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Billet de blog 27 février 2024

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La face cachée de la méthanisation

Les pouvoirs publics se lancent dans un programme démesuré en faveur de la méthanisation, sans que le grand public n’en soit informé et sans que les inconvénients et dangers ne soient mis en avant. Comment riverains, scientifiques, écologistes et paysans s’y opposent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour tenter de se montrer impliqué dans la transition écologique, le pouvoir cherche à développer la production de méthane (CH4), un gaz produit par des réactions chimiques provoquées par l’homme sur de la matière organique transformée. Des esprits peu informés se disent : c’est très bien, comme les panneaux photovoltaïques. Sauf que dans les deux cas, les autorités procèdent comme d’habitude : à l’arrache, et souvent en mentant par omission, quand il faudrait y aller avec réflexion, modération et réelle concertation locale.

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Le discours officiel pousse les agriculteurs à investir massivement dans la méthanisation, en leur faisant miroiter des royalties, plutôt que de faire en sorte qu’ils soient rémunérés correctement pour leurs productions agricoles. Le rendement énergétique est faible, les subventions de l’État très élevées. Quant aux riverains, ils n’ont que leurs yeux pour pleurer : odeurs pestilentielles, passages répétés de camions, perte de valeur de leur maison devenue quasiment invendable, coût des dégradations des routes à la charge des communes et départements (soit des contribuables).

C’est à cela que le Gers s’est trouvé confronté depuis quelques années : dans les vallées de l’Osse et du Lizet, en Astarac et en Fezensac, impactant les citoyens des villages Montesquiou, Saint-Arailles, Castelnau-d’Anglès, Lamazère et L’Isle-de-Noé. Une association s’est créée en 2020, ABIVIA (Association Bien Vivre en Astarac et en Fezensac) : elle ne conteste pas la micro-méthanisation à la ferme qui traite ses propres déchets pour son autoconsommation d’énergie mais elle s’oppose aux projets financiers et industriels, à l’opposé des valeurs écologiques raisonnées et de la préservation de la biodiversité.

Alors même que le sujet ne défraye pas la chronique, on constate que de nombreux citoyens s’inquiètent partout en France parce qu’ils sont confrontés à un méthaniseur près de chez eux ou qu’un projet d’installation se profile à l’horizon. En Occitanie, dans le Gers, département rural, des réunions ont lieu pour partager l’information, avec l’aide de scientifiques, témoignant du danger de la méthanisation industrielle et développer la mobilisation pour s’opposer aux installations. Pour le moment, cela reste relativement confidentiel, mais tout laisse augurer que les réactions pourraient prendre de l’ampleur tant l’attitude des autorités font fi de cette inquiétude en déroulant des argumentaires lénifiants, progressant au pas de charge pour imposer leur programme.

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14 avril 2023 : à Montesquiou (570 hab, 27 km d'Auch), Maison du Temps libre, devant 80 personnes, Fabienne Lasportes, à l’origine de la création d’ABIVIA, explique que c’est en juin 2020 que le projet a été découvert par hasard : un projet prévoit 29,99 tonnes de matière traitée par jour à Montesquiou soit plus de 10 000 par an.

Daniel Chateigner est en visio-conférence : il est professeur des universités (Caen), coordonnateur du Collectif scientifique national sur la méthanisation raisonnable (CSNM), né en 2018, qui regroupe 30 scientifiques indépendants, de toutes disciplines (dont deux académiciens). Par ailleurs, le Collectif National Vigilance Méthanisation canal historique (CNVMch) rassemble des citoyens, riverains, usagers, qui se mobilisent contre les dérives de la méthanisation. Celle-ci est un danger pour les sols qu’elle appauvrit, pour la bio-diversité, elle pollue les eaux, elle provoque une dépréciation immobilière (- 30 %), provoque des nuisances (odeurs, santé, transports, bruit). Le gain par contre est limité : cela n’apporte que très peu d’énergie, stress accrue pour les paysans, coût élevé.

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Réunion pubique, Montesquiou [Photo YF]

Daniel Chateigner montre, tableaux à l’appui, que 90 % des digestats (matière organique non dégradées) sont rejetés, que le lisier de porcs produit peu de méthane. Du coup, les méthaniseurs plantent du maïs et autres végétaux pour obtenir plus de méthane, ce qui est une aberration. Le rendement énergétique est extrêmement faible  (4 %, contre 16 % pour l’éolien et 40 % pour l’hydraulique). Par ailleurs, le coût est considérable et suppose de fortes subventions. 1884 méthaniseurs en service en France, sur 5100 ha : ils sont pour le moment en moyenne à 13 km les uns des autres. S’ils sont plus nombreux, l’espace entre eux va se réduire et poser d’énormes problèmes pour le voisinage. Ils sont 14 dans le Gers, dont 7 agricoles, 4 industriels, 3 collectes de déchets. Les chiffres du CSNM ne sont pas contestées, les autorités lui réclament même ses bases de données.

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Pascal Levieux, pour les Amis de la Terre 32 et le GROG (Groupe de réflexion sur l’eau gersoise), expose les risques des rejets sur la qualité de l’eau : il importe toujours d’éviter de polluer plutôt que de tenter après coup de traiter. Or ces installations industrielles ne sont pas contrôlées. Il aurait été logique que de tels projets polluants fassent au préalable l’objet de concertation, c’est ce qu’il faut exiger pour le Gers face à l’injonction de l’État de démultiplier le nombre d’installations. Selon le CSNM, il y aurait eu 315 incidents de méthaniseurs en France entre 1996 et 2020, provoquant de graves pollutions [le chiffre atteint à ce jour, février 2024, 500 accidents/incidents]. La question de l’eau est un prochain gros dossier que le Gers aura à résoudre, comme partout ailleurs.

Olivier Arnaudon témoigne : arrivé dans le Gers, espérant y trouver la sérénité, il a vu un projet de méthaniseur qui veut s’installer à 200 mètres de chez lui. Il constate les gaspillages : par exemple, des agriculteurs faisant pousser du maïs et arrosant sans cesse pour, à terme, faire du méthane ! Il s’insurge contre l’appauvrissement des sols, qui perdent 50 à 60 % de leur fertilité. On fait miroiter aux agriculteurs de super-profits, tandis que les terrains avoisinants perdent de leur valeur.

Illustration 4
© Eric Eula

Pour Éric Eula (en visio), qui est ingénieur-consultant dans l’industrie (automatisme et informatique), membre du CNVMch, la sécurité industrielle n'est pas assurée au niveau des installations à ce jour en France. Faute de contrôleurs, à cause des lacunes des pouvoirs publics, les contrôles n’ont pas lieu. Les accidents en France sont plus nombreux qu'en Allemagne avec pourtant moins de méthaniseurs.

Daniel Chateignier accuse les gros investisseurs industriels d’avoir une stratégie consistant à tromper les agriculteurs, jouant sur le soutien de l’État, alors même que sur le fond la méthanisation n’a aucun intérêt, bien au contraire. Il lâche que c’est en lisant Mediapart du 13 mars 2023 qu’il a compris : en apprenant que 12 députés, 6 sénateurs, et 3 ministres sont actionnaires de TotalEnergies (qui a mis en place la plus grosse unité de méthanisation à Mourenx dans les Pyrénées-Atlantiques, BioBéarn).

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Jean-René Cazeneuve [Photo YF]

C’est alors que Jean-René Cazeneuve, député Renaissance, rapporteur du budget de l’État à l’Assemblée Nationale, qui était venu protégé par quatre gendarmes, n’hésite pas à s’insurger : selon lui, cette mise en cause des actionnaires de Total est « déplacée ». Il considère que les données avancées sont « incompréhensibles » et regrette qu’il n’y ait pas dans cette assemblée de point de vue contradictoire émanant de scientifiques. Contesté pour son intervention, il revendique de pouvoir ici s’exprimer. Il admet qu’il y ait des nuisances mais il faut évaluer avantages et inconvénients : « on ne peut pas être contre tout » (nucléaire, méthaniseur, éolien, solaire), « sinon il reste la bougie » !

17 février 2024, à Lasséran : la Confédération Paysanne organise un colloque méthanisation. Le matin est consacré, à destination des paysans et paysannes, acteurs et actrices du monde agricole, à la technique de la méthanisation. Est-elle à recommander aux paysannes et paysans ? Est-elle compatible avec l’agriculture paysanne ? Quels sont les risques d’accidents ? Quel impact a-t-elle sur les sols ? Quels sont les risques, les accidents possibles ? Le colloque n’a pas pour but de traiter des petites installations à l’échelle d’une ferme, avec une pollution moindre (voir en annexe le site de Picojoule), sachant qu’en réalité sur une ferme les déchets sont peu importants, une grande partie d’entre eux pouvant être tout simplement compostés.

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Régine Ferron, Lasséran le 17 février [Ph. DR]

Les scientifiques qui interviennent sont Jean-Pierre Le Lan, Eric Eula, Régine Ferron (agronome, spécialisation économie, du mouvement Eaux et Rivières de Bretagne) et Georges Baroni (ingénieur en physique industrielle et énergies, expert auprès de la commission européenne Environnement, membre du groupe  de travail méthanisation au ministère, commission énergies à la Confédération Paysanne). Le secrétaire général de la Préfecture est présent ainsi que le député Jean-René Cazeneuve et Éric Cadoré, conseiller régional PC, représentant la présidente de Région, Carole Delga.

L’après-midi, une conférence-débat s’adresse aux citoyennes et citoyens, et aux actrices et acteurs des territoires.

Jean-Pierre Le Lan, professeur à l’Université d’Anger, en retraite, membre du CSNM et du CNVMch), venu de Bretagne, s’emploie à montrer « la face cachée de la méthanisation ». Il explique d’abord ce qu’elle est : produire de l’électricité et de la chaleur à partir du biogaz (devenant du biométhane, une fois épuré et odorisé). Il y a deux façons de le valoriser : la cogénération, avec une turbine sur place, pour produire chaleur et/ou électricité (994 installations) ; l’injection, avec envoi dans le réseau de gaz, pour le chauffage ou la cuisson (514 installations). Soit 1705 installations en 2022 (contre 711 en 2018), progression donc très rapide.

Des énormes tuyaux, autoroutes du gaz, sont enfouis et des petits tuyaux le sont pour aller chercher le gaz « au cul des méthaniseurs » : soit, en Occitanie, 19 000 km gérés par GRDF. Des plans régionaux biomasse (biogaz, biocarburants, combustion bois forestier) ont été adoptés, en février 2020 pour l’Occitanie (avec en perspective 28 TWh en 2050 soit 2,8 millions d'appartements chauffés sur l’année, sur un total de 87 TWh d’énergie renouvelable), en octobre 2021 pour le Grand-Est (38 TWh en 2050). Ainsi, sur l’ensemble du territoire, de 2022 à 2026, la production de gaz vert va décupler (passant de 7 Térawatt-heure à 85 TWh), en Occitanie, elle va tripler et dans le Gers elle sera multipliée par 15.

Illustration 7
Document GRDF

Le problème est que le biogaz est "vendu" avec un argument fortement mis en avant aujourd’hui : il serait facteur de réduction des gaz à effet de serre (GES). Or Jean-Pierre Le Lan n’y croit pas : il suspecte, s’appuyant sur une étude québécoise qui le dit, que le méthane issu d’un élevage de porcs, par exemple, produirait cinq fois plus de gaz à effet de serre (GES). Et en injection, deux fois plus de CO2 renvoyé dans l’atmosphère. Une étude d’un membre du CSNM, Jean-Pierre Jouany, a mis en évidence une émission de GES de la méthanisation très supérieure à celle du gaz fossile (voir son article paru dans la Revue francophone du développement durable).  

Or la SFEC (Stratégie française énergie climat) a pour perspective de décupler d’ici 2050 la production de biogaz, avec augmentation des GES : « la loi énergie-climat n’est pas prête à être votée, mais des décisions [d’installations] seront prises avant l’adoption d’une loi ».

« Il y a baleine sous gravillons »

Illustration 8
Panneau visant un projet à Castelnau-Barbarens [Ph. YF]

En effet, la technologie n’est pas au point, elle est embryonnaire. Mais l’énergie produite est achetée 5 à 10 fois le prix du marché (soit 100 € le MWh de plus que le prix du marché), soit un total d’un milliard d’euros en 2024 au frais du consommateur et du contribuable ! Il y a anguille sous roche, ou plus précisément, pour Jean-Pierre Le Lan, « baleine sous gravillons », car ce n’est et ne sera jamais rentable sans subventions indirectes : les coûts indirects sont nombreux, d’une part pour l’extension du réseau (dépenses invisibles aux citoyens : pour la seule  Haute-Marne, coût de 600M€, somme astronomique), d’autre part sur la santé, pour les routes endommagées, accidents, incendies, primes diverses variées (PAC à l’hectare, labels : HVE [haute valeur environnementale], bas carbone), allègements de taxes.

Tout est fait pour échapper au contrôle de la population.  Selon les textes, il y a trois procédures existantes pour ces Installations Classées Pour l’Environnement (ICPE) selon les volumes traités.  Si c’est inférieur à 30 tonnes/jour, c’est une déclaration (pas ou très peu de contrôles) ; si c’est entre 30 et 99,99 T/jour, c’est un enregistrement (simplification administrative, avec consultation publique, mais les remarques éventuelles des citoyens ne sont pas rendues publiques) ; à partir de 100 T/jour, c’est une autorisation (avec enquête publique et étude d’impact environnemental). Dans les faits, la majorité des projets sont sous le régime de la "déclaration", cela évite les contrôles et exclut le projet de la base de données des géorisques. Des projets prévus à moins de 30 T/jour, donc en "déclaration" au moment de la construction, sont ensuite surdimensionnés pour être à moins de 100 tonnes/jour, de telle sorte qu’ils passent en "enregistrement", sans faire l’objet d’une enquête publique et d’un dialogue public (une loi de décembre 2018, a porté le seuil d’autorisation de 60 à 100 tonnes afin que davantage d’installations s’affranchissent de l’enquête publique). Un témoin rapporte qu’une personnalité préfectorale a reconnu qu’il en était bien ainsi. C’est le cas de l’installation de Belloc Saint-Clamens, celle de Pellefigue dans le Gers et du projet, récemment validé par le préfet, de Castelnau-Barbarens.

Illustration 9
Dessin d'Ysope paru dans Le Sans-Culotte, journal satirique vendéen

La méthanisation est-elle sinon verte du moins vertueuse ?

Sur le plan sociétal, elle a l’inconvénient des odeurs, du bruit, de la perte de valeur de l’habitat, des paysages abîmés, des accidents. Elle favorise les gros exploitants et les agro-industriels. Elle ne crée pas d’emplois, elle agit même plutôt à la baisse sur l’emploi. Sur le plan sanitaire, elle risque de favoriser le développement de germes pathogènes (antibiorésistance) et de sulfure d’hydrogène (H2S). Sur le plan énergétique, la production nette est minime, voire nulle, au pire l’énergie produite peut être inférieure à l’énergie consommée. Elle provoque des pollutions graves, incendies (comme en Bretagne), explosions liées à l’inflammabilité du méthane, dégagements imprévus de toxiques gazeux. Sur le plan agronomique, le taux d’humus et de fertilisation des sols est en danger, les digestats polluent les eaux et les sols, les études manquent pour observer l’impact sur la vie des sols ; l’air se charge en ammoniac, gaz précurseur de particules fines, en protoxyde d’azote (N2O).

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Globalement, la méthanisation telle qu’elle est envisagée est contraire à un modèle souhaitable d’agriculture. Sur le plan climatique, ce n’est pas bon pour le climat, ce n’est pas une énergie renouvelable (dans la mesure même où on vise aussi une réduction des déchets). Le méthane est un puissant gaz à effet de serre, 83 fois supérieur au dioxyde de carbone. Un méthaniseur a une durée de vie de 16 ans, au-delà il a trop de fuites (officiellement, on prétend qu’il n’y a que 0,5 % de fuites, alors que le taux, élevé, est de 4 % en moyenne). Un exploitant d’une telle installation est soumis à une formation qui dure… une demi-journée !

Depuis le 1er janvier 2024, le tri à la source des déchets organiques (biodéchets) des ménages et des professionnels est obligatoire. Il serait préférable de les destiner au sol (compostage) mais certains militent pour qu’ils aillent dans les méthaniseurs (qui seront de ce fait de moins en moins agricoles).

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On m’a signalé par ailleurs que les centres de collectes de déchets verts, alimentés par les entreprises, prévus pour le compostage à grande échelle, récupérant jusqu’alors ces déchets gratuitement, envisagent d’assurer désormais cette collecte moyennant finance, avec peut-être la perspective de fournir des méthaniseurs. Ce serait le cas de Covalrec dans la zone industrielle de Lamothe, à Auch. Dans cette même zone, un site de méthanisation industrielle (plus de 100 T/jour) a été construit en 2013 par le groupe Naskeo, filiale du groupe Keon. Le site, exploité par Dalkia Biogaz, filiale d’EDF, fournit de l’électricité à 16 % de la population de la capitale gersoise. Il a fait l’objet d’une fuite de déchets organiques en juin 2019… signalée par un voisin ! Les pompiers redoutaient la toxicité et l’explosion, six compagnies étaient mobilisées. Finalement, la fuite a été circonscrite. Début janvier de cette année, dans le Gers, un hangar où était stocké du maïs broyé en cours de fermentation, destiné à une unité de méthanisation, a pris feu : 36 pompiers ont été mobilisés, de crainte que l’incendie n’atteigne le méthaniseur. Déversements sauvages de digestats dans un cours d'eau à Fontrailles (65) en mars 2023, polluant la Baïse qui s'écoule dans le département du Gers : selon la société Agrogaz, il n'y aurait eu aucun dysfonctionnement. Incendie dans un méthaniseur d’Alsace à Ungershiem en septembre dernier...

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Illustration 11

Daniel Chateigner, cité plus haut, a envoyé un message : « Dans un rapport accablant pour les usines de méthanisation, nos collègues scientifiques américains arrivent aux mêmes conclusions que nous: plus de GES qu'avec le gaz fossile, subventions injustes et inappropriées, pollutions inacceptables, contrôles quasi inexistants, effets sanitaires pour les riverains, greenwashing organisé par les acteurs pour générer un nouveau marché, énergie délivrée extrêmement faible et sans conséquence sur la transition énergétique, bilan carbone désastreux. Quand prendra-t-on réellement conscience de cette impasse ? » [voir en annexe lien avec Biogas or Bull].

Pascal Levieux, des Amis de la Terre, apporte une précision juridique : les pouvoirs publics peuvent très bien se passer des conclusions d’une enquête publique. Il s’interroge sur le milliard (d’euros) caché : dans quelles poches va-t-il ? Compte tenu de la crise climatique, le bassin d’Adour-Garonne (Gers et Hautes-Pyrénées) devrait perdre 40 % de volume d’eau, tous les usages seront impactés. Or la méthanisation est grosse consommatrice d’eau, même si c’est un angle mort dans les multiples instances qui en causent : déjà les cultures traitées exigent de l’eau, le processus de méthanisation exige de l’eau même si c’est nulle part chiffré, il en est de même pour la condensation (déshumidification du gaz, séchage) et pour le nettoyage des machines. Pascal Levieux a calculé qu’avec 30 méthaniseurs  cela représente vraisemblablement 600 000 m3 par an sur le département. Ces prélèvements devraient être pris en compte par les AUP (autorisation unique pluriannuelle de prélèvement), mais sous quel régime : usage industriel ou irrigation ? Cette question de l’eau est un élément de plus disqualifiant la méthanisation… et les pouvoirs publics qui négligent ce problème crucial. L’individualisation des dossiers et des projets permet de masquer la vision globale et la perception des risques.

Illustration 12
Brochure Région Occitanie

La loi APER du 10 mars 2023 (accélération de la production d’énergies renouvelables) contraint le Gers à créer plus d’unités de méthanisation qu’ailleurs dans la région, d’où l’apparition tous azimuts de projets, dans la précipitation. Les Amis de la Terre demandent à ce qu’un Comité des énergies soit créé dans le Gers afin de déterminer un schéma des énergies qui tiennent compte de leurs impact sur le territoire et sur le cadre de vie.

Jean-Pierre Monnet, de la Fédération des chasseurs du Gers, prend la parole et dit que les chasseurs combattent tout ce qui peut porter atteinte à la biodiversité. Il constate que les cultures sont fauchées très tôt, pendant la nidification de toutes les espèces. Les engins, très rapides, opérant de nuit, pendant le repos des petits animaux, broient les faons, les oiseaux. Dans les balles de foin ou de paille, on trouve des cadavres de lièvres et de chevreuils. C’est un phénomène général, accru avec la méthanisation, qui elle-même se développe parce que les éleveurs confrontés à la grippe aviaire ont été incités à faire davantage du vert (donc accroissement du fauchage). Des associations de chasse ont fait l’acquisition de drones pour repérer des animaux avant la fauche. Par contre, les déchets n’ont pas d’impact direct pour la chasse. Un responsable de la pêche abonde dans l’opposition à la méthanisation car les écoulements de jus polluant dans les ruisseaux puis les rivières ont des conséquences graves sur la vie aquatique.

Josiane Pradayrol, maire d’Espeyroux, est venue spécialement du Lot pour témoigner : son village comprend 98 habitants, et un projet de méthanisation a provoqué d’importants clivages. Le propriétaire de l’installation n’habite pas le village. Au démarrage, une torchère a brûlé pendant un mois, en pleine canicule. Elle a provoqué une pollution énorme en CO2 : limitrophe à une route, elle aurait pu provoquer une catastrophe, comme à Feyzin [en 1966, près de Lyon, dans une raffinerie, une fuite de propane s’enflamme suite au passage d’une voiture à proximité puis explose : 18 morts, dont 11 pompiers]. L’odeur pestilentielle qui se dégage et le bruit permanent du chargeur ne permettent pas au propriétaire d’une maison proche de la mettre en location. Il n’y a pas de haies pour cacher les stockages. Les digestats sont répandus, les routes sont dégradées. Une retenue d’eau stocke 30 000 m3 pour arroser le maïs destiné au méthaniseur ! Le site est déjà en vente, selon des rumeurs TotalÉnergies serait intéressé.

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Assemblée à Lasséran le 17 février 2024 [Ph. DR]

Un habitant du Lot, spéléologue, témoigne de l’inquiétude pour deux méthaniseurs à Gramat et Mayrac. Les eaux souterraines peuvent être polluées pas seulement par les digestats, mais aussi par les herbicides et pesticides. Il existe bien une carte des cours d’eau souterrains mais difficile de repérer quel méthaniseur sera à l’origine d’une pollution. Le monde souterrain c’est la minéralogie, les grottes ornées et les gisements paléolithiques. Les craintes découlent du fait qu’on n’a pas de réponses. Le ministère de l’environnement a bien dépêché des agents qui ont passé trois mois sur place pour produire un rapport de 400 pages concluant à des actions relevant de l’État et du méthaniseur, et surtout la mise en place d’un observatoire qui a été bien vite enterré en passant du Département à la Région puis à l’État !

Un autre intervenant évoque l’azote, le CO2 et aussi les composés pharmaceutiques, produits vétérinaires, qui s’éliminent peu : une partie est filtrée dans les sédiments et peu ressortir des années plus tard.

Laure et Dominique, de Gazaupouy (au nord du Gers), contestent un projet à 13 millions d’euros lancé par quatre agriculteurs (appelé "projet à la ferme"). La réunion d’information a été une mascarade : elle n’a été annoncée que 15 jours avant, les entrées étaient filtrées, le projet a été minimisé, présenté comme « vertueux, écologique », avec assurance que les maisons ne perdront pas de la valeur. Une lettre des habitants adressée en recommandée aux quatre auteurs du projet n’a pas été retirée.

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Manifestation 26 novembre 2023 [Ph. DR]

Fabienne Lasportes constate qu’il en a été de même à Montesquiou. Le projet devait avoir lieu d’abord à Montesquiou/Saint-Arailles (où les élus locaux unanimes se sont dits défavorables au projet), puis à Lamazère puis finalement à nouveau à Montesquiou/Saint-Arailles. On est passé de 82 T/jour à Lamazère à un "petit projet" à Montesquiou/Saint-Arailles à 29 T/jour, soit 10500 tonnes/an, pour un coût pour l’État de 19 millions d’euros de subventions sur 15 ans (le KWh qui vaut 50 € est acheté 150 € par GRDF). Fabienne, très engagée dans le mouvement contre les méga-méthaniseur, agricultrice elle-même comme son mari, a fait évaluer la valeur de sa maison : perte de 50 %  si le méthaniseur est proche, et si elle arrive à la vendre ! Alors même qu’une brochure officielle prétend qu’il n’y a aucun effet sur la valeur immobilière (GRDF donne 4 exemples où cela n'aurait pas d'impact sur les valeurs immobilières... alors qu'il y a plus de 1700 sites). Un agent immobilier a déclaré que dès qu’une maison se trouve proche d’un méthaniseur elle est considérée comme invendable (même si, tant que le méthaniseur n’est pas construit, il n’y a pas obligation légale de l’indiquer lors de la vente, mais obligation morale certainement).

Patrick Kopff, des Amis de la Terre [AMT] et de Génération Écologie, a appris de bonne source que l’État considérait que le Gers ne produisait que 1/3 de ce qu’il consomme d’où la nécessité que ce département soit un bon élève (peu d’habitants, contestations faibles) et développe de l’énergie (dont le méthane, mais aussi le photovoltaïque, l’éolien). Il suggère qu’un slogan publicitaire soit lancé qui pourrait réveiller les consciences et qui dirait : « Faites tout de suite évaluer votre maison car, avec le projet de méthanisation, elle ne vaudra plus rien demain ». A Sarrant, un projet de parc de panneaux photovoltaïques est prévu sur 50 hectares [à ce jour, on recense des projets connus sur plus de 600 ha de terres agricoles sur le département du Gers et ce n’est pas fini]. Alors que le Gers a une valeur (paysages, gastronomie), on est en train de le détruire : les AMT demandent un moratoire. Par ailleurs, sont prévus dans le Gers, un centre de tri des déchets à Masseube, et un parc photovoltaïque à Haget, tous deux vivement contestés.

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Marches contre la méthanisation dans le Gers [Ph. DR]

Les gros de l’agro

Sylvie Colas, paysanne installée en polyculture-élevage, porte-parole de la Confédération Paysanne du Gers, secrétaire nationale de la Conf’, considère qu’être paysan ce n’est pas se plier aux industriels qui visent non pas la qualité mais la quantité et le profit : pour eux, tous les coups sont permis. Ils accaparent le foncier et, malheureusement, ils trouvent des agriculteurs pour se compromettre, tandis que des petits paysans finissent avec des pensions de retraite misérables. La Bretagne vit sous la pression des gros de l’agriculture industrielle (cf. le livre de Nicolas Legendre, Silence dans les champs). Aujourd’hui, les artisans n’ont plus le droit de s’installer n’importe où mais pour les méthaniseurs, pas de restrictions, sous prétexte que cela relève du statut agricole. Il y a eu deux accidents dans le Gers, dont un en janvier : un hangar stockant du maïs broyé pour la méthanisation a brûlé. C’est très dangereux et les pompiers ne sont ni préparés ni équipés pour ce type d’incendie. Un jour, il pourrait y avoir en France un accident mortel. Des maires s’inquiètent car des administrés leur demandent des comptes. Des dissensions éclatent dans les villages à propos des projets d’installation.

Sur l’exploitation de M. Rousseau, le patron de la FNSEA, il a été constaté 18 anomalies. Aujourd’hui, pour la moindre petite véranda, il faut effectuer une déclaration compliquée, mais une installation inesthétique de méthaniseur ne pose aucun problème. C’est le deux poids deux mesures qu’on retrouve aussi dans le traitement politique et policier des manifestations. On a vu qu’avoir de gros tracteurs facilite la réception par le ministre, alors que, pour un seul communiqué, la Confédération se fait incendier par le gouvernement. 

Elle rappelle les combats anciens menés dans le Gers (sur les OGM il y a 20 ans, lutte qui rassembla un soir 1000 personnes, les mobilisation contre les méga-fermes de poulets comme à Lannepax). Elle parle de « force et de fidélité », et aussi de fractures entre agriculteurs : des installations de production de méthane prévoient 1000 hectares. Les citoyens ne veulent pas payer le bio, trop cher, on les comprend car ils ont déjà payé pour financer le modèle de l’agriculture industrielle qui détruit la santé, les retraites, les écoles communales. Question politique par excellence. Le premier ministre, Gabriel Attal, a déclaré la guerre à l’agriculture paysanne en baissant les normes. Pour les rapprocher de l’Espagne et niveler dans le sens du poil (suppression des taxes sur la pollution des méthaniseurs). Attal propose une agriculture d’il y a 40 ans, et autorise l’étiquetage de la viande de synthèse (c’est déjà le cas en volailles, bientôt en bovins). Quant à la réforme de France Travail, Sylvie annonce que des agriculteurs au RSA ont reçu leur première lettre leur demandant d’effectuer 15 heures au service de la collectivité alors qu’ils ont leurs champs à semer, leur jardin à cultiver.

Sylvie Colas remercie Fabienne Lasportes pour son engagement contre les méthaniseurs. Elle regrette que GRDF et la Chambre d’agriculture invitée n’étaient pas là. Ces interventions sont suivies d’une discussion avec Alain Duffourg, sénateur Union centriste, qui confie qu’il n’est favorable ni aux parcs photovoltaïques ni aux gros méthaniseurs.

M’inspirant de propos tenus par Noémie Calais, éleveuse de porcs noirs bio dans le Gers, co-autrice de Plutôt nourrir, je crois que l’on peut poser ainsi la question : qu’est-ce qui est moderne aujourd’hui ? Monter des structures type mégaméthaniseurs qui vont enfermer les agriculteurs dans des systèmes de production intensifs pour les années à venir, en les rendant dépendants et fragiles face aux aléas climatiques qui ne vont faire que s'aggraver ? Ou bosser tous ensemble à la résilience de nos territoires, en favorisant l'agriculture nourricière, en installant des paysans nombreux, en favorisant les interactions sol-végétaux-animaux ?

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Illustration 16

. Collectif National Vigilance Méthanisation canal historique : site ici et page Facebook ici. Définition de la méthanisation. Observations sur la méthanisation en général.

. Facebook ABIVIA : ici.

. La méthanisation est-elle compatible avec l’agriculture paysanne ?, par la Confédération Paysanne (4 pages).

. voir la série d'articles sur Mediapart La méthanisation agricole, un or vert pas si vertueux (septembre 2022).

. La méthanisation, stade suprême de l’agriculture industrielle, par Claire Lecoeuvre, dans Le Monde diplomatique de décembre 2022 : description sur deux pages de l’évolution du phénomène accélérée par la rupture des approvisionnements en gaz provenant de Russie. Entre les prévisions de production citées et ce que j’évoque dans cet article, on mesure à quelle vitesse elles évoluent. Claire Lecoeuvre décrit comment le dispositif de l’Etat tend à privilégier les grosses installations. Elle évoque les substrats non agricoles accentuant le danger des digestats. Elle critique une agriculture industrielle qui pour se sauver se livre à une industrialisation pire encore, avec dommages sur l'environnement. Elle décrit des petites installations (plus précisément en Occitanie, comme en Ariège, avec méthaniseur en voie séche et discontinue).

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. voir site de Picojoule, installé à Ramonville Saint-Agne (31), qui propose une petite micro-méthanisation. 

. Biogas or Bull.

. Non à la méthanisation collective dans la vallée d'Osse et du Lizet (Gers), film proposé par l'association ABIVIA Gers, membre du Collectif national de vigilance méthanisation canal historique, réalisé par Laurent Lainé, avec la voix de Jean Fornerod (4mn54).  

Non à la méthanisation collective dans la vallée de l'Osse et du Lizet ( Gers) © Laurent Lainé

Billet n° 790

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