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Billet de blog 7 octobre 2025

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Rien ne sera plus jamais comme avant

J’admirais et admire encore les nombreux Juifs et Juives qui ont enrichi la pensée, la culture, l’art, l’humanité. Mais après le 7-octobre, dans la communauté juive, des gens n’ont exprimé aucune compassion pour les victimes palestiniennes. Ma gratitude va vers ceux qui, contre vents et marées, ont résisté et tenu les positions humaines qu’ils avaient toujours manifestées jusqu’alors.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Longtemps j’ai lu et étudié la tragédie de la Shoah (sujet de plusieurs rayons de ma bibliothèque). J’ai vu beaucoup de films qui en traitent (dont Shoah de Claude Lanzmann, vu dès sa sortie en salle, me rendant deux soirs de suite de Vesoul à Besançon pour voir les 9 heures de projection). J'ai régulièrement visité, lors de mes montées à Paris, le Musée d'art et d'histoire du judaïsme et le Mémorial de la Shoah. J’ai écrit sur la déportation des Juifs, j’ai recueilli et publié le témoignage de rescapés, j’ai dénoncé le dirigeant d’un ancien journal collabo antisémite qui m’a poursuivi devant les tribunaux (en vain), j’ai publié un texte sur la déportation [Pardonnez-nous notre silence] qu’une revue juive, plus tard, m'a demandé si elle pouvait le publier. J’ai dénoncé dans deux articles la méthode Dieudonné, antisémitisme par allusion sournoise. J’ai cessé toute relation avec un ami qui, un soir, m’avait dit que si les Juifs ont eu tant d’ennuis dans l'Histoire c'est qu'il devait bien y avoir une raison.

J’avais visité Auschwitz, très mal à l’aise sur la façon dont les autorités polonaises (avant la chute du mur de Berlin) passaient en vitesse sur le génocide visant les Juifs, et aussi, en visite à Prague, je m’étais rendu spécialement à Theresienstadt. J’ai lu Primo Levi, Walter Benjamin, Arthur Koestler (Le Testament espagnol est dans mon panthéon), Hannah Arendt, j’ai admiré Vladimir Jankélévitch, Pierre Vidal-Naquet. Je me suis convaincu qu’il y avait dans la communauté juive énormément de gens intelligents, estimables, promouvant de belles valeurs. Dans la littérature, dans la philosophie, dans la médecine, dans le journalisme, dans le cinéma.

J’ai suivi depuis une dizaine d’années les actions de France-Palestine, assisté à de nombreux rassemblements, conférences : je l’ai déjà dit, j’atteste sur l’honneur que jamais je n’ai entendu un mot, une allusion qui seraient antisémites. S’il en avait été autrement je n’aurais plus jamais participé à ces actions.

J’avais compris cependant qu’il y avait, parmi les Juifs, quelques brebis galeuses, tel polémiste sur CNews, ou tel député censé représenter les Français de l’étranger, tout en étant complice des suprémacistes cyniques à la tête de l’État d’Israël. 

Puis il y a eu le 7 octobre. Je ne reviens pas sur ces événements, dont le déroulement était suffisamment tragique pour qu’on ne rajoute pas une kyrielle de mensonges, contrairement à ce qu’ont fait les autorités israéliennes, reprises jusqu'à aujourd'hui par des propagandistes en France. Le 8 on n'avait plus que notre compassion, on ne pouvait empêcher un drame qui avait eu lieu. Mais aussitôt, la vengeance d’Israël a conduit à se prononcer contre ceux qui considéraient, et qui considèrent encore, que c’était la juste réponse à ce qu’ils qualifiaient abusivement de pogrome (ce que n’a pas été le 7-octobre, car d’une part tous les morts n’étaient pas juifs, d’autre part cela supposerait la complicité de l’État comme c’était le cas en Russie ou en Pologne jadis), sans admettre que cet acte terroriste ayant tué des civils s’inscrivait dans une longue litanie d’exactions menées par Israël (à commencer par la Nakba, 750 000 Palestiniens chassés de leurs terres, Gaza prison à ciel ouvert pour plus de deux millions de personnes, les deux Intifadas et surtout la seconde, et colonisation illégale et meurtrière en Cisjordanie). Cette "juste réponse" allait entraîner pendant deux ans plus de 66 000 morts, dont 20 000 enfants, et 170 000 blessés, chiffres admis par l'ONU, mais contestés par des chipoteurs qui mesurent bien que le bilan de ce massacre tend trop à minimiser celui du 7 octobre. Une vengeance effroyable qu’il était normal de contester pour qu’elle s’arrête, pour qu’un cessez-le-feu ait lieu. Mais celles et ceux qui s’insurgeaient contre cette violence sans limite furent aussitôt traités d’antisémites. Sans nier qu’il ait pu y avoir des dérapages et que la situation provoque de la part de réels antisémites des actions condamnables, globalement l’accusation était injuste et relevait d’une véritable instrumentalisation de ce racisme.

C’est ce qui me fait dire que, pour moi, plus rien ne sera comme avant. Je ne récuse pas ce que j’exprime ci-dessus, mes centres d’intérêt resteront les mêmes, ma compassion également. J’ai été bouleversé par le film Holding Liat de Brandon Kramer sur les otages israéliens du Hamas, vu en avant-première il y a trois jours, parce qu’il pose très bien les douleurs réciproques. Mais je sais clairement aujourd’hui qu’il y a dans la communauté juive des gens qui n’ont exprimé aucune compassion pour les victimes palestiniennes, qui n’ont cessé de véhiculer des paroles de haine, de mépris, qui ont tenté de rabaisser la valeur d'une vie humaine à Gaza, qui ont caricaturé la solidarité envers ces victimes, qui ont prétendu ne pouvoir éprouver de l’empathie si en face, selon eux, on n’en avait pas pour le 7-octobre. Et des médias ont massivement couvert cette façon de condamner une solidarité pourtant justifiée, les autorités françaises ont souvent été complices de cette présentation erronée d'un combat politique et humanitaire.

Je n’aurais jamais imaginé que des Juifs, se réclamant de leur judéité, puissent exprimer autant de haine à l’encontre d’autres être humains. Je n’essentialise aucunement, car ma gratitude va vers ces très nombreux Juifs qui, contre vents et marées, ont résisté et tenu les positions humaines qu’ils avaient toujours manifestées jusqu’alors.

Billet n° 885

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook 

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