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Billet de blog 25 octobre 2023

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A69 : où se situe la violence ?

Réponse au discours dominant et à la désinformation ambiante concernant le week-end de mobilisation des 21 et 22 octobre contre l’A69 (témoignage). En annexe, déclaration d’un ancien du GUD… sur les violences !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lors de la manifestation contre le projet de l’A69 qui a rassemblé 10 000 manifestants, le préfet du Tarn a annoncé « 2500 individus radicaux et violents en dehors du cortège » faisant une description apocalyptique des manifestants et le ministre Clément Beaune (des transports) a repéré « 2400 manifestants (deux fois moins qu’à la précédente manifestation en avril. Et 2500 éléments radicaux, cagoulés et violents ». Ce chiffre est repris en boucle par certains médias et sur les plateaux de télé, alors que des journalistes sur place n’ont pas vu la même chose (France 3 recense 400 « éléments radicaux »).

J’ai été informé que les personnes, qui campaient sur le site, présentes le dimanche matin, ont été réveillées à 4 h par des hélicoptères, projecteurs allumés, volant à très basse altitude, provoquant une forte panique, manifestement pour faire monter la tension. Par ailleurs, des enfants mis à l’abri sous une tente "cellule de soutien psy", pour les protéger de toute cette violence, ont été l’objet de tirs de gaz lacrymogènes à proximité. Isabelle Derive, une amie infirmière, militante, me signale : « Je sais où était la violence inouïe, j’ai passé le dimanche après-midi à soigner à l’infirmerie… Je suis en colère mais pas surprise que les micros soient ouverts pour tant d’inepties. Je n’ai vu aucun média mainstream sur place dimanche pour filmer la charge en pleine conférence scientifique, les parents fuyant avec leurs petits et les camarades éteignant les feux à mains nues ».

Un ami en qui j’ai toute confiance était présent sur les lieux, à Saïx, dans le Tarn. Ulcéré par la façon dont les événements sont présentés par les autorités et des médias, il décrit dans le texte ci-dessous ce qu’il a vu, interpellant les-dites autorités. Il signe d’un pseudo : Fuligule, canard plongeur !

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« Tu n’as rien vu à Saïx ? » : à Saïx, cher Michel (1), je n’ai pas vu « 2500 individus radicaux et violents ». Si je comprends bien votre méthode de comptage, ce qualificatif concerne toutes les personnes qui étaient dans cinq des six cortèges, sous prétexte qu’ils n’étaient pas déclarés. J’ai constaté que dans le cortège où je me trouvais, le cortège était inclusif et sans bruit, un silence plus assourdissant que vos grenades. Il en était de même du cortège cycliste (nos Hell’s Angels à nous) et de celui qui a porté à pied une charpente inoffensive vers le lieu-dit la Crémade. Pour vous éviter davantage d’embarras, je n’en rajouterai pas sur les septuagénaires et les bébés en poussette.

A Saïx, cher Gérald (2), je n’ai pas vu d’ « éco-terroristes », mais il est vrai que j’attends toujours la brochure de votre ministère qui m’aiderait à distinguer l’éco-terroriste du terroriste lambda. J’ai vu en revanche une foule de personnes terrorisées par l’inaction climatique du gouvernement et conscientes que pour notre survie à tout.es il faudra un peu plus d’ambition que le million de bagnoles électriques proposées par votre président, dans un pays où il circule tout de même près de 40 millions de voitures. A Saïx, j’ai vu des personnes qui tentaient simplement d’ouvrir un espace de possibles et de se réapproprier leur destin, à l’heure où vous érigez l’apathie en modèle civique.

A Saïx, cher Jean-Claude (3), je n’ai pas vu de « casseurs professionnels ». J’ai vu, il est vrai, des personnes vêtues de noir et masquées parce qu’elles savent que ce qui est légitime n’est pas toujours légal. Iels ont compris que si la loi de notre pays permet encore de construire des autoroutes en 2023, c’est que cette loi est inadéquate et que seule la désobéissance permettra de la faire changer. Il faut un courage incroyable pour courir le risque du fichage/flicage, des violences policières, de procès interminables et de peines de prison pour défendre une cause que l’on estime juste. A Saïx, je n’ai vu que des sœurs et des frères de lutte. Jamais je ne me désolidariserai de celles et ceux qui sont allé.es désarmer des entreprises prenant part à l’écocide.

A Saïx, cher Clément (4), je n’ai pas vu la « loi de la jungle ». J’ai vu des personnes s’activer ensemble pour redonner vie à une maison abandonnée, j’ai vu les medics veiller sur nous, j’ai vu un point d’écoute et de soutien psychologique, un camping en mixité choisie, j’ai vu des gens faire une chaine humaine de 500 mètres pour porter des chevrons, j’ai vu une bienveillance et une attention mutuelle à vous faire dresser les poils des bras. Chez nous, personne n’interdit les distributions alimentaires (5), j’ai donc vu des caisses de pommes et de sandwichs apparaitre de je ne sais où pour un grand goûter partagé dans l’herbe. A Saïx, j’ai vu une micro-société où le soin et la solidarité occupaient une place centrale : quel contraste avec notre quotidien dans un pays où vous achevez de casser les services publics !

En revanche, mes ami.es resté.es sur place le dimanche ont bien fait l’expérience de la « loi du plus fort » quand vos gendarmes ont évacué la Crem’ZAD. Iels ont vu le poignet cassé de Thomas Brail, les désormais traditionnels coups de matraque et les prairies incendiées par les grenades lacrymogènes. Les départs de feu ont été éteints par nos camarades : félicitations, vous étiez pyromanes au sens figuré, vous l’êtes maintenant au sens propre !

Et pour finir, cher Gérald (encore vous), la seule « violence inouïe », c’est celle de votre acharnement à finir cette foutue autoroute et de votre prodigieux je-m’en-foutisme face au dérèglement climatique.

Tout cela pour vous dire qu’en dépit de vos déclarations incendiaires, de vos postures indignées, de vos chiens de garde maniant la plume ou le bâton, de votre fichage, de vos matraques et de vos lacrymos, vous ne nous empêcherez pas de raconter ce que nous avons vu à Saïx, à Vendine, à Sainte-Soline et partout où nos luttes naissent et se poursuivent. Vous ne nous empêcherez pas de donner envie à beaucoup d’autres de nous rejoindre parce que ce que nous portons et vivons est infiniment plus joyeux, solidaire et, tout simplement, vivant que le modèle de « société » propagé par vos discours et vos politiques mortifères.

Nous sommes, encore et toujours, le vivant qui se défend !

Fuligule

Illustration 1
[Photo page Facebook de La Voie Est Libre]

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(1) Michel Vilbois, préfet du Tarn. « La préfecture du Tarn a fait état de 2 400 manifestants dans le cortège principal, et de 2 500 ‘individus radicaux et violents en dehors’.» (ici).

(2) « Après les affrontements entre forces de l'ordre et opposants au projet de méga-bassine à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, le ministre de l'Intérieur a fustigé des actions relevant de l'écoterrorisme.» (ici).

(3) « Plusieurs milliers de militants descendus de la France entière, auxquels se sont joints […] comme toujours, des casseurs professionnels qui savent se fondre dans les cortèges ». Jean-Claude Souléry, La Dépêche du Midi, ici.

(4) Clément Beaune : «‘la ZAD, ce n’est pas un élément festif et sympathique, c’est une violation des règles élémentaires de la propriété et de l’espace public’. Elle s’apparente même à ‘la loi de la jungle’ et à ‘la loi du plus fort’, selon le ministre (ici). 

(5) Les distributions alimentaires interdites dans le nord de Paris (ici).

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Un "expert" en violences condamne la manif contre l’A69 !

Imaginez un homme politique, ancien membre du GUD, syndicat étudiants d’extrême droite, directeur de la revue de ce groupe connu pour ses actions violentes, lui-même impliqué dans des attaques avec barre de fer ou batte de base-ball. Arrêté pour cela avec une cinquantaine d’autres militants d’extrême droite. Puis militant du Club de l’Horloge, mouvement d’extrême droite, ce qui ne l’empêche pas d’entrer au cabinet de Jacques Chirac, maire de Paris, puis à celui de Charles Pasqua, tout en président la Ligue des contribuables, mouvement également d’extrême droite qui milite contre l’impôts et les dépenses sociales. Imaginez que ce gudiste ait, par-dessus le marché, réclamé qu’Albert Jacquard (biologiste, philosophe, de renommée mondiale pour son humanisme) soit traduit en justice pour avoir soutenu des sans-papiers. Ajoutez à cela que cet homme si violent ait été élu maire avec le soutien du Front National.

Et bien quand cet individu peu recommandable est interrogé hier sur Europe 1 par Dimitri Pavlenko (transfuge de Valeurs Actuelles, extrême droite) sur la manifestation contre l’A69, il considère que les 5000 manifestants étaient pour moitié « de la famille chichon et des derniers lecteurs de Libération », et l’autre moitié « voyous, militants ultraviolents de l’extrême gauche radicale verte rouge ». Alors, dit-il, que ce projet d’autoroute est consensuel, puisque la présidente de Région, Carole Delga, y est favorable ! Les manifestants ne seraient que 10% Tarnais, les autres « sont des privilégiés qui nous prennent un peu pour des ploucs, ils sont habitants des métropoles », ils ont le métro, des autoroutes, des aéroports internationaux, et manifestent avec le soutien de « l’extrême gauche dont la culture et l’histoire est violente, on a tendance à l’oublier ».

Qui est cet individu ? Bernard Carayon, maire de Lavaur [entre Toulouse et Castres], connu pour être rarement dans sa ville, préférant sans doute les métropoles, et de préférence Paris où il exerce son métier ! Non seulement cet homme, proche d’Eric Ciotti, a été élu maire avec le soutien du Front National, mais au sein de son parti, Les Républicains, un militant, Guilhem Carayon (fils), porte-parole LR, fayotte avec les zemmouristes, invoquant la proximité de LR avec le mouvement de Zemmour « sur la crise civilisationnelle ». Il y a fort à parier que les propos de Bernard Carayon, plutôt que d’argumenter sur le fameux projet d’autoroute, par ses insultes, jettera de l’huile sur le feu. Sans parler de la façon dont le pouvoir rend compte de l’événement, comme il l'a fait pour Sainte-Soline, en travestissant la réalité. YF [chronique sur ma page Facebook, 24 octobre]

. voir en complément le commentaire de Thierry Nutchey, témoignage sur ce qui s’est passé à Saïx. 

. voir Sainte-Soline, à visage découvert, par Noémie Calais (sur ce blog).

Billet n° 762

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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