Le 19 décembre, au soir, LCI organisait un débat avec des politiques sur la situation actuelle, après la nomination de François Bayrou comme premier ministre. Evidemment, des arguments sans cesse évoqués dans le débat public ont été mis en avant par les protagonistes, justifiant ou contestant les décisions d’Emmanuel Macron. Lors de tels échanges télévisés, certaines questions plus précisément attirent mon attention, et sont, pour moi, déterminantes, pour approuver ou condamner sans rémission. Le sarkozyste Geoffroy Didier déclare qu’entre les revenus de l’assistance (« de l’assistanat », ajoute-t-il) et le premier salaire, il n’y a pas de différence. Ce mensonge absolu est la preuve de l’irresponsabilité de cet individu, n°2 à la Région d’Ile-de-France, aux côtés de Valérie Pécresse. Sauf que Darius Rochebin, qui anime le débat, donne aussitôt la parole à Manuella, ouvrière boulangère, qui dit avoir été au RSA pendant un an, et avoir hésité à reprendre un emploi, se demandant si elle avait intérêt de travailler. Pour illustrer son propos, elle dit que quand on travaille c’est difficile d’avoir accès à une crèche, alors que c’est possible quand on bénéficie du RSA. Bien qu’elle n’exprime pas d’animosité envers celles et ceux qui galèrent, on mesure là comment ce type de débat peut être manipulé, la parole de Manuella est d’or, qui va oser la contester ? Tout de même Mélanie Vogel, sénatrice Verte et Jérôme Guedj, PS, adjurent de ne pas opposer smicards et attributaires du RSA.

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Laurent Jacobelli (RN) livre l’habituel mantra de l’extrême droite sur les cartes vitales (accusation bidon selon laquelle elles seraient actives en surnombre) qui coûteraient des dizaines de milliards au budget de la Sécu, de même qu’il y a des sommes à gratter du côté de l’Aide médicale d’État (l'AME, qui permet de soigner en urgence des étrangers sans papiers, non seulement par humanité mais aussi pour préserver la santé publique). Le même Jacobelli parle de 75 milliards de fraude fiscale et sociale, méthode classique de cette droite puante qui cherche à assimiler celui qui mène une vie d’enfer et a perçu un indu avec le milliardaire qui place son fric dans un paradis fiscal.
Sur BFM, le 17/12, on avait eu droit à Julien Odoul, toujours imbu de lui-même, reprochant aux salaires d’être trop bas (alors même que le RN refuse une augmentation du Smic et n’admet des augmentations qu’en affaiblissant la Sécu avec des exonérations de cotisations sociales) et aux minima sociaux d’être trop hauts, parlant de 50 milliards de fraude sociale (ce qui suppose que, si les élus du RN accordent leurs violons, la fraude fiscale ne serait "que" de 25 Md€, alors que presque tout le monde s’accorde pour dire qu’il s’agirait de trois à quatre fois ce chiffre, ce qui montre bien dans quel camp est le Rassemblement National, qui il protège, qui il vilipende).
Odoul disait antérieurement (le 13 mars 2022 sur France Info) que la fraude sociale c’était 15 Md€, le RN change ainsi les chiffres selon les besoins de son discours du moment. Sur l’immigration, il prétend partout qu’elle coûte 15 à 20 milliards d’euros ! alors que des études sérieuses démontrent l’apport à la richesse nationale de l’immigration. Le problème n’est pas tellement que ce genre d’individus déblatère, c’est qu’en face il est bien rare que les journalistes prennent la peine d’étudier les dossiers et de contester ces assertions non seulement fantaisistes mais criminelles, destinées uniquement à attiser la haine contre les immigrés et contre les plus pauvres dans ce pays. Selon moi, c’est une infraction qui mériterait poursuites pénales. Sauf qu’Odoul, en sortant de son débat sur BFM, au cours duquel il avait été plus qu’incorrect envers Sandrine Rousseau et Manon Aubry, vient larmoyer chez le repris de justice Jean-Marc Morandini, abuseur de jeunes gens, pour dire qu’il a été malmené par Sandrine Rousseau, qui, le pôvre chéri, l’aurait quasiment physiquement menacé à la sortie, puis sur la chaîne de la fachosphère, Frontières, pour dire que Manon Aubry l’a agressé verbalement au cours du débat !
On notera qu’avec ce tableau noir, je me suis retenu, je n’ai cité ni CNews, ni Europe 1 !
[20 décembre]

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L'état de l’extrême droite

Mediapart a diffusé une émission en accès libre sur l'extrême droite, co-animée par l’historien Nicolas Lebourg et David Dufresne du média Au Poste. Ils font, avec leurs invités, le bilan de l'année 2024. Vincent Tiberj (prononcez Tibéri) explique son analyse, selon laquelle l'extrême droite ne progresse pas dans le pays, les idées progressistes avancent, mais l'extrême droite gagne du terrain dans les hautes sphères (avec contamination de partis qui n'étaient jusqu'alors "que" de droite). Il prend en compte le fait qu'il y a une "démission", c'est-à-dire une désaffection pour le vote (abstention très élevée) ce qui ne signifie pas dépolitisation. Voir son livre étonnant, fort instructif, qui s'appuie sur d'importants sondages d'opinion : La droitisation de la France : mythe et réalités (septembre 2024, chez Puf).
Dans la chronique ci-dessus, j'ai cité Julien Odoul (député RN) et son comportement méprisant lors des débats télévisés, mentant effrontément quitte à traiter ses interlocuteurs ou interlocutrices de menteuses. Lors de l'émission de BFM que je citais, pour faire taire Manon Aubry (LFI), il se met à proclamer tout de go : « tunnel du Hamas ». La bonne nouvelle a été que tous les élus présents se sont offusqués et lui ont dit qu'il était insupportable (PC, PS, Verts et LFI mais aussi Richard Ramos du Modem, Mathieu Lefèvre de Renaissance et Julien Aubert, LR, que j'ai longtemps cru être au RN). Que Julien Odoul se fasse ainsi moucher c'est un moment de satisfaction, d'accord, on se contente de peu mais c'est toujours ça.
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L'émission AuPoste/Mediapart :
[samedi 21 décembre]
... et en vrac :
Et toujours : Bruno Retailleau, contempteur de l’État de droit, qui assimile insécurité et immigration. François-Xavier Bellamy (France Inter 14/12) fait de même et aussi leur comparse, sénatrice LR, Valérie Boyer (BFM, 19/12), ajoutant avec le tact que l’on connaît chez ces gens-là que le drame de Mayotte a été amplifié par l’immigration. Estelle Youssoufa (député LIOT, France Inter, 17/12) reproche aux Comoriens en situation irrégulière de n’avoir pas voulu aller dans les abris lors du cyclone (« le bilan réel ne sera jamais connu »), comme s’ils ne redoutaient pas l’arrestation en cas de regroupement dans un abri ! Le "philosophe" Pierre-Henri Tavoillot, qui s’y connaît en sécurité sociale comme moi en astronomie, souvent invité pour qu’il y ait une pensée de droite dans une émission de bon ton, déclare (C ce soir, 17/12) qu’ « il faut dérembourser des médicaments car on ne peut pas payer » (suit une tirade sur la dette publique, avec les lieux communs habituels). Guillaume Roquette (Le Figaro magazine, ancien directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles), censé être journaliste, déverse sur les plateaux de télé des positions, certes alambiquées mais manifestement de droite extrême : il se lâche sur BFM (10/12) en disant que si un premier ministre fait la politique de Retailleau, s’il réduit le panier de soins de l’AME et s’il revoit la chaines des peines, « alors ça me va ». Il continuera à être invité sur LCI tous les soirs… comme expert !
Laurent Wauquiez ne se contente pas des estrades pour livrer des propos haineux à l’encontre des plus pauvres : lors du débat à l’Assemblée Nationale le 4 décembre, avant le vote de la censure, il dit tranquillement qu’il faut instaurer « un plafonnement des aides sociales par rapport au Smic » (se gardant bien de dire que le RSA pour une personne seule c’est 40 % du Smic), et « garder le social, arrêter l’assistanat ». Il répète tellement souvent cette obsession qu’on l’imagine persuadé que cela sert sa propagande et sa notoriété.
Bachar Al-Assad est tombé : comme de juste, le RN pro-Poutine, si tolérant avec le Boucher de Damas, exprime sa crainte, la chute du tyran est « une catastrophe », dit Jordan Bardella sur France 3 le 9/12 : parce que cela va provoquer « un flux migratoire »... au moment où plusieurs États européens envisagent de renvoyer les réfugiés en Syrie !

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. Les chroniques suivies d'une date entre crochets ont été publiées sur mon compte Facebook, reproduites ici avec de très légères variantes.
Additif le 23 décembre à 19 h :
Prendre François Rebsamen au pied de la lettre
Le nouveau gouvernement vient d’être nommé : comme prévu, il est bien à droite, non représentatif des élections de juillet dernier. Cette détermination à persister à ne pas tenir compte de la réalité du pays est plus que dangereuse : nier l’aspiration des Français à une réforme des retraites (au moins retour à 62 ans) et à une fiscalité plus exigeante envers les plus riches (dont la fortune a explosé ces dernières années grâce à la politique macroniste), se moquer de la sorte du suffrage universel ouvre la voie à des lendemains qui pourraient être dramatiques.
Evidemment, Manuel Valls, Juliette Maédel et François Rebsamen, qui n’ont aucune représentativité à gauche, ne sont qu'une petite manœuvre qui sera sans effet. Je voudrais juste commenter la nomination de Rebsamen comme ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Il faut savoir qu’il y a quelques semaines il a démissionner de la mairie de Dijon, pour rester président de la Métropole. En 2018, il avait suspendu quelques mois ses activités, car malade. Il y a un mois, il se disait « fatigué de [ses] semaines avec des journées bien remplis, au minimum de douze heures ». Il voulait se consacrer à la Métropole, or il a déjà dit qu’il comptait conserver sa fonction à la Métropole. Comprenne qui pourra.
Lors d’un colloque tenu à Dijon sur l’économie sociale et solidaire (avec Alternatives Economiques), en 2023, le maire de la ville avait ouvert les travaux. J’en ai rendu compte dans un article de ce blog en écrivant :
« François Rebsamen, maire de Dijon, maître des lieux, évoque la victoire de l’extrême droite en Argentine et aux Pays-Bas. Face au défaitisme, il oppose la solidarité. Sans craindre son auditoire, il conteste l’écologie de la culpabilisation et prône l’économie de marché (« mais pas une société de marché », tient-il à préciser). Il s’affiche comme défenseur de l’économie sociale et solidaire [ESS]. Il proteste contre le projet de loi immigration et revendique la régularisation des 700 000 sans-papiers, ni expulsables, ni régularisables. Il se présente comme édile édifiant des immeubles, invitant les membres de l’assemblée à ne pas s’opposer ici ou là à la construction de logements. Il parvient plus ou moins à faire oublier qu’en tant que ministre PS du travail sous Hollande, s’il a fait à raison la fusion entre le RSA activité et la prime pour l’emploi, il avait aussi tenu des propos sévères et controversés à l’encontre des chômeurs qui ne cherchaient pas d’emploi. »
Je livre cette info car il faudra lui opposer ses propos : sur la loi immigration, sur les sans-papiers. Enfin, tant qu’il sera ministre !
Billet n° 835
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).
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