Tous les titulaires d'une nationalité le sont, de droit, pleinement et autant les uns que les autres. Ce dont cette nation est le partage, est alors toujours, au moins un ensemble de droits et devoirs égaux : avoir jusqu'à sa mort le droit de résider sur le territoire national ; avoir un accès égal à ses espaces publics, aux services de l’État ; devoir également respecter les lois ; devoir également payer les impôts en fonction de sa richesse ; participer également au pouvoir politique en tant que citoyens...
Il y a un mythe des origines, très "peace and love", selon lequel au commencement, la Terre était un grand paradis sans frontières, dans lequel les hommes étaient tous frères. Un jour, quelques hommes mal inspirés auraient alors créé les frontières nationales, dans le but de séparer leurs semblables les uns des autres. Et c'est depuis ce temps que la Terre aurait perdu son unité originelle. Pour retrouver cette unité originelle, il suffirait de détruire les frontières nationales.
Paradoxalement, un multiculturalisme très marqué est le signe d'une société avec des frontières internes, dont les membres se ferment à ceux qui ne sont pas de leur groupe. Tandis qu'un multiculturalisme plus atténué est le signe d'une société sans frontières internes, dont les membres sont ouverts à tous les autres.
Imaginons deux amis. Un jour le père de l'un tue le père de l'autre. Ces deux amis n'ont rien fait eux-mêmes, et pourtant, en passant par le canal des liens de filiation, on peut s'attendre à ce que ce crime qui met en jeu d'autres protagonistes qu'eux, perturbe leurs vies, et leur relation, comme si ces liens de filiation avaient le pouvoir d'exercer sur eux une malédiction.
On conçoit toujours l'engagement politique comme une sorte d'acte guerrier, qui se décrit avec un vocabulaire assez guerrier. L'engagement politique est toujours une « lutte », « bataille », « guerre », « résistance », « indignation », « croisade », un « combat », par lesquels on s'associe avec ceux de son « camp », pour s'opposer à un autre « camp », qui est celui des « oppresseurs », « opposants », « ennemis », « barbares », vis-à-vis desquels on est dans un « rapport de force », et qui veulent continuer à profiter d'un aspect de la société qui est une « oppression », ou instaurer un ordre « inacceptable » voire « monstrueux ».
On peut, à loisir, peupler les espaces publics avec des vecteurs d'une mémoire de faits passés : monuments grands et petits, pièces de monnaie, timbres poste, emblèmes ou hymnes nationaux, cours et conférences donnés à des enfants, adolescents ou adultes, musées, livres dans des bibliothèques municipales, scolaires, universitaires, sites internet, évènements publics, déclarations officielles, émissions et documentaires télévisés, radiodiffusés, articles de journaux.
L'histoire de la construction européenne, est l'histoire du gonflement de nombreuses et diverses bulles : économiques, politiques, sociétale. A la plupart de ces bulles, il n'est pas encore arrivé ce qui arrive un jour ou l'autre aux bulles : elles n'ont pas éclaté, et même si on les sent frêmir de plus en plus, elles sont peut-être encore là pour longtemps. La grande erreur des promoteurs de cette construction européenne, est qu'ils confondent l'agrandissement qui a de la consistance, ou le tissage de liens consistants entre pays européens pour en faire un tout épanoui, avec le gonflement de bulles. Naturellement, ils prennent aussi tout refus de faire gonfler des bulles, pour une volonté de repli sur soi. Ils ne comprennent donc pas que le vrai agrandissement et épanouissement, celui qui a de la consistance, fait aussi partie des choses qu'ils appellent un repli sur soi. Et ils ne comprennent pas que masquées par les bulles qu'ils ont gonflées, et souvent sous l'effet de ces bulles, il y a des réalités consistantes qui se ratatinent, se replient donc sur elles-mêmes ; et que ces bulles qu'ils ont gonflées sont vouées à éclater un jour, c'est à dire à s'anéantir : ce qui est le comble du repli sur soi.
Souvent on parle des crimes que la France, la population française dans son ensemble, ou l'État français auraient faits, comme l'esclavage, la colonisation, la torture de guerre, le massacre de foules, l'ingérence ou le pillage. Pourtant, avec un regard scientifique, ce ne sont jamais que des individus que nous voyons faire des actes, même si ces individus sont des Français, des militaires, juges ou policiers français, ou des dirigeants politiques français qui ont la possibilité d'utiliser les pouvoirs de l'État français. Il y a donc un moment où nous voyons scientifiquement des actes faits par des individus, et où nous attribuons ces actes à ces êtres que nous appelons la France, la population française dans son ensemble, ou l'État français.
Qu'est-ce qui fait que certains ensembles d'hommes constituent à nos yeux des touts que nous appelons des sociétés, c'est à dire, qu'est-ce qui fait l'unité d'une société ? Et quelles conditions doit satisfaire une société, pour qu'il soit bon pour ses membres d'être réunis en elle ?
Le dernier livre de Jean-Claude Michéa, Le complexe d'Orphée, a pour sous-titre : La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès. Michéa y parle beaucoup d'un autre livre, Le quai de Wigan, de George Orwell, paru en 1937. L'interrogation de ces deux auteurs est exprimée ainsi, à son époque, par Orwell : « Il faut regarder ce fait en face : le socialisme n'arrive pas à s'instaurer. [...] En ce moment, un peu partout dans le monde, les socialistes lâchent pied devant les assauts du fascisme [...]. Avec tous les atouts dont elle dispose – car tout ventre vide est un argument en sa faveur – l'idée du socialisme est moins largement acceptée qu'il y a une dizaine d'années. L'individu normalement doté de raison ne se contente plus de ne pas être socialiste, il est aujourd'hui activement opposé à cette doctrine. [...] Cela signifie que le socialisme, tel qu'on nous le présente aujourd'hui, comporte en lui quelque chose d'invinciblement déplaisant, quelque chose qui détourne de lui ceux qui devraient s'unir pour assurer son avènement. »