€, en ne maîtrisant pas la dépense publique lors de la crise sanitaire (je persiste à souhaiter une enquête d’envergure sur les sommes versées aux commerces et entreprises, certains des destinataires ayant été stupéfaits de la générosité de l’État). La suppression de la taxe d’habitation a fait perdre 20 Md€ au budget de l’État : était-elle réclamée ? Non. Je payais 1100 euros, mais je n’ai jamais défilé dans les rues pour sa suppression. Ce n’était de la part de Macron qu’une mesure électoraliste : le maintien de cette taxe aurait permis de compenser largement un éventuel déficit des retraites.

Illustration 1

Au bout du compte, la pression va s’exercer pour une part importante sur les plus démunis et les classes dites moyennes avec le gel des prestations sociales, 2026 année noire : perte de 100 € annuels sur le RSA, de 350 sur les pensions de retraite, alors même qu’au même moment le taux de pauvreté bondit à 15,4 %, sans le moindre commentaire de la part du chef de l’État et du gouvernement (soit pour 2023, 9,8 millions de personnes en dessous du seuil de pauvreté, vraisemblablement 10 à 12 millions selon la Fondation pour le Logement des Défavorisés). Par contre, le Sénat publie un rapport montrant que les entreprises bénéficient de 211 Md€ d’aides (subventions et exonérations, dont 75 Md€ de cotisations sociales patronales). Un autre rapport (du Haut-commissariat à la stratégie et au Plan) parle, lui, de 112 Md€, comme si le "machin" que présidait Bayrou avant d’être premier ministre avait voulu minimiser l'impact du rapport sénatorial et… inverser les chiffres ! Est-il étonnant que, quand il s’agit d’évaluer ce que le budget de l’État apporte à la gestion capitaliste de l’économie, le pouvoir en place, qui lui est asservi, soit incapable d’être plus précis alors qu’il fait les poches des chômeurs et que certains se délectent à insulter les citoyens devant faire appel à l’assistance pour survivre. Laurent Wauquiez remonte au créneau, sans vergogne, en appelant à « la lutte contre l’assistanat » et réclamant que l’allocation sociale unique envisagée par Bayrou soit plafonnée à 70 % du Smic (son mantra qui prouve son ignorance crasse, puisque le RSA est une allocation différentielle qui, pour une personne seule, est à 40 % du Smic, sachant qu’en ajoutant l’allocation logement et la protection universelle maladie [PUMA, ex-CMU] on n’atteint pas les 70 % du Smic). Sur le sujet, Wauquiez est plus haineux que Le Pen. Mais comme elle, il se gargarise de « fraude sociale » (sur les prestations sociales), veillant à ne jamais préciser qu’elle est peanuts par rapport à la fraude fiscale, le travail au noir, les tricheries de certaines professions libérales et les travaux non déclarés.

De son côté, l’égérie de l’ultralibéralisme, Agnès Verdier-Molinié, à la tête de son institut anti-fonction publique et anti-service public, l’Ifrap, publie depuis quelques années livres sur livres dans lesquels elle répète la même chose, à savoir qu’il y aurait une multitude d’aides sociales (qu’elle évalue parfois au nombre de 103, sans les lister toutes). Mais aucune de ses prises de parole sur les plateaux de télé ou de radio où elle a son rond de serviette n’évoque les aides aux entreprises, qui seraient, dixit le Sénat, au nombre de 2267 ! Hier soir, sur BFM, elle venait pleurnicher qu’il ne fallait surtout pas taxer les riches.

La première réaction de Bruno Retailleau aux propositions de Bayrou a été de se précipiter vers un micro pour dire qu’il souhaitait une réforme drastique de l’Aide Médicale d’État (AME) et une interdiction pour les OQTF d’en bénéficier. Wauquiez a évalué à 5 Md€ l’économie possible sur l’AME et sur le délai de résidence sur le sol français pour avoir droit à des aides sociales, se gardant bien de préciser que dans la plupart des cas ce délai existe déjà et, évidemment, n’évoquant jamais que le non-recours (ayants droit ne demandant pas une aide sociale) est établi justement à 5 Md€, à se demander s’il n’a pas inventé son chiffre pour qu’il corresponde à ce que l’État économise en réalité.

Pierre Gattaz, ancien patron des patrons, a cru devoir mettre son grain de sel en disant que « le pays est au bord du gouffre », ajoutant : « ça fait dix ans que je le dis », sans craindre le ridicule, sans se rendre compte qu’à force de crier au loup son pronostic est presque rassurant. Bayrou a brandi la menace d’un scénario à la grecque ce qui est indécent, car son clan n’est pas innocent du martyre que la Grèce dut endurer il y a une dizaine d’années.

Le montant total des 500 plus grandes fortunes (répertoriées chaque année par le magazine Challenges) était de 454 Md€ en 2016, juste avant le premier quinquennat du président Macron, il s’élevait à 1228 Md€ en 2024, soit 774 milliards en 7/8 ans, soit 170 % d’augmentation, soit 100 milliards l’an ! Que faire pour que cette spoliation, cette atteinte flagrante aux valeurs de la République soit véritablement intégrée par la population et provoque un sursaut salutaire ? 

Ce qui précède devrait suffire à démontrer la suffisance des possédants et de leurs serviteurs (Bayrou se moquant du peuple en comparant bêtement le budget de l’État à celui d’un ménage), mais aussi la patience incroyable des citoyens, qui, à part leur mobilisation sur les retraites, donnent le sentiment d’être anéantis par la façon dont les décideurs se moquent de l’intérêt général. Mais Bayrou, bien qu'emberlificoté dans l’affaire de Bétharram, ne craint pas de supprimer des postes d’enseignants, de réduire de 5 % les dépenses de santé, comme si dans ce domaine il ne fallait pas plutôt un plan d’envergure pour sauver l’hôpital public. On supprime aux salariés deux jours de congés jusqu’alors fériés (dont la commémoration de la victoire de 1945 sur le nazisme), ce qui sur une carrière correspond à près de 90 jours (soit encore une rallonge du temps de travail d’un trimestre).

Ce n’est même pas sûr que de telles mesures serviront l’économie dominante, un risque récessif existe. Un autre risque est souhaitable : que, si vraiment ces mesures sont mises en œuvre (ce sera en débat en octobre, mais certaines dites de simplification seront prises par ordonnance, sans débat), les citoyens manifestent haut et fort leur mécontentement, refusant d’être à chaque fois les dindons de la farce. Il ne s’agit pas de nier que des mesures de justice sont possibles et souhaitables, pas seulement en imposant davantage les ultra-riches mais en taxant aussi les classes moyennes supérieures (et pourquoi pas les "classes moyennes moyennes"), à condition que des preuves sonnantes et trébuchantes mettent en évidence que le gouvernement s’attaque fondamentalement aux inégalités. Il est évident que la droite et la droite extrême actuellement au pouvoir n’en a strictement pas l’intention. On voit combien ses propagandistes (Christophe Barbier, Bruno Jeudy, Jean-Marc Sylvestre, François Lenglet, Pascal Perri, et Compagnie), sur les chaines en continu, déversent leur doxa sans craindre le ridicule, en jurant leurs grands dieux qu'ils sont neutres, pour tenter de laisser croire aux pékins que leur économie est scientifique, hors de toute idéologie.   

 Billet n° 872

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook 

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