Jean Vinçot (avatar)

Jean Vinçot

Association Asperansa

Abonné·e de Mediapart

1941 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 juin 2021

Jean Vinçot (avatar)

Jean Vinçot

Association Asperansa

Abonné·e de Mediapart

Commentaires sur Act-up et la déconjugalisation de l'AAH

Act-Up Paris appuie la proposition de loi concernant la "déconjugalisation" de l'AAH, en présentant également des revendications pour les bénéficiaires de l'allocation. Ci-dessous quelques commentaires.

Jean Vinçot (avatar)

Jean Vinçot

Association Asperansa

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Act-Up Paris a publié dans le club de Mediapart un article très argumenté :

  • AAH : plaidoyer pour une véritable mesure de justice sociale
  • 6 juin 2021 Blog : Le blog de Act Up-Paris
  • Nous, personnes vivant avec le VIH, activistes de la lutte contre le VIH-sida, personnes handicapé·e·s et militant·e·s d’Act Up-Paris appelons les député·e·s à voter le 17 juin prochain en faveur de la loi 3970 portant sur diverses mesures de justice sociale qui prévoit notamment de déconjugaliser le calcul de l’Allocation Adulte Handicapé.
Illustration 1

La proposition de loi votée par le Sénat revient en 2ème lecture à l'Assemblée Nationale le 17 juin.

Je vais faire quelques commentaires au sujet de ce document intéressant d'Act-Up.
Un acquis ancien, la neutralisation des ressources

Act-Up a oublié de faire état de ce qu'elle a obtenu, avec Aides, dans les années 1990 : la neutralisation de ressources en cas de radiation du chômage du fait du handicap.
A l'époque, lorsque la personne malade du SIDA perdait son emploi et ne recevait pas des indemnités journalières de la sécurité sociale ou une pension, le montant de l'AAH était revu. L'AAH devait déjà être obtenue de haute lutte, car c'est la loi de 2005 qui a inscrit que cela pouvait être attribué en cas de "maladie chronique".
Mais pour le calcul de l'AAH, il y avait un abattement de 30% seulement sur les ressources de l'année de référence (juillet année N-2 à juin année N-1, puis année N-2). Cet abattement était insuffisant en cas de perte de ressources. L'AAH était certes conjugalisée (la CAF tient compte des ressources du "conjoint"), mais le concubinage homosexuel n'était pas reconnu dans la loi et par la CAF, ce qui ne permettait pas de bénéficier du doublement du plafond de ressources - mais il n'était pas non plus compte des ressources du compagnon.

Les associations ont donc obtenu la "neutralisation des ressources" : neutralisation veut dire que la CAF ne tient plus compte des ressources professionnelles ou assimilées (indemnités chômage ou journalières de l'assurance maladie), ce qui permet d'avoir l'AAH à taux plein.
Cette neutralisation est appliquée si la personne est radiée du chômage du fait de son handicap (maladie). Évidemment, vous n'imaginez pas qu'il y ait une attestation de l'ex-ANPE (Pôle Emploi) de ce type : ce serait discriminatoire. La CAF se contentera d'une attestation de l'honneur de la personne certifiant qu'elle ne peut être inscrite à Pôle Emploi du fait de son handicap.

Attention cependant : cette règle a été établie par circulaire, et jamais traduite dans un texte réglementaire. Elle n'est par exemple pas traduite dans la nouvelle réglementation concernant les aides au logement. Elle est donc fragile.

La majorité à 18 ans

Act-up revendique :

  • 9. Que l’AAH soit versée à la personne handicapée dès la majorité à 18 ans

C'est effectivement possible quand la personne perçoit l'aide au logement. Les parents ne pouvant plus bénéficier de l'AEEH du fait de la perception à titre personnel par l'enfant d'une prestation familiale ou assimilée, c'est l'AAH qui peut être versée (sous conditions).
Mais cela devrait être généralisé. C'est d'ailleurs ce qui a été obtenu (à effet rétroactif au 1er août 2020) en Belgique l'année dernière, suite à un arrêt du Tribunal Constitutionnel du 9 juillet 2020.

Il faudrait commencer par un accord d'AAH de la CDAPH, poursuivre par un refus administratif de la CAF, faire un RAPO à la CAF (recours administratif préalable obligatoire), puis engager un recours au pôle social du Tribunal de Grande Instance, en posant une question prioritaire de constitutionnalité. Pour faire trancher juridiquement cette question. Un parcours du combattant.

Sur la solidarité familiale et l'obligation alimentaire

Act-Up écrit : " Quand l’adulte handicapé vit chez ses parents qui sont tenus par la loi à une obligation alimentaire envers leur enfant, son AAH est versée à taux plein mais lorsqu’il-elle vit en couple avec son.sa conjoint·e qui n’est pas tenu·e à cette obligation, son AAH est réduite voire supprimée par la prise en compte des revenus du/de la conjoint·e. " L'argument est pertinent, à la nuance prêt qu'il y a une obligation de secours pour les personnes mariées ou pacsées, mais pas pour les personnes en concubinage.

En cas de départ du domicile conjugal ...

Act-Up : " Et quand le gouvernement affirme que la personne victime de violences quitte le domicile conjugal, qu’elle doit le signaler à la CAF et que son AAH lui sera versée immédiatement sur un compte allocataire personnalisé, c’est mal connaître la situation des violences conjugales et la difficulté d’y échapper, de s’en libérer parfois." Le versement est loin d'être immédiat, puisque pour l'AAH comme pour l'aide au logement, les prestations ne seront revues qu'à partir du mois qui suit la séparation - au lieu du mois de la séparation pour le RSA.

La complémentaire santé solidaire

Ce qui est demandé :

  • 6. L’accès à la complémentaire santé solidaire pour tou·te·s les bénéficiaires de l’AAH sans aucune participation financière,

Il est tout à fait anormal que les bénéficiaires de l'AAH, qui sont très susceptibles d'avoir besoin de soins - et d'être obligés d'y renoncer compte tenu de leurs faibles ressources - soient exclus de la complémentaire santé solidaire (ex-CMU-C).
Le plafond est maintenu quelques euros en-dessous de l'AAH.

Act-Up réclame à juste titre : 22. Le forfait logement ne doit plus être appliqué pour le calcul d’éligibilité à la complémentaire santé solidaire car c’est ce dernier qui fait que les personnes ont une participation financière pour la mutuelle.
L'extension des bénéficiaires à l'AAH concernerait aussi les bénéficiaires - plus nombreux - du minimum vieillesse, qui ont des ressources comparables et aussi des besoins de santé croissants.

La réduction de l'AAH à 30% (incarcération, hospitalisation, hébergement ...)

Revendications :

  • 7. Que l’ensemble des personnes incarcérées bénéficient de l’intégralité de leur AAH alors qu’actuellement elles n’en perçoivent que 30%,
  • 8. Que les personnes hospitalisées continuent de percevoir leur AAH même au-delà des 60 jours d’hospitalisation,

Je suis mitigé sur ces revendications, car cela ne doit pas entraîner une inégalité de traitement pour les personnes handicapées vivant en milieu ordinaire ou dans un établissement médico-social.
Il y a deux mécanismes :

  • la réduction par la CAF de l'AAH à 30% en cas d'incarcération ou de séjour intégralement pris en charge par l'assurance-maladie (hospitalisation, mais aussi MAS - Maison d'accueil spécialisée), sauf exceptions;
  • la prise en charge de l'hébergement dans les foyers de vie, foyers d’hébergement ESAT, foyers d'accueil médicalisés, par l'aide sociale départementale, en laissant à la personne hébergée 30% de ses ressources.

Dans la mesure où l'hébergement est pris en charge par la société, il ne me semble pas équitable qu'il y ait le même revenu que pour les personnes qui doivent assumer seules toutes les dépenses de ce type.

Je reproduis à la fin de l'article les exceptions à la réduction de l'AAH à 30%.
Dans les foyers, c'est donc un autre mécanisme, prévu par le règlement départemental d'aide sociale. Pour le département de Paris, par exemple, il indique notamment page 47 :

Illustration 2
Extrait RDAS Paris p.47

Ainsi, ce n'est pas l'AAH qui est réduite à 30%, mais le résultat est similaire car le bénéficiaire de l'AAH doit contribuer à son hébergement pour une part, le reste étant pris en charge par le département au titre de l'aide sociale.

Une révision des règles concernant la réduction de l'AAH devrait aussi concerner l'aide sociale départementale.

Autres commentaires sur les revendication

1. La désolidarisation des revenus du/de la conjoint·e pour le calcul de l’AAH pour tou·te·s les bénéficiaires car nous ne voulons pas dépendre de notre conjoint·e,

Certes, mais il faut aussi tenir compte des perdants de cette réforme, notamment si les enfants ne sont plus pris en compte.

2. L’augmentation de l’AAH pour atteindre le seuil de pauvreté pour tou·te·s les bénéficiaires c’est-à-dire 1065€ ou plus,

Le seuil de pauvreté au sens strict est cependant souvent dépassé, compte tenu de la majoration de vie autonome ou du complément de ressources, mais surtout de l'aide au logement. Une fois que c'est dit, c'est un constat sur le plan statistique, çà n’améliore pas le quotidien de la personne handicapée.

3. L’attribution à vie de l’AAH pour les personnes en situation de handicap visible ou invisible car un handicap, une maladie chronique, invalidante, ne disparaît pas avec le temps, on vit et on évolue avec,

Compte tenu d'une loi de 2020, le décret est en cours  - si le taux de handicap est au moins égal à 80% (plus de la moitié des bénéficiaires de l'AAH). Cela n'empêchera pas de demander une révision si les besoins ont évolué.

4. L’abrogation du décret du 16 août 2011 et donc de la RSDAE, 

En cas de taux de handicap inférieur à 80%, l'AAH n'est attribué qu'en cas de restriction durable et substantielle pour l'accès à l'emploi. Auparavant, c'était en cas d'impossibilité d'avoir un emploi, ce qui était plus restrictif.

Je pense qu'il faut d'abord augmenter le temps de travail qui ferait obstacle à l'AAH (temps plein et non mi-temps),et aussi d'affirmer que la formation permet d'avoir l'AAH (interprétation restrictive par le Ministère),

10. La présence des associations au sein des recours juridiques après le refus du RAPO aux côtés des avocat·e·s, 

Je ne comprends pas trop. Les associations ont obtenu la possibilité d’assister les personnes lors des recours devant le pôle social du TGI. S'agit-il de demander que les assos interviennent en plus de l'avocat ?

15. Une transparence totale sur l’accès aux demandes d’allocations ou d’autres prestations faites par les personnes auprès des MDPH, dans certaines grandes villes les personnes ont un identifiant et un mot de passe pour suivre leur dossier en temps réel et cela devrait être un droit absolu et généralisé. L’opacité parisienne sur le sujet de l’accès au suivi de son dossier est problématique,

L'accès au dossier en ligne n'est encore possible que minoritairement, dans 42 MDPH. Cela est en cours de généralisation avec le SIH (système d'information harmonisé) des MDPH. Je crains cependant que les informations données sur le dossier soient assez hermétiques ("demande générique", "parcours de scolarisation" etc.). Il faut que les propositions de plan personnalisé de compensation (PPC) figurent explicitement dès que l'équipe personnalisée d'évaluation a défini celles-ci.

C'est la loi. Bien mal respectée !


Les exceptions à la réduction de l'AAH : je reprends ici des extraits de la documentation juridique de la CCMSA (caisse centrale de la Mutualité Sociale Agricole, la sécu des exploitants et salariés agricole).

La réduction du montant d'AAH est applicable uniquement lorsque le bénéficiaire:•est hospitalisé dans un établissement de soins, ou séjourne dans un établissement de rééducation, ou un service d'accueil, et que l'assurance maladie prend en charge l'ensembledes frais de séjour(soins et hébergement), ainsi que le forfait journalier;•est placé à temps plein en Maison d'accueil spécialisée (MAS), est soumis au régime d'internat dans un établissement type IME (Institut Médico-Educatif) ou IMPRO (Institut Médico-Professionnel)
Aucune réduction du montant d'AAH n'est effectuée en cas de :

  • • fréquentation d'un IME en qualité d'externe ou semi interne,
  • • admission dans un établissement social à titre payant,
  • • hébergement pris en charge par l'aide sociale ou par un tiers,
  • • hébergement en ESAT,
  • • séjour en foyer d'accueil médicalisé (FAM),
  • • placement hospitalier dans une famille d'accueil sans prise en charge totale par l'assurance maladie,
  • • hébergement en foyer de vie, hébergement en foyer occupationnel,
  • • hospitalisation de jour ou de nuit,
  • • hospitalisation à domicile,
  • • séjour en centre de long séjour,
  • • séjour en centre de rééducation professionnelle,
  • • fréquentation d'un établissement régional d'enseignement adapté (EREA) de l'Education Nationale

Lorsque le bénéficiaire est astreint au paiement d'un forfait journalier, le montant d'AAH n'est pas réduit. Cette réduction ne s'applique pas même si ce forfait est pris en charge par une mutuelle payante, sauf dans le cadre de la CMU-C. En effet, la prise en charge par la CMU-C à titre gratuit ne permet pas de considérer que le bénéficiaire est astreint au forfait journalier.
Si un jeune handicapé de plus de 20 ans ne peut être immédiatement admis dans un établissement pour adultes désigné par la CDAPH, son séjour en établissement d'éducation spéciale peut être prolongé sur décision de la CDAPH, dans l'attente de l'intervention d'une décision adaptée.

Ce maintien a des conséquences sur le montant d'AAH. En effet, à compter de ses 20 ans, le jeune handicapé bascule dans le dispositif de l'AAH. Ainsi, il convient d'appliquer les mêmes règles que celles applicables aux adultes handicapés.
Concernant la réduction du montant d'AAH, il convient d'opérer une distinction en fonction de la structure qui accueillera le jeune handicapé :

  • En cas d'orientation vers un foyer d'hébergement
    Dans ce cas, aucune réduction de l'AAH ne peut être appliquée, quelque soit la situation du jeune handicapé (interne, semi-interne, externe).
  • En cas d'orientation vers une MAS ou un ESAT
    Dans ce cas, on applique la même règle qu'en cas d'hospitalisation, à savoir la règle générale. Ainsi, le montant de l'AAH est réduit de manière à ce que le bénéficiaire conserve, après réduction, au minimum 30% du montant mensuel de l'allocation, sauf s'il est astreint au paiement d'un forfait journalier auquel cas l'AAH n'est pas réduite.
  • Toutefois, lorsque le jeune handicapé est placé en IME en qualité d'interne:
    ◦ s'il est astreint au paiement d'un forfait journalier, le montant de l'AAH ne doit pas être réduit,
    ◦ s'il n'est pas astreint au paiement d'un forfait journalier, l'AAH doit être réduite.
    Remarque : Si le jeune handicapé fréquente un IME en qualité d'externe ou de semi-interne, l'AAH n'est pas réduite.

Lorsque le bénéficiaire de l'AAH est incarcéré ou bénéficie d'une mesure d'aménagement ou d'exécution de peine, le montant de l'AAH est réduit.
Remarques: Cette réduction de l'AAH n'est opérée que pendant la période où la personne handicapée est effectivement accueillie dans l'établissement.
• Cette réduction est également applicable à la personne handicapée qui bénéficie d'une mesure de placement à l'extérieur sous surveillance pénitentiaire.

Aucune réduction du montant d'AAH n'est effectuée :
• Si le bénéficiaire a au moins un enfant ou ascendant à charge ;
• S'il a un conjoint, concubin ou partenaire (PACS) qui ne travaille pas pour un motif reconnu valable par la CDAPH ;
• Aux personnes qui font l'objet d'une mesure de placement sous surveillance électronique, de semi-liberté, de placement à l'extérieur sans surveillance, de libération conditionnelle, de suspension de peine, de fractionnement de peine ou de surveillance électronique de fin de peine. En effet, dans ces différents cas, la personne handicapée ne doit pas être considérée comme détenue.


Articles précédents sur l'individualisation de l'AAH

AAH : le débat du 9 mars au Sénat sur la "déconjugalisation"

Examen de détail des débats au Sénat sur la proposition de loi "déconjugalisant" l'AAH. Et renvoi vers des excellents article et vidéo de Kévin Polisano.

AAH, individualisation : débat au Sénat le 9 mars 2020

La Commission des Affaires Sociales du Sénat a pris position aujourd'hui pour l'individualisation de l'AAH, mais en mettant en place un régime transitoire sur 10 ans, qui permettraient le maintien des dispositions actuelles si elles sont plus avantageuses. 3 mars 2021

AAH : Sophie Cluzel au Sénat, fake news et approximations

Sophie Cluzel a été auditionnée le 18 février au Sénat sur la proposition de loi concernant l'individualisation de l'AAH. Des critiques détaillées sur certiozns points. En annexe, la contribution du CNCPH. 20 févr. 2021

Les commentaires de l'APF France Handicap sur l'audition de Sophie Cluzel au Sénat

Sophie Cluzel, AAH et violences conjugales : passez aux actes !

Commentaires de l'intervention de Sophie Cluzel à France Inter pour la Saint-Valentin, au sujet de la proposition de loi sur la "déconjugalisation" de l'AAH. En attendant mieux, il est possible d'améliorer rapidement les droits du bénéficiaire AAH qui se sépare de son conjoint.  15 févr. 2021

AAH - Handicapés, restez entre pauvres !

La proposition de loi visant à ne plus tenir compte des revenus du conjoint dans le calcul de l'AAH va venir en discussion au Sénat, suite à une campagne d'opinion. Revue de certains exemples ou arguments utilisés sur le sujet. 24 janv. 2021

AAH - reprise d'activité d'une personne seule, avec enfant, et individualisation

Contribution au débat sur l'individualisation de l'AAH, pour une personne seule ayant un enfant à charge envisageant de reprendre une activité à temps partiel. 5 févr. 2021

AAH, aides au logement, couple et chômage

Le point sur les règles actuelles en cas de chômage ou de cessation d'activité pour le calcul de l'AAH ou de l'aide au logement. Beaucoup de personnes sont désormais concernées, notamment celles qui sont au chômage technique. 20 avr. 2020

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.