Les 23 résistants étrangers appartenant aux FTP-MOI, fusillés par les Allemands, étaient Juifs, Arméniens, Hongrois, Polonais, Italiens, Espagnol et Roumaine. Et communistes. Le PC se glorifie aujourd’hui de voir entrer au Panthéon le premier communiste, comme si effectivement la République cherchait à se racheter d'avoir si longtemps attendu pour prendre en compte la Résistance communiste (pas seulement étrangère). Si le pacte germano-soviétique a été un traumatisme pour beaucoup de communistes, à partir du 22 juin 1941 (opération Barbarossa, entrée des troupes nazies en Russie) les communistes sont nombreux à s’engager dans la Résistance. Certains l'ont fait dès l’armistice : c’est le cas de Charles Tillon, en juillet 1940 à Bordeaux (premier tract), qui sera le chef des Francs-Tireurs Partisans (FTP) jusqu’à la fin de la guerre (j’ai eu l’honneur de l’interviewer en 1982 sur la question algérienne et les massacres de Sétif de mai 1945). Il sera plus tard exclu du PC, entre autre pour cette indiscipline (avoir résisté malgré le pacte Hitler-Staline).
D’ailleurs, le PC aujourd’hui valorise Manouchian et ses compagnons, mais les rapports entre la MOI et le PC ont été particulièrement tendus, y compris pendant la guerre. On insiste sur le fait que ces étrangers s’étaient engagés « généreusement » en défense de la France (alors même qu’elle leur avait, avant-guerre, refusé la naturalisation), ce qu’on dit moins c’est que les actes les plus sévères contre l’occupant allemand ont été le fait justement de ces résistants des différents groupes MOI (ils résistèrent « dès les premiers jours de l’occupation », selon Tillon dans On chantait rouge).
Ce que l’on peut noter, c’est le fait que des militants politiques (communistes), des résistants, s’étaient organisés par nationalité. Personne aujourd’hui n’ose reprocher là un comportement "identitaire". Ils se regroupaient par affinité pour être plus efficaces et plus déterminés. La France honore un Arménien : je ne reprends pas le parcours de Manouchian, l’affiche allemande le désignant comme le chef de la bande, le poème d’Aragon, la chanson de Léo Ferré, qui justifient cette panthéonisation. Mais cela conforte l’air ambiant en France, qui fait quasi-consensus en faveur des Arméniens (cf. l’information biaisée dans notre pays sur la situation au Haut-Karabagh, en Azerbaïdjan, où les victimes chrétiennes ont été préférées à celles nombreuses d’en face, musulmanes, 600 000 Azéris chassés de leurs villages en 1992, événement gravissime qui a été en partie occulté par les médias).
De son côté, l’historienne Annette Wieviorka a regretté que le combat des Juifs dans la MOI n’ait pas été plus particulièrement honoré (et il est vrai que ce combat a été d’ampleur, l’engagement étant moins comme Polonais ou Hongrois que comme Juif, face au nazisme et à l’antisémitisme d’État, avant même d’avoir connaissance de la « solution finale »). Enfin, aucune voix ne s’est élevée pour s’insurger contre l’absence de reconnaissance de la France envers les Arabes qui, soit dans la Résistance soit, surtout, dans des troupes combattantes, ont contribué à chasser les Nazis de France.
Et le Rassemblement National dans tout ça : Emmanuel Macron a invité Marine Le Pen à la cérémonie au Panthéon, tout en incitant le RN à ne pas être présent (du fait de fachos à l’origine de la création du parti). Le désormais porte-parole du RN, ex-sondeur, Jérôme Sainte-Marie, est invité sur les plateaux de télé et radio pour répéter la même chose : c’est « absurde », « ridicule », car la Résistance c’était la Rose et le Réséda (Aragon) et donc c’était des courants opposés mais qui défendaient la Nation en général, qui refusaient l’Occupation (position aussi simpliste que celle de Léon Deffontaines, du PC, proclamant à C ce soir qu’il n’y a eu dans la Résistance que les communistes et les gaullistes).

Agrandissement : Illustration 1

Sainte-Marie qui cherche à se faire pardonner d’être allée chez le diable (il forme les militants du parti d’extrême droite), tient à affirmer que son grand-père était communiste (comme si cela pouvait le disculper) et que Mitterrand avait reçu la francisque pétainiste (ânonnant le même mantra à C ce soir, le 20 février, et sur France Inter le 21). Sous-entendant que malgré cette tare Mitterrand n’a pas été exclu des cérémonies commémoratives. Si l’accusation de la francisque est un classique, controversé (Mitterrand était déjà résistant quand elle lui a été décernée), sa prétendue ignorance des mesures anti-juives, comme il l’a affirmé à la fin de sa vie, le condamne à jamais et surtout son amitié pour René Bousquet, le chef de la police qui procéda aux rafles (ce que Sainte-Marie a évoqué).
L’ex-sondeur n’a aucun scrupule à soutenir un parti qui milite pour la préférence nationale et qui fait ami-ami avec l’AfD allemande, structure comportant des néonazis et appelant à l’expulsion manu militari des immigrés. En mai dernier (voir dans mon billet de blog du 9 mai 2023, la chronique : Le sondeur ovationne Le Pen), il applaudissait à tout rompre Marine Le Pen lors d’une tirade sur la « submersion migratoire » et la nécessité « d’arrêter les flux migratoires », approuvant ainsi une leader politique qui crache sur les immigrés (cette main d'œuvre immigrée !), qui les accuse contre toute étude sérieuse de coûter cher à l'Etat, qui fait preuve de xénophobie (et qui avait reconnu qu’il y avait même des « Nazis » au sein du RN puisqu’elle avait déclaré que ce sont eux qui rejoignaient Zemmour). J’avais transmis mon post à l’émission C ce soir, considérant qu’on ne peut plus donner le bon dieu sans confession à Sainte-Marie : s’il est invité sur un plateau il ne pourra plus y être en tant que sondeur ou politologue, mais bien comme représentant du RN. Je ne sais si on m’a lu, mais c’est ce qu’ils font désormais.
[21 février]
. L’historien Stéphane Courtois, auteur du Livre noir du communisme (1997) dans lequel il ne parle pas de Manouchian, a publié une tribune dans Le Figaro du 21 février dans lequel il s’emploie à discréditer Manouchian : son « héroïsation » aurait été construite par le PC, il n’aurait pas fait grand-chose dans la Résistance, il aurait commis des imprudences et trahi. Que Courtois décortique la façon dont le PC s’est soumis au diktat de Moscou, c’est une chose, qu’il cherche à salir la mémoire d’un résistant de la MOI, c’est un peu fort, d’autant plus que cela ne corrobore nullement la tribune qu’il publia dans Le Monde sur le groupe Manouchian le 3 juin 1985. On sent que Stéphane Courtois et le quotidien de la droite supportent mal que soit à ce point honoré un homme qui n'était même pas français, au moment où une partie de la droite rejoint l'extrême droite sur la préférence nationale et le droit du sol. D'ailleurs, la tribune de l'hisorien est suivie de celle de Chantal Delsol, de la droite extrême, qui ironise sur le projet de panthéonisation de Robert Badinter, personnalité montrée en modèle non pas pour avoir contribué à abolir la peine de mort mais pour avoir amorcé un nouveau type de démocratie, contre la volonté populaire (puisque les Français étaient majoritairement contre cette abolition).
De Fontex à l’ex-Front

Agrandissement : Illustration 2

Fabrice Leggeri, ancien patron de Frontex de 2015 à 2022, chargé par l’Europe de faire la chasse aux migrants, va se retrouver en troisième position sur la liste européenne de Jordan Bardella, pour le Rassemblement National. Il avait été chassé de Frontex car suspecté de fraude par Olaf (Office européen de lutte antifraude) et accusé d’avoir violé les droits fondamentaux des migrants (dont la complicité avec la Grèce dans les refoulements de migrants en mer Égée, en toute illégalité).
Que signifie ce coup politique dont se vante le RN ? Avoir récupéré un énarque, haut-fonctionnaire au ministère de l’intérieur avant de diriger Frontex ? Alors que le RN (et FN) n’a cessé de critiquer Frontex l’accusant de ne pas être assez efficace pour interdire à tous réfugiés de passer la frontière.
Cela signifie surtout que l’Union Européenne avait nommé à la tête de cette agence un homme qui flirtait certainement déjà avec l’extrême droite française. Il espérait être sur la liste LR mais on ne lui offrait pas la garantie d’être éligible, alors il est allé au Front plus conciliant. Ainsi un homme qui était censé représenter l’autorité publique s’avère être un soutien à un parti raciste, fondé par des individus nostalgiques du IIIème Reich, ayant pour membres encore aujourd’hui des membres « nazis » [voir plus haut] et qui ne cesse de fonder son programme sur une haine et un rejet des immigrés et des Français d'origine étrangère. Cela en dit long sur la façon dont l’État est gangréné.
[19 février]
Maréchal Le Pen pour la "Remigration"

Agrandissement : Illustration 3

Marion Maréchal Le Pen était l’invitée de France Inter le dimanche 4 février. D’abord elle vante l’école privée, et s’appuie pour ce faire sur l’avis d’Agnès Verdier-Molinié, directrice de l’iFrap, think tank ultra-libéral. Elle note que tous les islamistes sortaient de l’école publique, pas de l’école privée (ça me fait penser à ces commentateurs se gargarisant du fait que certains d’entre eux étaient passés par l’aide sociale à l’enfance, juste pour dénigrer davantage ce service de protection de l’enfance). Elle approuve l’AfD, extrême droite allemande, hébergeant des pro-nazis, qui en appelle à une "remigration" (puis elle précise qu’elle ne le souhaite que pour les délinquants, de même qu’elle réclame qu’un simple doute d’islamisme puisse justifier une expulsion du territoire sans aucun recours, et que les fichiers S suspectés d’islamisme non étrangers soient aussitôt incarcérés). Elle récuse le terme d’extrême droite, comme bien d’autres à l’extrême droite, prétendant que ce terme ne s’applique qu’à l’anti-parlementarisme (alors qu’un parti d’extrême droite peut très bien avoir des députés élus : ce qui le caractérise c’est surtout son racisme, sa xénophobie, ses diatribes anti-immigrés, son projet autoritaire, populiste, nationaliste exacerbé, ultra-libéral en économie (ce qui est le cas des zemmouristes, ainsi que du RN, même s’il fait beaucoup d’efforts pour dissimuler son soutien à l’économie capitaliste dans l’espoir de récupérer les couches populaires).

Agrandissement : Illustration 4

C’était donc un dimanche à midi sur une radio publique française où une journaliste renommée pour la pauvreté de ses analyses politiques, Nathalie Saint-Cricq, n’a pas hésité à gratifier l’invitée, qui déverse à longueur de journée sa haine envers les étrangers, du qualificatif de « juriste »… parce qu’elle a un master 1 en droit public. À ce compte-là, moi je suis "sociologue" !
. l’émission dure environ une heure, mon post se lit en une minute : ce n'est que temps gagné !
[17 février]
CNews, chaîne de délit permanent
Le Conseil d’État demande à l’Arcom de surveiller CNews, qui ne respecte pas son cahier des charges. Le Conseil d’État a été saisi par Reporters sans frontières qui reproche à la télé de Bolloré de n’être plus une chaîne d’information mais d’opinion. C’est bien que l’ONG se mobilise ainsi mais c’est encore faire beaucoup d’honneur à CNews que de la qualifier de chaîne d’opinion. En effet, sa ligne éditoriale est ouvertement raciste (il suffit de se brancher sur le canal 16 ne serait-ce que 5 minutes pour s’en rendre compte), or raciste c’est pas une opinion c’est un délit. CNews est une chaîne de délit ! Qui vole à son secours ? : Ciotti, Retailleau, Bellamy, Dupont-Aignan. Le Pen, Bardella et surtout Zemmour ne devraient pas tarder. Ainsi une partie de la droite a tranquillement rejoint l’extrême-droite qui voit dans CNews son porte-voix.
[13 février]
. Ces chroniques sont parues aux dates indiquées entre crochets sur mon compte Facebook, reproduites ici parfois avec de légères variantes et quelques compléments.

Agrandissement : Illustration 5

Billet n° 789
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600.
Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup