Algérie : négationnisme de la droite extrême

Jean-Michel Aphatie a dit sur RTL le 25 février que la France, lors de la conquête de l’Algérie, avait commis des crimes comparables à ceux d’Oradour-sur-Glane (massacre de 643 habitants par la division nazie Das Reich le 10 juin 1944). Aussitôt, les intervieweurs (Thomas Sotto, Amandine Bégot et Florence Portelli élue LR) s’indignent, révélant leur ignorance ou leur participation active aux manipulations en cours dans certains médias, et pas seulement dans ceux de Bolloré. La direction RTL a annoncé qu’elle mettait Aphatie au rencart. La méthode a été partout, comme pour l’instrumentalisation en vogue de l’antisémitisme, d’accuser Aphatie d’assimiler la France au nazisme. Ce qui est cocasse c’est que sur la chaîne CNews qui, entre autres, par la voix de Pascal Praud a mené la guerre contre Aphatie, une élue locale Renaissance d’Ivry-sur-Seine, Rachida Kaaout, Présidente du Haut-commissariat des diasporas africaines de France, invitée du repris de justice Jean-Marc Morandini, a affirmé que la France n’avait pas commis des tueries de masse dans « des centaines de villages » comme l’avait dit le polémiste, mais… dans « des milliers » ! Cette parole, perçue de façon fugace, n’a pas été relayée.

En effet, il est vrai que l’armée française pour écraser la révolte des populations colonisées a commis des crimes de guerre (un futur président français, Emmanuel Macron, a parlé de « crimes contre l’humanité » : même s’il a fait quelque peu machine arrière par la suite, il ne peut s’être exprimé ainsi sans disposer d’un dossier étayé sur le sujet). Aphatie évoque la conquête et la lutte menée contre les troupes de l’émir Abd-el-Khader, par des militaires sans contrôle, des villages détruits, une brutalité qui épouvante l’Europe, une barbarie mémorable d d’officiers impitoyables dont le général Thomas Robert Bugeaud qui disposait de 100 000 hommes pour asservir les algériens (quartiers entiers d’Alger rasés, maisons et mosquées entrainant un exode de masse, vols des troupeaux). Même Alexis de Tocqueville a écrit que c’est la colonisation qui a rendu « barbares » les populations algériennes, elle a provoqué des famines, a volé, les terres. « Nous avons martyrisé un peuple pendant un siècle », disait Aphatie dans C l’hebdo le 23 janvier 2021. Et pendant la guerre d’Algérie (1954-1962), l’armée française a bombardé au napalm des villages algériens et jeté à la mer du haut d’un hélicoptère des prisonniers vivants (comme le fera plus tard la dictature argentine sur le modèle français). Il a cité le général Juchault de Lamoricière qui a théorisé le meurtre de masse des Algériens pour prendre leurs terres (comme l’ont fait plus tard les Nazis). Il prônait textuellement à ses hommes : « Tuez-les tous ». Une école porte pourtant toujours son nom à Paris !

On pourrait aussi parler des enfumades dont les grottes de Dahra (1845) où un millier d'hommes, de femmes et d'enfants périrent asphyxiés. Bien sûr, il y eut beaucoup d’autres massacres, les plus connus étant ceux du Constantinois (Sétif, Guelma, Kherrata) le 8 mai 1945 où certainement 15 000 civils algériens fusillés et bombardés sont morts.

Je tiens à préciser qu’Aphatie n’est pas ma tasse de thé, il a dans le passé exprimé sa haine des Gilets jaunes, s’est transformé en porte-parole de Bernard Arnault, a contesté les accusations de Mediapart contre Cahuzac. Certainement que les royalties qu’il tirait de ses prestations télévisées, comme tant d’autres stars de la télé, ne l’incitaient pas à faire autre chose que de la figuration. Mais là il semble se lâcher sur le dossier algérien (on ignore pourquoi mais ce qu’il dit est juste). Autre précision, les Français qui étaient installés en Algérie n’étaient pas tous d’affreux colons, ils n’ont pas forcément connu les atrocités dont l’armée française s’était rendue coupable (certains sont retournés en visite dans leur village natal et ont été très bien reçus).

 Mais aujourd’hui, une bande d’ignares, de bas du plafond, de Branquignol, s’offusquent qu’on puisse rappeler ce que firent au nom de la France des militaires dont les crimes sont tout à fait comparables à Oradour. Et pour lesquelles la France aurait dû s’excuser (au moins). Mais ni Pascal Praud, ni Rachel Khan, ni Gauthier Le Bret, ni Tugdual Denis, ni Jean-Marc Morandini, ni Hanouna qui sévissent sur CNews ou Europe 1, qui font des gorges chaudes et agonisent d’injures Aphatie, se préoccupent de savoir ce qui s’est réellement passé dans le nord du Maghreb : la France tuait du musulman, il n’y a aucune raison de s’en émouvoir. Hier [26/02], Rachel Khan susurrait avec la force de conviction qui la caractérise qu’Aphatie voulait ainsi cacher la traite négrière des arabo-musulmans, estimant, par ailleurs, que Le Monde de son côté est devenu « l’im-monde » pour avoir rendu compte des crimes israéliens à Gaza. La boucle est bouclée.  

. Jean-Michel Aphatie sur RTL le 25 février : ici. 

La "mission civilisatrice" de la France

Le 21 février 2022, dans l’émission C ce soir, alors que le Figaro magazine (de droite extrême avec Guillaume Roquette pour directeur) l’a traité de "Père la morale", il évoque avec virulence le cas du général de Lamoricière dont le mot d’ordre en Algérie était : « Tuez-les tous » (y compris femmes et enfants). Sur le plateau, les trois réactionnaires de service (dont Judith Waintraub justement du Figaro magazine) supportent assez mal sa tirade : ici.

Dans une autre émission quelques jours plus tôt (BFM, 18 février 2022), Aphatie avait décrit le massacre du 26 août 1955 à Philippeville (Skikda) : 2000 prisonniers, raflés dans la rue, fusillés à la mitraillette dans un stade par l’armée française.

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. J'ajoute que j'ai interrogé en 1982 l'ancien grand chef des FTP (un des plus grands mouvements de la Résistance), ancien ministre de De Gaulle à la Libération, Charles Tillon. Il ne niait pas les atrocités commises par les militaires français en mai 1945 dans le Constantinois : ils les attribuaient à des généraux, anciens fidèles de Pétain. Les massacres de Sétif et le témoignage que m'avait livré Charles Tillon. 

Quant au nombre de victimes, j’ai interrogé Pierre-Henri Teitgen, ancien résistant, ancien ministre de De Gaulle à la Libération et son frère Paul Teitgen, ancien résistant, déporté, ancien secrétaire général de la police à Alger démissionnaire pour dénoncer la torture : leur père, Henri Teitgen, avait été l’avocat de familles de victimes. Ils m’ont confié (en 1982) qu’il évaluait à 15 000 le nombre des victimes.

Billet n° 848

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

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