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Billet de blog 26 août 2023

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Il est temps de passer à l’action

Les Algues vertes empoisonnent les plages de Bretagne, dangereuses, parfois mortelles. Un film retrace le combat d’une journaliste pour que la vérité éclate. Quant aux jeunes Américains de Sabotage, ils en ont assez de tergiverser : la seule solution pour perturber le marché du pétrole est de faire exploser un pipe-line.

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Les Algues vertes ou la fabrique du silence

Illustration 1

Le film de Pierre Jolivet s’inspire du livre qu’Inès Léraud, journaliste d’investigation, a publié en bande dessinée avec l’illustrateur Pierre Van Hove (Algues vertes. L’histoire interdite, éditions Delcourt) et le rôle principal incarné par Céline Sallette est justement celui d’Inès Léraud pour le combat qu’elle a mené afin que la vérité soit connue. Ces algues vertes, nommées aussi "laitues de mer", de densité proche de celle de l’eau de mer, flottent le plus souvent entre deux. Elles apparaissent nourries par l’azote (les nitrates de l’agriculture intensive) et le phosphore et se multiplient rapidement. Elles prolifèrent particulièrement en Bretagne, mais pas seulement (dans certains lacs également). Elles ne sont dangereuses que lorsqu’elles se déposent sur les plages : se décomposant en plein soleil, elles fermentent et dégagent alors un gaz (le sulfure d’hydrogène, H²S), dangereux pour les animaux et les hommes (malaise grave), parfois mortel (arrêt cardiaque).  

  Qu’est-ce qui motive l’héroïne ? Une phrase de Voltaire : « on doit des égards aux vivants, on doit la vérité aux morts ». Car ces algues ont provoqué des morts : nous les croisons dans le film, Jean-René Auffray (jogger), Thierry Moirfoisse (transporteur d’algues), et leurs proches, sous leurs vrais noms. Et l’inventaire nous rappelle qu’un cheval est mort, deux chiens, 36 sangliers. Des ministres sont même venus sur la plage : Fillon, Le Maire, Jouanno. Inès la journaliste s’installe avec sa compagne dans une maison en Bretagne, dans un petit village. L’agriculture bretonne est accusée d’être une « fabrique du silence » : politiques et agriculteurs (contraints par le système à s’endetter et geignant d’être étouffés par les normes) accusent les écolos de vouloir porter atteinte à la renommée de « notre belle région ». Bonne raison pour venir déverser du fumier, non pas comme d’ordinaire, en toute impunité, devant une préfecture mais devant la maison de la journaliste. Pour l’ARS, la Préfecture et la FNSEA c’est l’omerta (le film évoque les rémunérations exorbitantes des cadres FNSEA). Une radio locale a perdu ses subventions. Les enquêtes ont été bâclées (pas d’autopsies). André Ollivro, qui existe réellement, combat depuis 23 ans "les marées vertes", a reçu des lettres de menace, des avis de décès dans sa boîte aux lettres.

  C’est un film qui valorise les combats pour la cause écologique, plus précisément le travail d’enquête opiniâtre. Dans la lignée d’Hélène Frachon avec le Mediator (La fille de Brest, d’Emmanuelle Bercot*). Céline Sallette est totalement crédible dans le rôle, attachante, au regard clair et pénétrant : sa relation avec son amie est un réel soutien car elle traverse des moments de découragements, qui la conduisent un temps à préférer aller s’occuper des chèvres. La bienveillance de son personnage (qu’elle interprète merveilleusement) conduit des témoins qui se taisaient à prendre la parole, à s’engager. Le baiser discret que lui donne l’orpheline silencieuse pour la remercier d’avoir fait éclater la vérité sur la mort de son père est particulièrement émouvant. Le film se termine sur le chant anarchiste italien Su Fratelli ["Frères debout ! Luttons avec courage"] interprété par la chorale des Rouges-Gorges. 

  Souvent les Régions subventionnent les films tournés sur leur territoire, ici la Bretagne, malgré le sujet, n’y a pas dérogé (même si Jean-Yves Le Drian, ancien président de la Région, est égratigné), sauf qu’une élue LR a voté contre pour ne pas « amplifier l'agri-bashing ». Des maires ont interdit à Pierre Jolivet d’accéder à leur territoire pour tourner certaines scènes ! Il n’a pu débarquer sur des plages que grâce à la complicité des habitants. Le syndicat des Jeunes Agriculteurs (proche de la FNSEA) a tenté de perturber une projection du film à Lannion, en vain.  De façon générale, selon un article du Monde du 24 août, le film a été plutôt bien reçu en Bretagne. En juillet, le tribunal administratif de Rennes a condamné l’État à prendre au plus vite des mesures afin que les ulves (algues vertes) ne portent plus atteinte à la biodiversité. 

. J’imagine que le secret est bien gardé, mais, en matière de lanceur d'alerte, cela ne m’étonnerait pas que le livre Les Fossoyeurs, de Victor Castanet sur les frasques d’Orpéa soit porté au cinéma tant il est vrai que son enquête magistralement menée peut être présentée comme un thriller. Avec rencontres secrètes, menaces et tentatives d'achat de son silence. 

* voir mon billet de blog : La battante de Brest.

. sorti en salle le 12 juillet. 

LES ALGUES VERTES - Bande-annonce © Haut et Court

Sabotage : il est temps de passer à l’action

  Sabotage : le distributeur français a voulu faire court mais le titre américain, Comment saboter un pipe-line, est plus explicite, reprenant le titre de l’ouvrage d’Andreas Malm (y compris dans sa version française aux éditions La Fabrique) qui défend l’idée que, face à la crise climatique, il ne faut plus tergiverser mais passer à des actions de sabotage comme moyen d’autodéfense (Il est temps de passer à l’action, proclame le sur-titre). Des jeunes gens, provenant de partout (Dakota, Texas, Oregon, Californie), ont connu les affres de la pollution, en particulier des raffineries de pétrole (Mickaël vit au Dakota près de champs d’extraction de pétrole, la mère de Xochitl est morte suffoquée par la chaleur et la pollution d’une raffinerie, Theo est atteinte d’une leucémie myéloïde provoquée par les pluies polluées qui lui brûlaient la peau, Dwayne, exproprié par la construction d’un pipe-line, a perdu sa maison).

Illustration 3

Étrangement, ils ne se connaissent pas, comme pour accentuer la notion de clandestinité mais sans garantie de fiabilité. Ils se sont donné rendez-vous dans un coin désertique du Texas et préparent des solutions explosives. En réalité, un seul, Mickaël, sait comment obtenir de la pentrite à partir du nitrate d’ammonium agricole [en somme, provoquer un petit AZF]. Il sait aussi récupérer l’azoture de sodium, le gaz contenu dans les airbag. Internet fournit un certain nombre de tutos permettant de préparer un tel attentat, y compris en utilisant du Destop ! Ils ont élaboré dans des cahiers d’écolier des recettes, « de quoi nous rayer de la carte ». Ils savent que leur préparation, équivalente à 600 bâtons de dynamite, comporte des risques, n’oubliant pas de citer le Che : « la moitié des fabricants de bombes ont sauté ».

  Ils se pensent révolutionnaires, et non terroristes, n’ignorant pas que lorsque le "terrorisme" réussit on dit qu’il était non-violent et que s’ils sont traités de terroristes, c’est bon signe [message à transmettre à Gérald Darmanin qui non seulement a qualifié des écolos de terroristes mais avait envisagé d’interdire le livre d’Andreas Malm].

Illustration 4

Leur but, en faisant exploser un pipe-line, est de perturber le marché du pétrole en le rendant plus cher. Leur haine envers les pollueurs n’est pas intellectuelle, elle est viscérale. Ils reprochent aux précédentes générations de n’avoir rien fait. Même s’ils réussissent leur coup, certains apparaissent dans le film davantage comme des baba-cool dilettantes que comme des activistes clandestins. Ils aimeraient être compris et approuvés, distribuant des tracts explicatifs (en particulier aux propriétaires de yachts lestés d’une bombe : "pourquoi j’ai saboter votre bien"). Ils ne sont pas issus des mêmes milieux sociaux, Logan a un papa qui peut appeler un bon avocat si nécessaire, tandis qu’Alisha est engagée dans l’aide humanitaire (distribution de repas aux plus pauvres). Quelques scènes sont peu crédibles (l’intervention des contrôleurs du pipe-line, Alisha conduisant jambe fracturée, Rowan extrayant la balle reçue par son ami Logan comme dans un western), mais la subtilité du film est de montrer comment ces écologistes sont finalement efficaces et ont su déjouer le FBI, pire : à le manipuler, sous la gouverne de Xochitl (Ariela Barer).

  Le capitalisme est dénoncé sans détour (« les oppresseurs »), au point que l’on se demande bien qui, aux USA, finance un tel film : au générique, on voit que la jeune actrice principale, Ariela Barer, qui a participé au scénario, est coproductrice ainsi que le réalisateur lui-même, Daniel Goldhaber. Si l’essentiel des 104 minutes consiste à montrer la préparation du sabotage, on est accroché à l’histoire, par le jeu convaincant de la plupart des acteurs et par le décalage sans cesse ressenti entre leur fragilité et l’importance de leur acte.

. sorti en salle le 26 juillet.

Sabotage (2023) - Bande annonce HD VOST © Digital Ciné

Billet n° 750

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600.

Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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