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Billet de blog 20 septembre 2025

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Nadav Lapid : "L’esprit génocidaire d’Israël n’a rien d’étonnant"

Alors que Gaza fait l’objet d’attaques de plus en plus meurtrières de la part d’Israël, France 5 a cru devoir s’interroger sur l’État hébreu : est-il aveuglé par la guerre ? Le cinéaste Nadav Lapid a sauvé l’honneur en accusant sans réserve non pas seulement les dirigeants suprémacistes et sanguinaires mais aussi une partie des Israéliens dont il a dénoncé la "complicité".

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L’État d’Israël, avec à sa tête Netanyahu et des ministres suprémacistes et racistes, commet un génocide à Gaza : il y a suffisamment de Juifs et non des moindres qui le disent pour qu’on ne soit pas traités d’antisémites en reprenant leur affirmation. Israël ne respecte aucune règle du droit international (depuis longtemps), tire à vue sur les affamés de Gaza, bombarde et extermine des civils gazaouis sous prétexte de viser un combattant du Hamas, exécute celles et ceux qui dérangent (les journalistes et photographes), accompagne les colons de Cisjordanie dans le harcèlement contre les Palestiniens, destruction de leurs vergers, de leurs récoltes et tuerie si nécessaire.

Si le monde entier a été effaré par l’action terroriste du Hamas du 7 octobre (nombreux civils visés, y compris femmes, enfants, vieillards), cette action a été largement exploitée par les autorités israéliennes n’hésitant pas à mentir sur son déroulement non par propagande envers les Israéliens, traumatisés par cette attaque vécue comme menace existentielle, mais pour justifier aux yeux du monde entier une rétorsion sans limites. C’est ainsi que les 60 000 morts civils de Gaza, y compris femmes, enfants et vieillards, ne font pas le poids face aux 800 morts du 7-octobre (les 400 autres tués étaient policiers et militaires). Cela était en germe dès le début quand les propagandistes Caroline Fourest et Céline Pina ont d’emblée considéré qu’un enfant juif tué dans l’attaque du Hamas n’a rien à voir avec la mort d’un petit Palestinien explosé par une bombe israélienne [qui tue des familles entières en prétendant viser un tunnel terroriste].

Illustration 1
Des Israéliens d'extrême droite manifestent près de la frontière avec Gaza en soutien au rétablissement des colonies israéliennes dans la bande de Gaza, dans le sud d'Israël, le 30 juillet 2025. [Tsafrir Abayov/Flash90, dans +972Magazine, média israélo-palestinien]

Pendant combien de temps il faudra encore entendre des Gazaouis envoyer des messages bouleversants par leur absence de haine (cf. Un médecin pour la paix et Put your soul on your hand and walk), dans lesquels ils n’appellent même plus au secours, ayant compris que le monde entier assiste à leurs souffrances et s’en accommode. Ils ne meurent pas que des bombes : ils perdent la vie après d’horribles blessures, ou parce qu’ils ne reçoivent pas les soins quand ils sont malades. Ils sont accablés par le bruit incessant des drones et des avions, tandis que certains Israéliens observent à la jumelle cette barbarie (du point culminant de Sdérot), en s’en réjouissant, en espérant que Tsahal, impardonnable pour n’avoir pas su prévenir l’attaque du 7-octobre, rase Gaza. Le passé ancestral de Gaza disparait sans qu’aucun comité de sauvegarde ne s’en émeuve plus que ça. De leur côté, les parents palestiniens marquent le nom de leurs enfants sur leurs jambes et leurs bras afin que leur corps ou leurs membres soient reconnus. Ainsi va l’horreur à Gaza.

Illustration 2

Et en France, une kyrielle d’individus indignes traite d’antisémites quiconque s’inquiètent de la barbarie. Bernard-Henri Levy et Raphaël Enthoven nient mordicus, l’un la famine, l’autre la mort de journalistes palestiniens. Le débat en France reste massivement déséquilibré : je ne parle pas de CNews, télé de propagande raciste (qui ne se préoccupe des Juifs que parce qu’Israël s’attaque à des Arabes), ni même de BFM ou de LCI qui ne craint pas d’avoir des chroniqueurs ouvertement d’extrême droite (Guillaume Roquette), donc perclus d’une rhétorique anti-arabe et anti-musulman. Non, je pense aussi à France 5, à C ce soir, émission que globalement j’apprécie : le 16 septembre, le sujet était Israël aveuglée par la guerre, avec en invité principal Nadav Lapid, qui sort un film qui fait du bruit : Oui.

Illustration 3
Ben-Gvir et Smotrich, ministres fascistes israéliens (le premier a appelé jadis à l'assassinat d'Yitzhak Rabin).

Ce réalisateur est décrié en Israël, en France aussi, parce qu’il ne se contente pas de mettre en cause Netanyahu, Ben-Gvir et Smotrich (des salopards de la pire espèce) mais aussi une grande majorité des Israéliens qui répondent « antisémitisme, antisémitisme, antisémitisme » contre celles et ceux qui défendent les Palestiniens (raison pour laquelle il a quitté le pays, alors qu’il vivait à Tel-Aviv). Il va jusqu’à dire que « l’esprit génocidaire d’Israël n’a rien d’étonnant compte tenu ce qui a précédé » [le 7-Octobre]. Dans les manifestations qui conspuent Netanyahou, peu contestent le fait que « Gaza est brûlée ». Il parle de « complicité » d’une partie du peuple israélien (« comment peuvent-ils se regarder dans un miroir ? »). Il cite cette anecdote qui l’a stupéfait : lors du tournage du film, les parents des enfants (acteurs) qui chantent un hymne louant l’extermination des Palestiniens ne se sont nullement préoccupés des paroles, ils ont juste bien répété avec leur enfant et se sont inquiétés de savoir s’il serait bien dans le champ de la caméra. Si ça commence à bouger en Israël c’est, entre autres, à cause des appels au boycott des institutions israéliennes, qui s’expliquent par le fait qu’Israël ne fait pas l’objet de sanctions politiques et économiques. Soutenir cette politique génocidaire c’est en aucun cas rendre service à Israël.

Pour échanger avec lui, étrange plateau : seul Karim Rissouli n’est pas Juif. Pourquoi pas, mais il est inenvisageable qu’un débat sur Gaza ne rassemble sur cette chaîne que des Arabes (1) ! Est-ce que pour autant, ces débatteurs sont condamnables ? Certainement pas Alexandra Schwarzbrod, journaliste à Libération, qui a toujours des positions claires, qui dénonce la colonisation véritable « cancer » qui a donné de l’importance à l’extrême droite. Elle se dit effarée par ce que subissent les Palestiniens et par le fait que « la moitié des Israéliens l’approuvent » (colons et religieux extrémistes). Elle accuse l’Europe et les États arabes d’être trop frileux. Mais au moment où Gaza fait l’objet d’une attaque terrestre, où l’on compte chaque jour des dizaines de morts, où les Gazaouis sont déportés au sein même de l’enclave, le débat avec Marc Knobel (historien), Judith Cohen-Solal (psychanalyste), Samuel Blumenfeld (Le Monde), Laure Adler et Nathan Devers, nouveau chroniqueur de l’émission (venu de… CNews !) s’engage plus sur ce qu’est la "démocratie" israélienne, sur le fait qu’Israël vit dans la crainte de disparaître, plutôt que sur le martyre de Gaza. Si Judith Cohen-Solal vante le fait que deux millions d’Arabes en Israël peuvent voter et être élus (mais interdits d’armée), Samuel Blumenfeld relève qu’un juge de la Cour suprême est arabe, Nadav Lapid glisse alors que l’État est démocratique « du moins pour les Juifs ». il conclut l’émission en disant que « la situation n’est pas mauvaise, elle est au-delà du catastrophique ».

Illustration 4

 . Bien sûr, il faudrait aussi parler de l’enlèvement par le Hamas des otages, acte terroriste par définition. Non seulement le Hamas a commis un crime contre l’humanité en agissant ainsi mais aussi en les maintenant détenus, même si rien ne permet d’affirmer que ceux qui sont morts n’ont pas été victimes d’un bombardement (on sait que trois d’entre eux, brandissant pourtant un drapeau blanc, ont été abattus par des snippers israéliens). Un argument souvent invoqué : il suffirait que le Hamas libère les otages restants pour que la guerre finisse : rien n’est moins sûr, plus d’un en Israël mais aussi sur nos plateaux de télé ont lâché que, une fois tous les otages libérés, il n’y aurait plus de limite à la vengeance. Nadav Lapid a lui-même condamné dans l’émission ceux qui proclament : « d’abord, on récupère les otages et après on reprend la guerre ».  

. Par ailleurs, il ne s’agit pas de nier que l’antisémitisme existe dans notre pays. Il importe de veiller à ce que la lutte en faveur des Palestiniens ne dérape jamais (j’ai déjà eu l’occasion de l’attester : dans les rassemblements auxquels j’ai assisté depuis des années en soutien aux Palestiniens je n’ai jamais entendu un mot, une formule, un commentaire antisémites). Des Juifs en France font silence parce qu’ils ont peur, ils doivent savoir que la mise en cause de la barbarie subie par les Palestiniens ne vise en aucune façon les Juifs, mais seulement ceux et celles qui approuvent cette barbarie, et parmi eux de nombreux non-Juifs.

_____

(1) Le lendemain, 17 septembre, C ce soir proposait une émission intitulée État palestinien, symbole ou chemin vers la paix, avec cinq invités : un seul Palestinien, l’artiste Ahmad Dari (franco-palestinien) et Yasmina Asrarguis, franco-marocaine.

. Version augmentée d’une chronique que j’ai publiée sur Facebook le 17 septembre.

Billet n° 882

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook 

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