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Billet de blog 28 janv. 2023

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France-Telecom et Éducation Nationale, même combat !

Quelques considérations et commentaires "périphériques" en lien avec ma série de chroniques "Rentrée des clashs".

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"France-Telecom et Éducation Nationale, même combat !"

Ce texte constitue un addendum à la série de chroniques « Rentrée des Clashs »

Pour accéder aux épisodes précédents :

introduction 

épisode 1 « les signes avant-coureurs » 

épisode 2 « l’escalade » 

épisode 3 : « l’administration réagit enfin … ou pas ... »

épisode 4 : « le coup de grâce »

épisode 5 - «… où l’on apprend que le CITIS n’est pas un arbre à fleurs jaunes ... »

épisode 6 - « l'éteignoir ... »

épisode 7 - « Parenthèse sur une importante question d’éthique... »

épisode 8 - «Annus horribilis» l’année 2021.

épisode 9 - "épilogue"

       Au risque de décevoir, je n'ai rien de nouveau à raconter sur mon propre dossier . "L'affaire suit son cours...", comme il est d'usage de dire, et il apparaît de plus en plus clairement qu'il s'agit d'une "affaire au long cours" .

     En revanche, dans le cadre de mes investigations en lien avec les deux points principaux en question dans mon aventure ( c'est à dire : 1/ le traitement des enseignants par leur hiérarchie et par leur administration; et 2/ les méthodes de "couverture" du harcèlement moral hiérarchique au sein de notre institution.) ; je suis tombé ces jours-ci sur des informations que je n'aurais pas manqué d'ajouter à ma liste, dressée dans l'épisode 1 de mes chroniques, si j'en avais eu vent à l'époque, car les événements venaient de se produire, l'une comme l'autre au mois de septembre dernier.

La clarté qu'ils jettent sur ma propre affaire me pousse à reprendre la plume, et à ajouter un épisode un tant soit peu décalé, au sens où il y sera question de DOCTRINE juridique ainsi que des "membranes" qui séparent dans notre pays, les diverses justices ( civile, pénale, administrative), et qui sont à la fois poreuses pour qui sait en jouer, et totalement hermétiques pour le pékin moyen.

J'avoue qu'il m'a fallu beaucoup lire pour me faire une idée, et que ce que je vais en dire reste sujet à caution : je ne suis pas, et n'ai jamais été juriste. En revanche, je me plais à penser que le domaine de la Justice exige de la part des gens qui la rendent une cohérence aussi solide que celle qui préside aux raisonnements mathématiques ... Plusieurs textes d'Aristote montrent, par exemple, à quel point il faisait de la théorie des proportions une base de sa réflexion sur la Justice.

Malgré toutes mes lacunes juridiques, j'espère que le lecteur reconnaîtra au moins mes efforts,  en termes d'objectivité (je ne cherche pas à détourner, ni à déformer, les faits ou les textes), et de logique (mon raisonnement tient la route ...).

Qu'il n'hésite pas à corriger ce qui s'apparenterait à une lecture erronée de ma part, je l'en remercie d'avance.

Que s'est-il donc passé de nouveau ? Deux faits survenus, l'un dans la semaine de rentrée des classes, début septembre, validant par anticipation le titre de ma chronique "Rentrée des clashs", l'autre à la fin du même mois, et prenant la forme d'un jugement en appel dans une affaire très médiatique.

L'importance du premier n'a pas besoin d'être justifiée ici, puisqu'il s'agit de la suspension, par mesure conservatoire, de deux enseignantes de la même école (de trois classes), suite à la découverte de propos commentant l'autoritarisme de leur directrice commune sur un réseau privé ...

Cette décision de la DASEN du Calvados était passée sous mes radars car, malgré la mobilisation d'un groupe de soutien aux enseignantes, qui étaient très appréciées par leurs élèves et leurs parents, il n'y eut là-dessus qu'un entrefilet dans la presse locale ...

Mais voilà que, 4 mois après, alors qu'aucune charge n'est retenue finalement contre elles par l'administration, on ne leur permet tout de même pas de reprendre leur poste : on les nomme sur poste de remplacement pour finir l'année, avec une motivation très discutable et fatalement contestée ...

lien vers l'article.

Les faits évoqués dans le deuxième événement sont plus éloignés, aussi bien dans le temps que par le "domaine", au sens où ils ne concernent pas des agents de l'éducation nationale. Il s'agit du délibéré en appel dans l'affaire FRANCE-TELECOM".

Je ne m'étais intéressé à l'époque qu'aux gros titres : La confirmation pour les prévenus les plus "importants" de leur culpabilité ... mais la question aussi de la réduction de leurs peines, que je déplorais personnellement... En effet je me dis que des personnes dépositaires d'une telle responsabilité et d'une telle autorité sur le fonctionnement d'une entreprise, de même qu'ils reçoivent une rémunération et des récompenses exceptionnellement fortes, lorsqu'ils remplissent bien leur mission, de même qu'ils s'attribuent souvent eux-mêmes, par un système bien rodé  d'échange de "bons procédés entre pairs", des primes astronomiques, primes dites "de risques" notamment ; de même devrait-ils selon moi être sanctionnés à la hauteur de ces responsabilités lorsqu'ils "dérapent" en prenant sciemment des décisions mettant en péril leur Personnel.

Mais le sujet n'est pas là, et ce sont des commentaires beaucoup plus récents qui m'ont convaincu du lien que ce jugement pouvait avoir avec le litige qui m'oppose à l'éducation nationale ...

 Il y avait, en effet, dans ce jugement en appel, quelque chose qui "devrait longtemps faire jurisprudence" au regard des experts, et qui est l'apparition dans le vocabulaire pénal d'une expression nouvelle qualifiant les fautes commises par ces hauts dirigeants : "le harcèlement moral institutionnel" ... C'est un nouveau concept juridique qui prend ici naissance, après une longue gestation .

J'ai trouvé cela dans un article récent : lien vers l'article

Passons à ce que ces deux informations ont eu pour moi de révélateur ...

1/ La suspension de 4 mois avec impossibilité de reprendre leurs postes pour les deux enseignantes :

Le 30 août 2022, alors qu’elles s’apprêtaient à retrouver leurs classes respectives, dans lesquelles elles enseignent depuis une quinzaine d’années, après avoir préparé des projets scolaires pour l’année à venir, les deux collègues ont appris qu’elles étaient suspendues de leurs fonctions. À titre conservatoire dans un premier temps, le temps pour l’Inspection académique de décider d’une éventuelle sanction disciplinaire.

La raison avancée ? « Des propos graves » que les deux femmes auraient tenu à propos de la directrice de l’école. Sauf que ...

Sauf que ces « propos graves » auraient été tenus au cours de conversations privées entre les deux femmes, via une messagerie électronique, et que s'agissant de conversations privées, dans lesquelles les "propos graves"  consistent simplement à qualifier leur directrice "d'autoritaire", on peut à juste titre s'étonner du niveau de la réaction de l'administration :

Quels seraient donc la faute grave et le danger imminent qui imposent de les suspendre de leurs fonctions ?

Serait-t-il devenu interdit ou même seulement dangereux de trouver son chef autoritaire ? Ou même encore d'exprimer cette opinion entre collègues dans le cadre d'une conversation privée ?...

Le fait de lire cela, "accidentellement", au cours du nettoyage des tablettes confiées aux enseignantes, peut-il légitimement conduire l'autorité administrative à "voler au secours" de la Directrice, avant toute enquête, au moyen d'une mesure prévue pour éviter des conséquences prévisibles pouvant nuire gravement aux personnes ou à l'intérêt du service ?

Ne s'agirait-il pas plutôt d'envoyer aux enseignants un signal fort sur le thème, "On ne critique pas impunément son supérieur hiérarchique, même dans le cadre des conversations privées ..." ?

« LE CHEF A TOUJOURS RAISON !

IL N'Y A PAS DE CHEF AUTORITAIRE, IL N'Y A QUE DES SUBORDONNÉS INSOUMIS OU DÉVIANTS ... »

Nous voici rendus au cœur du thème de cette série de chroniques : Le traitement très partial par l'administration des conflits opposant, dans un même établissement, le Directeur et un ou plusieurs de ses agents.

Là où la loi accorde la même protection aux uns et aux autres, l'administration fait pencher la balance, toujours du même côté ...

Nul doute qu'à leur retour, après le temps de "purgatoire", les enseignantes de cette école se le tiendront pour dit !...

Mais qu'en est-il de la légalité, de ce type de méthode ? Et surtout ... Comment se fait-il que le DASEN ose encore agir ainsi ?

Mon sentiment sur ce point est que, comme disait Coluche "Tant que je gagne, je joue !" ... Pourquoi s'en priverait-il s'il n'y a pas un Recteur ou un Ministre pour lui taper sur les doigts ?...

Je n'ai pas trouvé de jurisprudence où l'administration se soit vu condamnée pour ce genre de décision, et, si c'est arrivé, compte tenu des délais de l'instruction, on n'aura pas évité le "purgatoire" aux agents suspendus abusivement, et la "réparation" sera intervenu longtemps après le litige, ce qui fait que la "leçon" donnée aux enseignants aura tout de même porté ses fruits, et le message adressé à l'ensemble des enseignants aura été conforté.

La pensée que ce soit précisément dans l'institution chargée de former les enfants, à la citoyenneté, au débat, à la démocratie et à la pensée rationnelle, que l'on rencontre ce type de pratiques, me met littéralement en rage !

2/ Le jugement en appel du dossier "France-Telecom"

On assiste donc à la naissance, dans le domaine du droit pénal, d'une "variante" bien singulière du harcèlement moral au travail, nommée "harcèlement moral institutionnel", qui s'appliquerait à la très haute hiérarchie d'une entreprise, et consisterait à mettre en place, en usant de son autorité supérieure, des pratiques managériales dont on a connaissance du danger en termes de risques psycho-sociaux.

Il faut donc, pour qu’il puisse y avoir poursuites, rassembler 2 preuves : celle de la responsabilité dans la mise en place des méthodes, et celle concernant l’alerte effective du danger que la personne a négligée …

En « contrepartie », le « contrevenant » ne peut pas se retrancher derrière l’argument d’absence d’intentionnalité concernant les préjudices physique ou moraux, ni sur le fait qu’il n’a eu matériellement aucun contact direct avec les victimes.

Le cas venant inaugurer ce nouveau concept juridique n’est pas celui de l’affaire France-Telecom par hasard, et il convient d’évoquer les circonstances qui la caractérisent afin d’en tirer toutes les leçons.

a) l’entreprise : Elle se caractérise par deux particularités qui ont certainement contribué à favoriser la survenue du délit :

  1. Le passage d’un établissement public (EPIC) issu du tronçonnage de l’administration des PTT, en entreprise privée. En pleine mutation.

  2. Des effectifs très nombreux dont on a décidé de réduire drastiquement le nombre sur une période très courte… à « marche forcée » … pour parvenir le plus tôt possible à la rentabilité afin de satisfaire les actionnaires …

b) Les acteurs principaux :

  • Didier LOMBARD : haut-fonctionnaire dans le domaine des télécommunications au sein de l’administration des PTT, succédant à Thierry BRETON, il devient le PDG de la nouvelle société au moment de la privatisation, en 2005.

  • Louis-Pierre Wenès : Engagé en 2003 par Thierry Breton, Louis-Pierre Wenès met en place un plan massif d'économies sur les achats au sein du groupe de télécommunications. Avec la direction, il réalise 15 milliards d'euros de « cost-killing » (diminution des coûts), dont 6 qui lui sont directement attribués par Didier Lombard, en 2005.

c) commentaires …

C’est dans cette expression « cost-killing », qui a connu un essor important dès les années 90 que vient se nicher toute la perversité de "l’opération" … On y viendra plus tard.

Je tiens, avant cela, à relever quelques points très importants de mon argumentaire, car ils font le lien avec le thème de mes chroniques :

  • Depuis les années 2000, et même un peu avant, on ne cesse de prétendre vouloir gérer l’institution scolaire « comme une entreprise » … Le Ministre Allègre ne parlait-il pas déjà de dégraisser le Mammouth ?!

  • Rien, dans la définition donnée du harcèlement moral institutionnel, n’interdit son application à des personnes à la tête d’une administration publique ; car il saute aux yeux que leur position, à l’instar de celle des dirigeants d’entreprises, leur permet de mettre en place des méthodes, ou des pratiques, susceptibles d’entraîner des conséquences dramatiques, et qu’il peut arriver qu’ils décident d’imposer ces méthodes en dépit d’avertissements ou d’alertes reçues concernant ces conséquences …

  • Qui pourra nier que, dans plusieurs administrations françaises, la fréquence des incidents liés aux « risques psycho-sociaux » a largement franchi ces dernières années la « côte d’alerte », et notamment dans l’institution scolaire ?.. N’est-il pas temps de s’interroger sur les causes de ces dérèglements ?

  • Le Ministère de l’éducation semble avoir, depuis l’arrivée de Monsieur MACRON à la Présidence, une interprétation toute particulière de la « diminution des coûts » que l’on peut rapprocher de l’expression « cost-killing » telle qu’elle s’est appliquée à France-Telecom il y a 18 ans. Cette expression anglaise, qui utilise le verbe « tuer » a quelque chose de terrifiant lorsqu’on la rapproche du nombre de morts dont elle est responsable ; en voulant « tuer les dépenses inutiles » voilà que ce sont des gens qui meurent :

    Les coûts, dans notre institution, c’est d’abord et surtout la masse salariale … Et c’est aussi là-dessus, dans notre institution comme ce fut le cas chez France-Telecom, qu’on cherche à « faire de l’optimisation » (autre expression cynique, en l’occurrence …).

  • Et qui dira que Monsieur Blanquer n’avait pas connaissance du nombre de suicides, lui qui a été poursuivi en 2019 pour mise en danger de la vie d’autrui par les syndicats ?…

    Si, à l’époque, le délit de « harcèlement moral institutionnel » avait existé … n’aurait-il pas convenu à décrire les décisions de ce Ministre, qui a pourtant poursuivi sa politique en se payant même le luxe d’affirmer publiquement qu’on se suicidait moins dans notre institution que dans la population, en général !…

Entrons dans les détails des mesures « suicidogènes » pointées dans la condamnation de Didier LOMBARD : https://www.francetvinfo.fr/economie/telecom/suicides-a-france-telecom/suicides-a-france-telecom-l-article-a-lire-pour-comprendre-toute-l-affaire_1535757.html

à partir de la privatisation de France-Telecom, il faut désormais vendre, et faire face à la concurrence. Pour y parvenir, un plan est élaboré : baptisé NExT, pour Nouvelle Expérience des Télécommunications et destiné à couvrir la période 2006-2008, il est présenté à la presse le 29 juin 2005. L’ambition est de faire baisser de 20 % les effectifs de l’entreprise !

Et la méthode consiste à « convaincre » les employés de partir … Mais évidemment, cela doit être à la fois rapide, et pas cher … Voilà donc les « cost-killers » à l’action ! 

À lire les témoignages, ainsi que les documents utilisés pour « former » les cadres à l’incitation au départ, on constate que les pratiques prônées par ces experts du management moderne s’apparentent à des brimades et à de la manipulation mentale, ne laissant que peu de place aux salariés visés en dehors du choix entre partir de bon gré ou subir une torture psychique quotidienne … Le « placard » pour certains, le « paillasson » pour d’autres. Morceau choisi (simples exemples) :

"Lorsque je suis rentrée de vacances d'été en août 2007, nous avions déménagé dans un bureau trop petit pour nous, ce bureau était sale, pas nettoyé, sans isolation phonique et thermique", témoigne une gestionnaire. Il y a aussi la technique des "oubliés" du déménagement. Quand, du jour au lendemain, vous vous retrouvez sans chaise ni bureau. Ni collègues : ils occupent de nouveaux locaux, et vous n'avez pas été prévenu.

Ce sont les pressions pour trouver du travail ailleurs, les allusions diverses au fait que personne n'est indispensable (...) Ce point est fondamental. Il représente en quelque sorte le socle de la 'mécanique dépressive'", explique un médecin du travail de l'époque. 

… Et lorsque les drames humains commencent à pleuvoir comme à Gravelotte, lorsque les suicides commencent à succéder aux tentatives de suicides et aux arrêts pour dépression au point de parler de "vague de suicides" , quelle réaction officielle entend-on de la part de la direction ?

Le 15/09/2009, Didier LOMBARD, PDG de France-Telecom, s'est engagé à mettre un «point d'arrêt à cette mode du suicide qui, évidemment, choque tout le monde», lors d'une conférence de presse, à l'issue de sa rencontre avec le ministre du Travail Xavier Darcos. C’est dire s’il ne s’agissait pas de paroles improvisées, qu’on lâche sans les avoir pesées …

Dès le lendemain, voyant le tollé provoqué par cette déclaration, il tentait un rétropédalage en invoquant la proximité avec le mot anglais « mood » qui signifie « humeur », et il se disait « focalisé sur cette spirale infernale du suicide dans laquelle nous sommes ...»... Ce qui n’était qu’une deuxième façon de se dédouaner de sa propre responsabilité : une « spirale infernale » c’est comme un Typhon ou un séisme ; une calamité dont on peut parfois se protéger, contre lequel il est bon de se prévenir, mais dont on n’est jamais responsable …

Quelles drôles d’images, tout de même, non ?... Que ce soit avec la mode ou la spirale, on semble penser que ce sont les suicides qui entraînent les suicides, plutôt que de se dire qu’ils pourraient tous avoir une cause commune.

Comme si, avant de décider de mettre fin à ses jours, le salarié se disait « ...tiens … je vais faire comme l’autre collègue ( que je ne connais même pas …)... » plutôt que « ma vie est un enfer, je n’en peux plus ! »

L’image de la « vague de suicides » est d’ailleurs tout aussi malheureuse.

Ce n’était pas une vague « de suicides », c’était une vague de décisions managériales, un Tsunami d’atteintes aux droits des salariés , droit à un environnement de travail apaisé, et droit à des relations hiérarchiques respectueuses !

Sauf que … Un Tsunami est un phénomène naturel, il ne peut être déclenché artificiellement … quoiqu’il ne faut jamais sous-estimer la puissance destructrice de l’homo-sapiens.

Prenons plutôt une avalanche, pour laquelle quelques bâtons de dynamite peuvent suffire, et on est plus près de l’image adéquate :

La direction a posé sa dynamite et a allumé la mèche … L’avalanche a emporté des dizaines de victimes … et la direction prétend, après coup, que le plan NEXT ne comportait aucune pratique de contrainte que l’on puisse assimiler à du harcèlement moral et, qu’au fond, il n’y aurait au sein de l’entreprise, qu’une « spirale suicidaire » incompréhensible et imprévisible …

Comment se fait-il alors qu’en relisant ma dernière phrase, je ne peux m’empêcher de voir dans le nom du fameux plan, « NEXT », la traduction de ce qui en bon français s’exprimerait par « Au Suivant ! », et semble si bien adapté à l’intention avouée de « dégraissage » des effectifs par la Direction …

S’agirait-il d’un acte manqué ? d'un lapsus ?…

En tout état de cause, la justice a tranché par deux fois, en retenant la responsabilité des cadres supérieurs, tout au moins en ce qui concerne les acteurs évoqués plus haut.

d) et maintenant, parlons d’autre chose … ou plutôt, venons-en à ce qui m’anime ...

Commençons par quelques citations pour faire le lien :

  • « ...on a juste oublié la souffrance des enseignants, cette souffrance au travail, silencieuse machine à broyer qui conduit certains de nos collègues à mettre fin à leurs jours, si l’on en croit cet effrayant pourcentage de 34 pour 100.000 : c’est le taux de suicides chez les enseignants, soit plus que dans la police, et plus que chez France Télécom. Mais on n’en parle pas, sauf lorsque, comme l’infortunée Lise Bonnafous, le professeur a le mauvais goût de s’immoler en public. »

Françoise Richard, Présidente de « Reconstruire l’école »

Dans la préface du livre de D.Arnaud «le harcèlement moral dans l’enseignement-Sévices publics »(2013) 

  • « les organisation du travail pathogènes engendrent, de plus en plus souvent, des formes de harcèlement. Nous le constatons avec le recours aux mobilités forcées, devenu très important, notamment dans la fonction publique. Rappelons-nous que c’est France Télécom qui avait lancé ce type de schéma : on s’arrange pour faire tourner les gens un peu partout en France, afin de diminuer les effectifs. […] En 15 ans d’existence, nous n’avons jamais vu une seule fois un employeur dire : ah oui, il faut peut-être examiner cette piste du harcèlement … Et ce n’est pas simplement un déni pour se protéger. C’est une stratégie du déni. Dans la fonction publique, c’est flagrant. Parce que si l’administration reconnaît que les suppressions de poste ou les transformations structurelles causent une telle souffrance psychique, alors cela remet en cause les stratégies politiques à l’oeuvre. Surtout, on refuse d’établir le lien. Ce n’est plus seulement un enjeu économique comme dans les entreprises privées : le déni devient un enjeu politique. »

    Michel Lallier, Président et co-fondateur de l’association ASD-Pro (Aide aux victimes et aux organisations confrontées aux Suicides et Dépressions professionnels) sept 2022

  • « Les suicides ont été malheureusement nombreux à France-Telecom. C’est leur mise en visibilité par l’action syndicale qui a permis de mettre un coup d’arrêt au pire.
    Dans l’Éducation nationale et l'enseignement supérieur et la recherche, les suicides existent aussi, comme celui de Christine Renon, mais très peu sont médiatisés. Cet évènement tragique prouvait il y a trois ans, une fois de plus, que
    les conditions de travail dans l'éducation nationale sont une source de souffrance. Une source de souffrance à laquelle non seulement l'administration n'apporte pas de solution mais en plus qu'elle aggrave avec ses réformes pathogènes successives. »

(syndicat Sud-éducation 28/09/2022)

  • « Depuis quelques années, il ne se passe pas une semaine sans qu’on me transmette des témoignages de situations de harcèlement hiérarchique, et des cas précis de francetélécomisation d’une salariée ou d’un salarié de l’Éducation nationale. Le démantèlement et la casse de l’école publique, la privatisation et la marchandisation de l’instruction passent depuis 30 années par ces procédés hyper-violents et très efficaces. L’industrie médiatique reste silencieuse. Elle regarde ailleurs et le citoyen lambda ne peut avoir accès à ces informations factuelles uniquement s’il fait la démarche et l’effort d’aller les chercher au fin fond des pages de moteurs de recherche, ou dans les conversations en « off » des quelques enseignants qui prennent le risque de briser ce tabou. »

Pierre-André DIONNET (Blog « Faites taire ce petit prof bon sang »)

  • « Le sujet [du harcèlement subi par les enseignants] est tabou, surtout lorsqu’il vient de la hiérarchie, dans une institution dont le principal réflexe n’est pas tant de traiter les problèmes, que d’aseptiser son image en réprimant ceux qui les dénoncent. A cet égard, les plus exposés sont ces professeurs qui, face aux petites agressions subies au quotidien, ont le malheur d’exiger la protection statutaire à laquelle ils ont droit ; ou bien qui s’obstinent à maintenir leur niveau d’exigences quand l’administration les presse de remonter leurs notes afin de soigner les statistiques académiques. Bref, ceux qui ont suffisamment de scrupules pour refuser la compromission. L’enseignement est un cadre propice à la « souffrance éthique » qu’évoque Christophe Dejours, et que la sociologue Laïla Salah-Eddin résume en ces termes : « Le salarié en proie à la dégradation de la qualité et du sens du travail a le sentiment de bâcler son travail, ce qu’il vit sur le mode de l’indignité personnelle ».

Daniel Arnaud dans « le harcèlement moral dans l’enseignement- Sévices publics » 2013)

Quelques références Web à consulter pour se faire une idée plus claire de ce qui est en jeu ...

https://www.deridet.com/Apres-EDF-la-SNCF-et-France-Telecom-l-Education-nationale_a2516.html

https://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/11/011210CNED.aspx.html

https://faitestairecepetitprofbonsang.wordpress.com/

https://rapportsdeforce.fr/pas-de-cote/france-telecom-les-entreprises-et-les-administrations-publiques-nont-pas-tire-la-lecon-093014596

https://www.sudeducation.org/christine-renon-france-telecom-ces-suicides-que-nous-noublions-pas-pour-une-veritable-prevention-des-suicides-dans-leducation/

C’est donc en revenant à mon propre vécu que je conclurai, en reconnaissant que j’ai passé ma carrière d’enseignant sans imaginer une seconde l’ampleur du phénomène … Il aura fallu que je sois moi-même victime d’un supérieur hiérarchique mal intentionné et particulièrement retors, pour réaliser à quel point le problème est STRUCTUREL !

Ce n’est pas d’avoir été victime d’un harceleur dans mon cadre professionnel qui m’a le plus atteint dans ma dignité et dans mon équilibre mental. Je suis en effet parfaitement conscient que le manque de probité est un défaut courant et qu’il n’est pas réservé à la pègre, j’observe d’ailleurs qu’il se répand de plus en plus chez des haut-fonctionnaires ou des élus. Je comprends donc qu’il puisse exister des proviseurs harceleurs, comme d’ailleurs des enseignants harceleurs, pourquoi pas ?…

Mais ce qui « ne passe pas », c’est que des hauts responsables d’une administration puissent déshonorer l’institution qu’ils dirigent en laissant impunis, voire même en protégeant, ces délinquants qui par leurs actes déshonorent eux-mêmes cette même institution !…

Ce qui ne passe pas, c’est que le sort des victimes ne pèse rien dans la balance à côté de « l’image de l’institution », image qu’ils écornent allègrement et qui ne sera que doublement entachée lorsque la justice aura enquêté …

On parle là de centaines d’affaires que les Rectorats bloquent de manière systématique par un anodin refus systématique d’attribution de protection fonctionnelle aux agents qui se plaignent de faits de harcèlement moral hiérarchique.

Dans la majorité des cas, le refus est même implicite, car le Recteur (ou le DASEN) ne se donne même pas la peine de répondre … Tout au moins à en juger par une consultation jurisprudentielle sur le site Légifrance. Le nombre de fois où, même pendant l’instruction de la requête, le Recteur soulève l’argument que la motivation de son refus n’a pas à être donnée, est impressionnante !

Et … tenez-vous bien … Restez assis !… L’argument est retenu !…

Dans d’autres dossiers, le Recteur argue ne pas avoir eu à motiver son refus car la demande ne lui en avait pas été faite explicitement par le requérant

Qu’attend le gouvernement pour changer cet état de fait ?…

Ah … suis-je bête … le gouvernement est précisément celui qui « impulse » la politique en matière d’éducation …

Quel intérêt verrait-il à ce qu’un Recteur soit obligé de répondre à une demande d’attribution de protection fonctionnelle dans un délai très bref, et obligé de motiver son refus éventuel  ?…

Il n’y aurait pour lui, au contraire, que des inconvénients, dès lors qu’il ne s’intéresse qu’aux questions d’image de l’institution, et de l’économie (il s’agit quand même de payer les dépenses d’avocat du demandeur … ce qui, en outre augmente ses chances d’obtenir justice … et de soulever un scandale de plus!)

Voilà ce qui ne passe pas ! Notre société s’enlaidit, se déshonore, se désagrège, à chaque fois qu’un litige voit son traitement dévoyé par des mécanismes malsains qui la dénaturent.

Et c’est ce qui se passe quotidiennement au sein de notre institution scolaire !

Notre administration, depuis plusieurs années se comporte vis à vis des enseignants, avec des méthodes de management inspirée par les mêmes théories que celles qui ont prévalu au sein de France-Telecom.

Une administration vertueuse ne pourrait tolérer que des agents salissent son image par des actes délictueux, à plus forte raison pour des agents haut placés dans la hiérarchie.

Face à un signalement d'un agent qui signale une situation de harcèlement moral, une administration vertueuse commencerait par une enquête  sérieuse et objective afin d'établir la réalité des faits ... Mais dans l'éducation nationale, du moins dans le cas qui est le mien, on se dépêche de ... ne rien faire ! 

Pourtant des pièces que j'ai présentées à l'appui de ma demande d'attribution de la protection fonctionnelle, montraient que les auteurs des courriers de signalement qui dénigraient mon enseignement affirmaient eux-mêmes que c'est le Proviseur qui les avait manipulés !

les textes existent, pourtant, qui permettent à une administration vertueuse de mener à bien son obligation de protection de chacun de ses agents. Ces textes sont clairs et ne laissent place à aucune interprétation ... Ce sont eux que l'administration diffuse fièrement pour afficher son caractère vertueux ...
Mais, la haute administration, lorsqu'elle n'est pas vertueuse,  complète l'arsenal réglementaire en s'arrogeant des moyens de contourner le fonctionnement prévu par les textes susdits, il suffit pour cela de rédiger d'autres textes, plus confus, plus sujets à interprétation, et moins "présentables" ...

Pour le dire clairement, les hauts-dirigeants de l’institution scolaire ont un immense avantage en comparaison de Didier LOMBARD quant à leurs risques d'être un jour accusé de "harcèlement moral institutionnel" :

La justice administrative doit en effet baser l’ instruction de ses dossiers sur les réglementations administratives, et ces réglementations sont rédigées par …  L’Administration elle-même  !…

Un enseignant victime de harcèlement moral doit passer par le tribunal administratif pour obtenir l'assistance juridique de son administration, et cette étape est ralentie, voire empêchée par l'attitude des Rectorats dans ce type de dossiers.

Moins de chefs harceleurs condamnés, donc moins de poids dans un éventuel dossier de "harcèlement moral institutionnel"

Voilà qui représente un sacré bouclier juridique, non ?

Merci encore à tous ceux qui auront pris le temps de parcourir ces chroniques.... Et à bientôt.

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