Rodin n'a pas d'héritiers
Rodin a une ascendance bien sûr, la sculpture française du XIXème siècle en partie, mais il n' a aucune descendance. Ses proches disciples ne lui ont pas fait vraiment honneur1…
au sens ou aucun n'a repris sa plastique singulière, son propos de sculpteur. Rodin c'est la manière gestuelle en sculpture, le modelage intégrant tous les accidents de matière, l'argile totalement libérée qui garde encore toutes les traces du travail dans les moulages en plâtre et les versions en bronze. Ce fut bien sûr un maître du dynamisme par ses poses et ses attitudes, par les rapports entre les masses, par les contorsions, et tout ce dynamisme de la forme fait aussi écho au dynamisme de la facture. Or que reste-t-il de cela chez un Bourdelle ? L'artiste a davantage puisé dans la statuaire archaïque grecque que dans la fluidité et la souplesse serpentine du XVIIIème, il n'a pas pris sa source à celle de Michel Ange ou à celle des classiques de l'hellénisme. Le mouvement chez Bourdelle n'implique aucune facture gestuelle, les boulettes de terre restent prisent dans la masse et ne conduisent pas autant le travail du modelé. Le hiératisme prime chez lui. Maillol qui se réclame aussi de Rodin aggrave la massification des formes ; et la sensualité de ses chairs, leur rondeur, n'empêche pas la géométrisation naissante et les blocs de l'emporter sur l'autre plastique tout en passage du grand Rodin. Plus d'accident de matière, la surface est lisse, tapotée régulièrement. Giacometti ? Il garde la facture mais il explore surtout la frontalité et le hiératisme, il privilégie quelques profils. On ne peut comparer L'Homme qui marche avec le sien, un squelette d'armature, totalement absent chez le premier.
Il y aurait en Rodin le legs d'une autre modernité qui tient en quelques mots : fragmentation, morcellement et assemblage. Oui, en effet, Rodin aura composé ses figures, progressivement, en réutilisant des morceaux. Mais cela n'en fait pas l'ancêtre du collage cubiste, ou de l'assemblage des reliefs de Picasso ou celui des constructions d'El Lissitsky. Matisse garde aussi la facture et conduit des déformations, des gonflements particuliers sur ses figures, ses têtes, à pleines pâte, amplement, dans les années dix. Mais qui ne voit que la forme est d'un esprit complètement étranger à celui de Rodin. La fluidité manque à tous ces artistes. Alors pour les pétrisseurs supposés expressionnistes à la Baselitz, véritablement informes pour le coup, le lien apparaît plus inexistant encore.
Seule, peut-être, une Germaine Richier, serait susceptible de s'inscrire dans le sillage du maître. Et certains modelages de César.
Évidemment on ne peut empêcher les mauvais Grand guignol de l'art d'aujourd'hui de revendiquer les corps sans tête ou sans main qu'ils perçoivent chez Rodin, pour les étalages de leurs installations, ou la confection de leurs monstres, ou l'exposition de leurs formes conceptuelles et mémorielles, et ce faisant de se couvrir surtout de ridicule par de si prétentieuses et ineptes références.
Quand le néodadaïsme, Hockney, Hirst et autres, se maquille en peinture et fait oublier son oeuvre véritable: celle de l'anti-peinture apparue au XXe siècle. On se souvient comment Dada a voté littéralement contre le droit à la peinture au sein de la Section d'or, le mouvement cubiste dont il faisait partie. Un "Droit à la peinture" qui est d'ailleurs une expression de Jacques Derrida.
Déjà une certaine kitschdéconstruction avait également sévi au titre de l'art contemporain. Et par une nouvelle actualité, l'article d'Elisabeth Roudinesco dénonce les contresens vulgarisateurs du terme déconstruction dans les théories du wokisme. Au même moment, un David Hockney prête à Derrida l'annonce que la peinture est morte. On y verra aussi le travail de sape du "sens commun".
Un article sur les Arts incohérents et le dernier livre d'Alain Badiou parus simultanément nous permettent de mieux voir comment dénoncer les processus de légitimation artistique partout à l'oeuvre, et aussi de mieux distinguer entre un art moderne toujours très plastique et un art contemporain d'une affiliation plus littéraire.
Alain Badiou revisite une nouvelle fois les notions d'art moderne et d'art contemporain. La conférence a été mise en ligne, nous en présentons un résumé commenté.
Badiou sur Soulages il y a dix ans. Et encore aujourd'hui. Le philosophe nous invite ainsi à penser la peinture de façon emblématique avec le geste de Soulages, au point de faire de son oeuvre l'expression même du contemporain, mais de façon non négative, non extravagante, comme un aboutissement.
Bacon exprime autant son indifférence à la poésie, aux mots - en peinture-, qu'il méprise l'art dominant de son époque. Ses entretiens recèlent une théorie esthétique qui se situe aux antipodes de l'exposition "Francis Bacon en toutes lettres" du Centre Beaubourg. Nous nous emploierons ici à tracer les linéaments de ce discours ou de cette théorie baconienne tout à fait radicale.
Une bien regrettable falsification en art : la filiation imaginaire avec Monet (Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet au musée de l’Orangerie)
Chacun son portrait. Celui de Trump est qualifié de Kitsch par Le Monde. Le Kitsch qualifie aussi non seulement l'oeuvre de Koons mais l'art de notre temps selon Laurent de Sutter.