On connaît la façon qu’a Donald Trump, la bouche en cul de poule, pour asséner que tout va bien, que l’économie fait des miracles depuis qu’il est au pouvoir, que le chômage chute considérablement. Et ses affidés tombent en pamoison. Jusqu’à ce que des économistes lui disent la vérité : les créations d’emplois aux USA ne sont pas à la hauteur qu’il prétend. Alors Monsieur qui sait tout, dont le monde est peuplé de gentils et de méchants, a une solution : virer la porteuse de mauvaises nouvelles, l’économiste en cheffe qui a publié les chiffres qui lui ont tant déplus. Kill the messenger !
En réalité, cet événement conduit à s’interroger sur les chiffres publiés par les États sur l’état de leurs économies, sans que l’on sache comment ils ont été établis. Comment faire confiance au Kremlin ou au Comité central du PC à Pékin à la lecture des statistiques concernant la Russie ou la Chine. On se souvient qu’en Grèce, la crise a éclaté en 2009 quand le nouveau premier ministre Papandréou a découvert que le déficit budgétaire était à 15,6 % ce que la droite au pouvoir avait caché, maquillant les chiffres depuis dix ans.
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Si en France l’Insee publie des chiffres plutôt fiables, il n’est pas exempt de critiques : Emmanuel Todd lui a reproché de faire des choix contestables sur la détermination de la hausse des prix (en ne comptant les loyers que pour 6 % dans le budget des ménages). Si les statisticiens de l’institut public sont certainement dans l’ensemble sérieux, on ne peut qu’être inquiet à l’idée que le directeur de l’Insee depuis 13 ans était l’ancien directeur de cabinet d’Eric Woerth ! Par ailleurs, quand on a besoin d’études chiffrées sur les retraites, Emmanuel Macron préfère nommer à la tête du Conseil d’orientation des retraites (le COR) un économiste néo-libéral afin qu’il produise les chiffres attendus par le gouvernement (ce que le prédécesseur ne garantissait pas) pour que soit justifiée la retraite à 64 ans, par exemple.
L’État n’hésite pas à distiller des chiffres faux aux députés sur le taux d’acceptation des demandes d’asile et le montant des allocations accordées (en octobre 2019, Libération* avait mis en évidence les grossières erreurs du gouvernement ne tenant même pas compte des statistiques produites par Eurostat). Les chiffres avancés dans le débat public sont souvent ouvertement faux (comme le coût de l’immigration selon l’extrême droite), sans être cependant contestés par les intervieweurs, ou tactiquement faux. Ainsi, le pourcentage d’"étrangers" en prison est chiffré à 28 %, CNews, Zemmour, Bardella, ou Michel Barnier (le 2 novembre 2021) laissant entendre qu’ils sont tous issus du Maghreb, alors que, pour ces derniers, le chiffre exact est 8 %.
Ainsi, même si les statistiques sont justes, la façon de les exploiter n’est pas innocent : on peut leur faire dire presque tout et son contraire, car la neutralité en la matière n’existe pas. L’économie n’est pas un terrain scientifique : si certaines données peuvent l’être, il n’empêche que la part d’interprétation est forte, car tout dépend du sens qu’on leur donne selon qu’on prône la justice sociale ou pas.
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* Immigration : le gouvernement a-t-il donné des faux chiffres dans un document aux députés ?
[5 août 2025]
Les circonvolutions du RN
Le 6 août au matin, France Inter recevait Edwige Diaz, députée RN de Gironde, invitée à réagir aux propos tenus par François Bayrou sur sa chaîne YouTube. Comme il a dit que la France était en déficit depuis 50 ans, elle a beau jeu de lui rétorquer qu’ayant soutenu une kyrielle de gouvernements dans la période il a sa part de responsabilité. Interrogée pour savoir comment faire des économies, la première réponse de la députée est de citer, bien sûr, l’immigration, qui coûte si cher, ma pôv’ dame. Alexis Morel, l’intervieweur, lui oppose qu’une étude de l’OCDE constate que le coût de l’immigration est quasiment nul (égalité entre dépenses et recettes). Alors elle invoque l’Aide Médicale d’État (AME) que le RN voudrait remplacer par une aide médicale d’urgence qui ne prendrait pas en charge TOUS les soins (c’est déjà le cas). Étrangement, elle précise que le RN ne souhaite pas que la santé des personnes, sans-papiers, gravement malade, se détériore. Et qu’il faut donc les soigner. Encore un effort, ils vont finir par soutenir l’AME !
Elle veut réserver les aides sociales non contributives (celles qui ne sont pas une contrepartie à une cotisation : RSA, AAH, ASPA ou minimum vieillesse) « aux Français et aux étrangers qui justifient d’un emploi et en situation régulière sur le territoire national ». Non seulement elle ne précise pas que ces aides ne sont versées qu’après un temps de présence (souvent 5 ans), non seulement elle confond aides sociales et prestations sociales (car même si elle ne l’a pas dit, le RN s’oppose à ce que les immigrés en règle perçoivent les allocations familiales qui ne sont pas des aides sociales qu’après cinq ans de présence sur le sol français), mais en plus elle dit que ces aides sociales ne pourraient être accordées à des sans-papiers (mais jamais un étranger en situation irrégulière n’a perçu la moindre aide sociale).
Autres économies : renvoyer les immigrés car « 50 % d’entre eux, en âge de travailler, ne travaillent pas ». Tous des faignants ! On voit que le RN est plus modéré que Reconquête de Zemmour car lui disait 55 %. Or le taux d’inactivité pour l’ensemble des immigrés selon l’Insee en 2020 (de 15 à 64 ans, ni emploi ni chômage) est de 31,9 % (27 % si originaires d’Europe, 33 % si originaires d’Afrique et 35 % si originaires d’Amérique ou d’Océanie), et de 28,6 % pour les non-immigrés (avec une moyenne générale de 29 %). Chiffres qui ne suffisent pas au RN pour faire un tabac. Il est vrai qu’il y a davantage d’immigrés au chômage : ainsi le taux d’emploi est de 50 % (les autres sont au chômage ou non-inscrits au chômage car conjoints ou jeunes), c’est le chiffre qu’invoque Edwige Diaz, confondant taux d’emploi et taux d’activité, sans préciser bien sûr que, pour la population totale, ce taux est à 65 % (c’est-à-dire que selon la phraséologie RN 35 % des Français ne travaillent pas). Ce gap de 15 points (entre Français et immigrés) relève de plusieurs explications : plus grande difficulté de recrutement (les testings le démontrent très clairement, non réponse aux CV du fait du nom et de l’adresse), faible qualification, conjointes moins employées, familles avec plus d’enfants (+ 18,4 %) donc davantage de jeunes de 15 à 20 ans sans travail.
Enfin, les étrangers coûtent cher en aides juridictionnelles (AJ), dit-elle (ils pomperaient 50 % de celles-ci pour des contentieux) : c’est un peu le serpent qui se mord la queue, car à partir du moment où les sans-papiers revendiquent d’être reconnus réfugiés ou de bénéficier d’un titre de séjour, forcément ils vont se retrouver dans des contentieux (ils ont droit à l’AJ depuis 2008, sous… Sarkozy), la politique de la France en la matière, malgré le discours continu de l’extrême droite qui prétend le contraire, ne leur étant pas favorable. La députée termine sur les associations qui leur viennent en aide qui coûtent à l’État un milliard chaque année. C’est selon elle un coût élevé « alors qu’on demande aux Français de faire des efforts or ce sont eux qui doivent en priorité bénéficier de la solidarité nationale ». On voit au final qu’on est loin, très loin, des 43,8 milliards que cherche Bayrou !
Evidemment, on est dans un discours classique du RN (la députée a débité la même chose récemment dans une commission filmée de l’Assemblée Nationale sur le budget en lisant une note). Mais ce matin, elle n’a rien dit sur les étrangers en prison. Et pour le coût de l’immigration, elle n’a pas repris les chiffres que le snipeur du RN, Julien Odoul, proclame sans jamais être contesté par les intervieweurs : 15 à 20 milliards, de même qu’elle n’a pas parlé de la "fraude sociale" alors que le même Odoul, en roue libre, prétendait il y a peu qu’elle coûtait 15 milliards et, pour corser le buzz, affiche désormais le chiffre de 50 milliards ! Pourquoi se priver de bluffer sans cesse en manipulant les chiffres quitte même à les inventer purement et simplement, puisqu’il n’y a pas de démenti officiel et trop rarement de "fact checking", de démontage des fausses nouvelles, en tout cas presque jamais en cours d’interview, la plupart des journalistes ayant trop peur d’être coincés faute de l’avoir suffisamment préparé (l’interview).
Le seul auditeur qui l’interroge lui dit que le RN cherche toujours à aller chercher l’argent chez les plus pauvres mais « jamais chez les milliardaires qui nous volent depuis des décennies » car « les 1000 milliards de déficit sont des cadeaux fiscaux dont vous ne parlez jamais ». Prise de court, elle éclate de rire et dit que Marine Le Pen et Jordan Bardella (souvent encensés au cours de l’interview, parlant d’un « lien d’affection » entre eux), soutiennent la taxation des surprofits et superdividendes, et que le RN est solidaire envers les plus pauvres (comme le logement social… réservé aux Français) et prône des hausses de salaires de 10 % jusqu’à trois fois le Smic… avec exonération des cotisations sociales ! C’est-à-dire en sabotant la protection sociale. Elle ironise sur François Hollande pour qui on était riche à partir de 4000 euros par mois, or, assène-t-elle, avec un tel revenu on n’est pas du tout riche. Sans s’appesantir sur le fait que cette "petite phrase" visait non pas chaque salaire mais les revenus d’un couple (8000 €) et qu’elle date de 2011 : en 2024, inflation oblige, cette somme équivalait à 5000 euros (exactement 4955,85 €), pas vraiment pauvre non plus.
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Billet n° 877
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