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Billet de blog 20 mars 2025

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Gros dérapage à "C ce soir"

L’émission "C ce soir" sur France 5, hier, a essentiellement donné la parole à des débatteurs qui n’avaient rien à faire des Palestiniens massacrés par des bombardements rompant le cessez-le-feu. Seul l’historien Vincent Lemire a sauvé l’honneur en insistant sur le martyre de Gaza.

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C ce soir est une émission sur France 5 qui dans la lancée de C Politique se proposait d’aborder l’actualité avec un regard plus humain, plus social, plus sensible aux injustices. Disons plutôt à gauche. Très vite, on a compris, quand les bébés identitaires du Figaro (Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio) ont été invités, que des consignes étaient données pour que C ce soir ne soit pas accusé d’être d’extrême gauche tellement cette accusation est prononcée rapidement par les temps qui courent. Ce qui fait que sur d’autres chaînes, la palette politique des journalistes va du centre gauche (dans le meilleur des cas) à l’extrême droite (attention, des journalistes d’extrême droite bien malins font plein de contorsions pour ne pas être accusés de l’être, quitte à se lâcher parfois comme Guillaume Roquette, sur LCI, avouant sa proximité avec Eric Zemmour ou, très récemment, avec JD Vance).

Illustration 1

Donc C ce soir s’est mis à diversifier ses invités. Pas grave quand le plateau est équilibré. Hier soir (à partir de 22h40), manifestement les programmateurs ont dérapé. Le sujet était : "Israël-Gaza : la guerre permanente ?". Au lieu de composer un plateau avec des observateurs aussi objectifs que possible, ou ayant des options contrastées, les responsables de l’émission (on ose espérer que ce n’est pas Karim Rissouli) ont mis cinq soutiens indéfectibles à Israël et un historien éprouvant une sensibilité à la souffrance des Palestiniens. Vincent Lemire a entamé le débat en évoquant les bombardements de la nuit de lundi à mardi, sur Gaza, vers 2 heures du matin où en dix minutes un millier de personnes ont été tuées (chiffre qu'avait indiqué le sujet vidéo introduisant l'émission). Le ministère de la santé du Hamas avait en effet annoncé, lors de son dernier communiqué, 970 morts et ne l’a rectifié que vers 17h30, en s’excusant d’une erreur technique et en donnant le chiffre de 436, chiffre tout de même effroyable (l’émission avait été enregistrée à 17h, ce qui, pour une fois, a été précisé par un bandeau défilant). Lemire disait que c’était criminel : 2/3 de femmes et d’enfants réfugiés sous des tentes, la nuit du Ramadan, laminés avec le feu-vert des États-Unis. Un ministre israélien a lâché : « soit vous libérez les otages, soit ce sera la destruction absolue ». « Ça s’appelle un génocide », commente l’historien qui précise que l’intention de destruction totale d’une population est déjà une démarche génocidaire. Il conclut cette introduction par le fait que ce qui vient de se passer « est un tournant absolument majeur ».

Illustration 2

Joan Sfar ("illustrateur" selon le site de l’émission), arrivé avec un grand sourire, tellement heureux qu’on annonce d’emblée ses publications, précise que les manifestations à Jérusalem ne sont pas là pour contester le bombardement de Gaza mais pour désavouer Netanyahu qui limoge le chef des services secrets. Et aussi à cause des "blessures des soldats" (car les militaires de Tsahal sont durement atteints par cette guerre). Lemire lui oppose que pour le moment ce qui s’est passé la veille ce sont des morts en grand nombre à Gaza et non pas dans l’armée. Tollé de tous les invités, Sfar ironise : « fait-on un concours sur le nombre de morts ? ». Lemire est bien seul : en face, il a David Khalfa ("spécialiste du Moyen-Orient"), de la fondation Jean-Jaurès (aujourd’hui assez proche des macronistes), qui écrit dans Le Figaro et Atlantico, bien à droite, Marc Lefèvre, "membre du parti israélien Meretz" (il dit être membre du Mouvement de la Paix), Ilana Ferhadian,"animatrice, rédactrice en chef de Radio J" et enfin Valérie Zenatti, "écrivaine, traductrice", souvent invitée. La prod ne précise pas que Valérie Zenatti a fait son service militaire dans l’armée israélienne, mais il faut bien reconnaître qu’elle a tenté tant bien que mal de calmer les tensions quand les quatre autres sont tombés à bras raccourcis sur Vincent Lemire.

Valérie Zenatti rappelle le massacre récent des Alaouites en Syrie, craignant un risque de « capillarité des violences au Proche-Orient », sans rien dire d’Israël qui occupe une partie de la Syrie, à l’ouest, tentant d’expliquer « notre » violence par la violence des autres. Lemire s’offusque : l’explosion de violences en ce moment est à Gaza. Alors Zenatti concède que les bombes d’Israël… peuvent atteindre des otages. D’ailleurs c’est ce que disent les manifestants y compris l’ex-otage Yarden Bibas.

Quand l’échange s’est un peu calmé, plusieurs s’accordent pour dire que Netanyahu et le Hamas n’ont pas intérêt que la guerre s’arrête. Marc Lefèvre accuse le Hamas d’être LE responsable de la mort des civils palestiniens, car il pousse à la guerre, pour délégitimer Israël, comme Hitler qui « sacrifiait les derniers Allemands pour défendre le bunker » ! Il aurait préféré qu’on aille jusqu’à la libération de tous les otages, « après on est libre de faire ce qu’on veut », répète-t-il, sous-entendant : de bombarder ensuite à mort sans craindre de tuer des otages. Ilana Ferhadian accuse Lemire d’avoir osé dire que Netanyahu était « un criminel de guerre ». Elle accuse le Hamas d’avoir étranglé les deux enfants Bibas : c'est ce qu’affirment les autorités israéliennes, qui, ayant passablement menti et empêché tout accès à la presse sur la bande de Gaza y compris pendant le cessez-le-feu (preuve d'une atteinte délibérée à la liberté d'informer), mentent peut-être encore dans cette tragique histoire de ces enfants et de leur mère, qui ont pu être tués par les bombardements.

Khalfa conteste les chiffres des morts publiés en général par le Hamas, en nous ressortant l’affaire de l’hôpital al-Ahli Arabi [le 17 octobre 2023] où les morts auraient été causé par un tir du Jihad islamique [selon Tsahal], accusant l’historien de ne pas être un expert des affaires militaires. Il récuse le « bilan que vous ne cessez d’ânonner » alors que le Hamas n’est pas en capacité d’établir un comptage si rapidement et que ses annonces, provenant d'une organisation terroriste, ne peuvent en aucun cas être fiables (cette façon de minimiser les morts à Gaza, sur toute la période, est contredite par nombre d’experts, dont The Lancet, qui considèrent qu’il y a bien plus de morts que les 50 000 annoncés par le Hamas). Khalfa après avoir déclaré que Netanyahu et le Hamas n’avaient pas intérêt à la trêve, dément avoir dit ça quand Lemire le lui rappelle, et reproche à ce dernier « un ton professoral » et « strictement moral », alors que l’historien revendique qu’on ne relativise pas ce qui s’est passé la veille.

Illustration 3

Vincent Lemire évoque la personnalité de Marwan Barghouti, militant palestinien, qui pourrait jouer un rôle s’il n’était pas incarcéré par Israël depuis 2002, lors de la seconde Intifada : tollé de Khalfa et Lefèvre qui prétendent… que c’était la première Intifada. Vincent Lemire évoque son passage, il y a une semaine, à Jérusalem où il était invité par une école doctorale de l’Université hébraïque sur l’histoire des savoirs cartographiques (excepté une Allemande, tous les invités étrangers avaient boycotté cette rencontre). Il témoigne de l’inquiétude des universitaires israéliens. Haaretz a révélé que 300 000 personnes auraient quitté Israël à bas bruit (Lefèvre n’était pas au courant). 38 % des médecins en fin d’étude partent à l’étranger. Il a constaté qu’à Jérusalem-est une librairie palestinienne, The Educational Bookshop, a été attaquée par la police alors qu’elle n’a en rayon que des ouvrages autorisés, les libraires ont été incarcérés (pour 2 jours et 2 nuits).

Ferhadian justifie les pilonnages d’Israël qui veut éviter un second 7-octobre, car sous cessez-le-feu, le Hamas se reconstitue et se réarme. Elle note la mansuétude d’Israël qui pour quelques otages rendus libère des centaines de terroristes palestiniens (alors même que l’on sait que de nombreux prisonniers palestiniens sont incarcérés sans que les autorités israéliennes ne soient capables d’en indiquer les charges).

Illustration 4
Les Palestiniens pleurent la mort des personnes tuées lors d'une frappe aérienne israélienne devant l'hôpital Nasser à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 18 mars 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Au fil du débat, il y a consensus sur le fait que Netanyahu ne serait pas un véritable ennemi du Hamas et que la guerre est la condition de sa survie. Sfar glisse qu’il y a en Israël un début de désobéissance civile, mais modère aussitôt ses propos (ce ne serait que très isolé). Par ailleurs, il défend une thèse qui se veut guillerette : un Israélien est tout à la fois, pro, anti, « capable de dire tout et son contraire » (on est bien avancé avec ça pour comprendre la situation). Vincent Lemire ne lâche pas prise : d’une part, il précise que Yoav Galant, l’ancien ministre de la Défense démissionnaire, a approuvé le massacre de mardi, d’autre part il indique que 77 % de toute la population israélienne soutient le "plan Trump" pour Gaza (si l’on exclut les Arabes israéliens, on doit être à 90 %). C’est dramatique.

Karim Rissouli a eu du mal à calmer les échanges, Camille Diao aussi : ils ont été mis dans un sacré pétrin, mesurant certainement l’incohérence de ce plateau. Rien ne permet de savoir s’il y a eu une intention délibérée ou si c’est la difficulté à constituer un panel, le plus souvent à la dernière minute, avec des invités contactés qui ne sont pas disponibles. Je n’exclus pas la première thèse, car souvent le plateau sur ce genre de sujet dans cette émission (une des meilleures du PAF) est déséquilibré, rarement des Palestiniens. J’ai compté parfois 4 invités d’origine juive (connue) mais il ne s’agissait pas toujours de déséquilibre quand certains font preuve d’humanisme et expriment clairement leur soutien à la population civile palestinienne martyrisée (comme Alexandra Schwartzbrod de Libération ou Sylvain Cypel, ancien du Monde et du Courrier international). Hier une partie de l’émission a finalement consisté à parler d’Israël avec une indifférence pour Gaza, loin du sujet annoncé, sauf lorsque Vincent Lemire a mis le holà.

Marc Lefèvre, peut-être soudain lucide, alors que l’émission est terminée, rappelle que la campagne terrestre de Tsahal a commencé dans l’après-midi : « où serons-nous dans une semaine ? » Karim Rissouli tente un : « eh bien on en parlera ici » !

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Sur le site Facebook de l’émission, très peu de like mais une centaine de commentaires presque tous critiques sur la façon dont le plateau a été constitué et la façon dont ont été menés les débats.

Illustration 5
Des Palestiniens sur les lieux d'une frappe aérienne israélienne à Khan Younis, le 18 mars 2025. (Abed Rahim Khatib/Flash90)

Photos publiées sur le site d'information israélo-palestinien #972 magazine qui, après avoir donné des informations sur cette tragédie (ici), a publié le communiqué suivant :

Notre équipe a été bouleversée par les terribles événements de cette nouvelle guerre. Le monde est sous le choc de l'offensive sans précédent d'Israël contre Gaza, qui a infligé des ravages et des morts massifs aux Palestiniens assiégés, ainsi que de l'attaque et des enlèvements atroces du Hamas en Israël le 7 octobre. Nous sommes de tout cœur avec toutes les personnes et communautés confrontées à cette violence.

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> Dès le 18 mars, dans la journée, j'ai publié sur les réseaux sociaux (Facebook) cette chronique :

GAZA : L'HORREUR AVEC LE FEU-VERT DE TRUMP

Les crimes d'Israël se poursuivent : 436 morts en quelques bombardements à Gaza ce 18 mars. Certains ici vont continuer à nous dire que c'est juste des mesures de rétorsion contre le Hamas, alors que la quasi totalité des victimes de ce massacre sont des civils, hommes, femmes, enfants, vieillards. Je dépose une photo terrible, mais elle est doucereuse à côté des vidéos qui circulent où des êtres humains hurlent de douleur tandis que nous devrions hurler de colère.

A la tête de l'Etat d'Israël aujourd'hui, nous le savons, le pouvoir est partagé par des fascistes, convaincus de leur supériorité, considérant les Palestiniens comme des êtres inférieurs si ce n'est des "animaux". Cela n'a rien à voir avec les valeurs du judaïsme et on aimerait bien que celles et ceux qui prônent ces valeurs et condamnent la terreur des attaques du Hamas le 7-octobre montent au créneau en appelant à mettre fin à cette guerre génocidaire. Impossible d'imaginer que cette violence systémique d'un gouvernement sanguinaire, depuis tant d'années et quotidenne, à Gaza depuis bientôt un an et demi (530 jours) ne produise pas des appels à la vengeance dans une région où rien ne subsistera que la violence. La question des otages, crimes contre l'humanité, ne saurait justifier d'exterminer tout une population. Nétanyahou se lâche d'autant plus qu'il sait que Trump lui accorde un blanc-seing.

Illustration 6
Dans le nord de la bande de Gaza, le 18 mars 2025 [Photo Mahmoud Issa/Reuters]

Billet n° 851

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook 

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