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Billet de blog 20 janvier 2025

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La liberté d’expression (selon l'extrême droite)

L’extrême droite se réjouit : Trump et Musk sont garants des libertés, ce qui défriserait la gauche. Retraites : Bayrou et le Medef trichent sur les chiffres. Baisse des naissances : dramatisation, dans laquelle s’engouffre le RN. Remous à "Marianne".

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Marion Maréchal-Le Pen sera présente à l’investiture de Donald Trump lundi à Washington, en tant que vice-présidente du CRE, parti rassemblant certaines extrêmes droites au Parlement européen. Sarah Knafo (adjointe et compagne d’Eric Zemmour à la tête de Reconquête) est également du voyage. Toutes deux louent la liberté d’expression dont Trump et Musk seraient les garants. 

A l’instar des chroniqueurs de CNews, qui boivent du petit lait à l’idée que les deux compères vont mener la vie dure à la gauche, aux mouvements sociétaux et aux immigrés, elles voient se lever un grand vent de « liberté » en Occident ! Sarah Knafo a écrit que « nos peuple veulent la liberté économique, la liberté d’expression, la liberté de rester qui ils sont », en réalité : la liberté d’exploiter sans entraves les salariés (l’État n’a pas son mot à dire) ; la liberté de propager sans cesse des fake-news afin de créer un chaos idéologique permettant de propager les idées les plus rétrogrades, portant atteinte aux droits humains, et de les mettre en œuvre ; et liberté d’expulser les étrangers (avant de tenir à l’écart ceux qui ne sont pas de bons Français, par exemple ayant double nationalité, comme des leaders du RN le promouvaient lors des dernières législatives).

Illustration 1
[montage YF]

Eugénie Bastié, journaliste BCBG ultra-conservatrice du Figaro, dans une tribune récente de son journal écrivait que les critiques en France à l’encontre de Trump et de Musk trahissaient « une panique du camp progressiste qui ne supporte pas la remise en cause d’un monopole médiatique ». Ainsi, une journaliste qui sévit dans un journal de la droite dure française appartenant à une famille milliardaire bénéficiant des commandes d'armemement de l’État et qui a son rond de serviette dans les médias d’extrême droite d’un autre milliardaire (CNews, Journal Du Dimanche et Europe 1) ose, sans vergogne, donner des leçons de démocratie et de liberté d’expression !

La société française n’a pas basculé à l’extrême droite, mais on est entré dans une période où le sens des mots est totalement inversé, des malins et margoulins s’ingénient, méthodiquement, à cultiver cette tactique du chaos. Le camp médiatique jouant à fond cette carte est déjà important, mais une partie non négligeable des médias mainstream est gangrénée par cette tactique qui ne nous promet pas des lendemains qui chantent, bien au contraire, s’il n’y a pas une résistance plus affirmée en face.

[19 janvier]

Reculer… pour mieux sauter !

Le PS demandait une "suspension" de l’application de la réforme des retraites pour ne pas voter la censure du gouvernement [plusieurs médias ont été assez malins de mettre en avant le fait que le PS prenait en compte la suppression des trois jours de carence en cas de maladie, ce qui réduisait les enjeux à peau de chagrin]. François Bayrou, qui avait quasiment concédé au PS une "pause", retarde sa décision, sans suspension ni pause, en demandant aux partenaires sociaux de discuter pendant trois mois pour trouver une solution : compte tenu de l’état d’esprit du Medef, c’est vraiment reculer pour mieux sauter. Bayrou pourrait donc tenir, comme Barnier, trois mois.

Illustration 2

Pour réduire le déficit de l’État, le patron du Medef a proposé tout bonnement que l’on supprime l’abattement de 10 % sur le revenu des retraités, considérant qu’il s’agit d’une prise en compte des frais professionnels que les retraités, par définition, n’ont pas. Or cet abattement existe depuis 40 ans, suite à la suppression de l’abattement de 20 % pour tous par intégration dans les taux d’imposition dans les différentes tranches. Ces 10 % étaient maintenus pour les retraités pour tenir compte de la perte de revenu d’un retraité par rapport à son salaire antérieur. Ce n’est pas un gain de 10 %, mais juste une imposition un peu moindre, ça n’a rien à voir avec les 10 % d’abattement pour frais professionnels dont bénéficient les salariés. La confusion est souvent faite, mais ce qui est compréhensible de la part du commun des mortels, est inacceptable de la part d’un représentant du patronat qui étale ainsi sans vergogne son cynisme.

Bayrou, dans son discours de politique générale hier [14/01], a dit que le budget des retraites est déficitaire de 55 milliards d’euros (les cotisations rapportent 325 Md€, les dépenses s’élèvent à 380 Md€, solde : 55). Or ce chiffre est faux (même s'il a été repris sans nuance par plein de médias) : il n’a jamais été invoqué par le COR. Tout une droite extrême et ses officines (comme l’Ifrap d’Agnès Verdier-Molinié) ne cessent de susurrer ce calcul et d'exiger que, l’État compensant le déficit des retraites publiques, cette somme devrait être ajoutée au déficit général : ainsi, aux yeux de l’opinion publique, cela conforterait l’idée qu’il faut travailler plus longtemps. Sauf qu’on ne voit pas pourquoi les salariés du privé devraient en faire les frais, d’une part. D’autre part, si l’État compense ce qu’il ne collecte pas c’est que les cotisations retraites du public sont effectivement moins élevées que dans le privé. Pourquoi ? Parce que les salaires sont bien plus bas. Que l’État paye correctement les fonctionnaires, alors il pourra augmenter les cotisations sociales du secteur public. Là où l’on voit que le débat public dégénère c’est quand un premier ministre reprend les arguments des ultra-libéraux.

Illustration 3

On entend ici ou là des personnalités du petit écran (de Cohn-Bendit à Natacha Polony) vouloir revenir à la retraite à point, dire qu'elles y étaient favorables : c'est chaque fois pour moi un indice selon lequel elles ne connaissent rien du sujet, et seraient bien incapables de dire trois mots sur cette réforme, que Macron lui-même a abandonnée, ayant compris que c'était une usine à gaz, sous prétexte d'une simplification. Une des preuves absolues de sa nullité : les enseignants (entre autres) allaient percevoir des pensions dérisoires, l'Etat prenait la mesure qu'il faudrait au préalable les augmenter (et certainement bien d’autres catégories de fonctionnaires) ! Même Bayrou avant d'être premier ministre ne jurait que par la retraite à point, ce qui en dit long sur sa compétence pour le poste !

Sur LCI hier soir [14/01], une émission Face aux Français, animée par Darius Rochebin (malin pour distiller la doxa), avait pour but de décortiquer le discours de Bayrou. Le député RN Julien Odoul y faisait son show habituel, au culot phénoménal, assénant sa propagande, ses chiffres approximatifs, comme celui sur  « la fraude sociale » qui serait entre 15 et 50 milliards (on croit entendre un participant murmurer que c’est du « travail au noir », ce qui est, malheureusement, à peine audible), alors que la fraude sociale (des assurés et allocataires) c’est autour d’un ou deux milliards d’euros, rien à voir avec les coûts exorbitants qu’il invoque. De même, il assène des chiffres farfelus que personne n’ose contester sur le coût de l’immigration (Sarah Legrain LFI et Jérôme Guedj PS étaient présents), il s’oppose, avec son parti, à tout impôt nouveau même pour taxer les milliardaires.

Illustration 4

Odoul disait hier soir, comme il le dit partout, que « 40 % du minimum retraite va aux étrangers n’ayant jamais cotisé » : non seulement il joue sur le terme "étranger" (qui veut dire né à l’étranger, mais qui peut très bien être français ou être devenu français), mais aussi il lit mal les documents (il a pompé ça encore sur l’Ifrap). Un document de la CNAV (assurance vieillesse) évoquant ces 40 % ne dit nullement qu’ils n’ont jamais cotisé. Des personnes nées à l’étranger, ayant souvent cotisé mais pas assez ou ayant des salaires trop faibles pour avoir une pension supérieure au minimum vieillesse touchent ce dernier ou un peu de ce dernier (allocation différentielle) pour un total de 835 millions d’euros (sur 380 milliards consacrés aux retraites), et malgré ça, malgré l'inanité de ses propos, Monsieur Odoul fait ses effets de manche sur les plateaux de télé sans qu’un politique ou un journaliste ne le démente. A pleurer de rage.

Bon, j’arrête là, ça me fatigue. En plus je fais long. J’en ai plein dans mes carnets de notes, j’y reviendrai peut-être plus tard. On aimerait que ceux qui causent sur les plateaux ne se contentent pas de venir avec un propos bien préparé sur ce qu’il faudrait dire mais s’informent aussi sur les délires de leurs interlocuteurs pour les contrer du tac au tac, au pied levé. Odoul a été mouché par une invitée, Régine Komokoli, aide-soignante, conseillère départementale d'Ille-et-Vilaine, venue de République centrafricaine, mère seule de trois enfants, qui lui a reproché ses propos toujours méprisants envers les immigrés et les petites gens.

[15 janvier]

Naissances : dans les choux (gras) des réactionnaires

L’Insee a publié le 14 janvier un bilan démographique qui a conduit à des articles angoissés dans les médias quant à la chute des naissances. Il est vrai que depuis 2011 le nombre de naissances en France baisse de façon continue : en 2024, 170 000 naissances en moins par rapport à 2010. On ne peut nier que la différence entre les naissances et les décès s’est réduite comme peau de chagrin (17000, c’est peanuts). L’âge moyen des mères à l’accouchement augmente inexorablement (31,1 ans).

Cela n’inquiète pas seulement Emmanuel Macron qui avait parlé il y a un an de la nécessité d’un « réarmement démographique » et d’un « grand plan contre l'infertilité ». On sait aussi que l’extrême droite (RN et Reconquête) fait des naissances ses choux gras, poussant les femmes à ne pas travailler, à rester à la maison, et surtout à faire des enfants afin qu’il n’y ait pas besoin de l’immigration pour faire face aux besoins du pays en main d’œuvre. On sait aussi que ces chiffres préoccupants servent au discours sur le recul de l’âge de départ en retraite.

Si on est à 1,7 cotisant pour un retraité, et que ce sera 1,4 en 2070, il n’empêche que la France a le taux de fertilité le plus élevé dans le monde développé (et 105ème sur 236 pays) ! En effet : 1,62 enfant par femme contre 1,4 en moyenne européenne (1,2 en Italie et Espagne, 1,5 en Allemagne, 1,44 en GB).

Dans On n’arrête pas l’éco samedi matin (émission d’Alexandra Bensaïd sur France Inter), Eric Heyer, directeur à l’OFCE, disait que le nombre de naissance ce n’est pas le plus important : ce qui compte c’est le taux de descendance finale (à 45 ans combien de naissances par femme). Selon les dernières statistiques, « on ne baisse pas, on est même en légère augmentation », on est à 2,07 enfants par femme (alors qu’on était à 2 il y a 5 ans), ce qui signifie renouvellement des générations. Le décalage est dû à l’âge moyen des mères à l’accouchement. Si l’"indicateur conjoncturel" a baissé à 1,62 c’est dû au Covid, on s’est moins rencontré (confinement), moins de mariages, de Pacs, donc moins d’enfants. Il faut attendre 3 ou 4 ans pour que ça remonte.

Quel impact sur les retraites ? Selon Eric Heyer, le coût des retraites va baisser en France (c’est ce que dit le Conseil d’Orientation des Retraites [COR] et la Commission Européenne), car le problème ne réside pas dans les dépenses mais dans les recettes et donc le financement. Il faut, et je suis totalement d’accord avec lui, un nouveau risque, le 6ème (aux côtés de la maladie, la maternité, l'invalidité et décès, l'accident du travail et la maladie professionnelle), pour le Grand Âge (la dépendance) et mettre le paquet, pas par des cotisations, pas par des jours de solidarité, mais par l’impôt.

Par contre, il est vrai que les dépenses de santé vont, elles, augmenter, c’est la rançon des prouesses des techniques médicales. Et ce progrès doit être assumé par l’impôt également. Si l’espérance de vie progresse régulièrement, il n’en demeure pas moins que l’espérance de vie sans incapacité se situe actuellement à 64,2 ans pour les femmes et 63,6 ans pour les hommes. Donc la droite a condamné les citoyens à ne plus bénéficier d’une retraite en bonne santé, en les contraignant à travailler jusqu'à 64 ans, refusant la solution de justice sociale que défendaient les syndicats, la gauche et 90 % des Français.

Eric Heyer (en accord avec Patrick Artus, son co-débatteur "libéral") admettait que l’immigration est nécessaire : malgré le discours en cours, tous les pays européens y feront appel, et la France est mieux placée que les autres. Il était rappelé que les immigrés, en moyenne, créent deux fois plus d’entreprises que "les Français de souche", et sont plus qualifiés qu’eux. Etonnant non : voilà ce qui se passe quand on se fonde sur le réel, et non sur les fantasmes.

Illustration 5
Photo YF à Berlin (octobre 2019) : une équipe de télévision a trouvé une femme avec un enfant et se précipite pour l'interviewer !

[19 janvier]

Remous à Marianne

Voilà, c’est fait : Natacha Polony n’est plus directrice de la rédaction de Marianne. Elle est remplacée par Ève Szeftel, qui arrive de Libération, et le directeur du magazine sera Frédéric Taddéi à partir du 1er mars prochain. Taddéi qui s’est fait connaître jadis dans une émission fort regardée, Ce soir ou jamais, qui avait le don d’organiser des débats houleux, quitte à inviter des polémistes d’extrême droite, antisémites ou complotistes. Quand il se retrouvera sans poste, il ira tout simplement à RT (Russia Today) France, la télé de Poutine qui sera interdite en France après l’invasion russe en Ukraine. Taddéi aura été assez malin de démissionner peu avant.

Ève Szeftel est proche de Denis Olivennes, grand patron des médias qui appartiennent au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky et son groupe CMI (dont Marianne, France Dimanche, Télé 7 jours, et Franc-tireur, dirigé par Caroline Fourest qui est sur des positions proches de Polony mais virée de Marianne en 2022 pour avoir fait pression sur la rédaction en s’invoquant du fait qu’elle est au conseil de surveillance de CMI).

Ève Szeftel publie aujourd’hui [16/01] un édito qui s’avère être un programme, avec orientations de la ligne éditoriale, conforme à ce qu’elle était déjà (ni extrême droite ni extrême gauche !), mais identitaire (c’est-à-dire laïcité brandie non pour défendre l’entièreté de la République mais pour tenir à distance les étrangers surtout s’ils sont musulmans). Ça ressemble assez à la ligne de Polony, sauf que celle-ci a été écartée par le propriétaire, parce qu’elle était trop "souverainiste" (anti-Europe) : là, on nous dit laconiquement : « attachés à la construction européenne, nous resterons vigilants quant aux orientations prises par l’UE ». Mais chez ces gens-là, on se sépare à pas feutrés : Natacha Polony continuera à publier une chronique, et peut-être à squatter les plateaux de télévision, sans que l’on sache exactement pourquoi (France 5, BFM). Quand Kretinsky envisageait de se retirer, Polony, réactionnaire, que tant de militants de gauche croient plutôt de gauche, était prête à faire appel à un milliardaire d’extrême droite, Pierre-Edouard Stérin, ce qui n’a rien d’étonnant. Et ce qui a été contesté par la rédaction. 

J’ai conservé assez de traces de ce qui a été publié dans Marianne ces dernières années, pour pouvoir en dire davantage : peut-être dans un futur article de blog. Les Unes de Marianne agitaient sans cesse la question de la laïcité, de l’immigration et faisait le buzz sur les dirigeants politiques, moins pour dénoncer leurs orientations politiques que pour renvoyer tout le monde dos à dos selon une ligne poujadiste, populiste (les "voyous", les "tocards", les "cocus", les "indécents"). Qu’en sera-t-il désormais ? Wait and see

Illustration 6

[16 janvier]

. Ces chroniques sont parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets. 

Billet n° 840

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook 

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