En effet, si on ne s’indignait pas trop jusqu’alors sur des carrières longues qui étaient condamnées à cotiser bien au-delà de la durée légale (comme le ministre du Travail se plait à le rappeler), aujourd’hui cela parait insupportable. Or la réforme Macron-Borne-Dussopt repose en grande partie sur celles et ceux qui ont commencé tôt. Si on ne leur exige « que » 43 ans, alors la réforme en prend un coup. Il sera logique de réclamer la même chose pour celles (femmes) qui grâce aux années acquises pour avoir eu des enfants doivent dépasser 43 ans en durée d’assurance (voir un exemple fictif que je présente ci-dessous).
Par ailleurs, on n’a pas trop évoqué au cours des débats l’incohérence consistant à faire travailler davantage les séniors alors que les postes détenus seraient (presque) autant d’emplois que pourraient occuper les jeunes. Sont-ce la montée en force de l’apprentissage et les chiffres (suspectés d’être insincères) du chômage qui expliquent ce relatif silence ? En tous cas, il y a une question qui ne saurait tarder : pourquoi les années d’études, au moins une partie d’entre elles, ne seraient pas prises en compte ? Des jeunes commencent à s’insurger sur cette façon de présenter leurs études comme une partie de plaisir. Il s’agit bien d’un travail que les thuriféraires de la valeur travail se gardent bien de reconnaître. Non seulement certains professionnels ont bénéficié d’une prise en compte de leurs formations au cours desquelles ils étaient payés mais d’autres, moyennant des cotisations relativement faibles, ont pu racheter des années d’études (comme j’en ai témoigné, voir plus loin).

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Vendredi 17 février au Palais Bourbon :
Les débats à l’Assemblée Nationale sur la réforme des retraites se sont donc terminés cette nuit à minuit, sans que les articles décidant de la prorogation de l’âge de départ à 64 ans ne soient votés. Stratégie de la NUPES, et plus précisément de LFI, au grand dam de la droite qui aurait voulu un vote avec l’espoir qu’il soit positif. Une loi va arriver au Sénat sans avoir été votée à l’Assemblée, ce qui est un échec du gouvernement dont il doit assumer la responsabilité pour avoir choisi délibérément de modifier la loi par un biais qui ne permettait pas un débat sur la durée. La NUPES demandait juste, en vain, de prolonger d’une semaine.

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Tout tournait hier autour des départs en retraite pour celles et ceux qui ont commencé avant 21 ans. Oivier Dussopt avait publié un tableau bizarre, appelé "loterie" par ses opposants. L’Assemblée lui demandait des explications, il s’y refusait. Il a fini par prendre la parole dans son style saccadé habituel, essoufflé, renforcé par le fait qu’il est manifestement grippé. Sa tirade débitée rapidement était incompréhensible (identique à ce qu’il avait dit le matin sur BFM, présentant son tableau), mais il a eu droit aux applaudissements de la droite, debout. En réalité, personne n’avait rien compris, pas plus les députés de droite qui l'ovationnaient. Sauf qu’il disait que le système avait été retenu dans le bureau de la première ministre en présence d’Eric Ciotti, LR. Celui-ci avait l’air tout penaud et boudeur derrière Aurélien Pradié, LR également, qui demandait 43 ans pour tous ceux qui ont commencé tôt.
Quand le ministre a eu l’air d’approuver finalement l'amendement de Pradié (sans que l’on en soit sûr tellement ses explications et celles de la rapporteure sur LCP après minuit étaient alambiquées), alors se posait la question suivante : Dussopt avait déclaré publiquement auparavant, pour la combattre, que cette mesure coûterait 10 milliards d’euros. Si c’est vraiment le cas (sinon il aurait menti effrontément, ce qui laisse supposer bien d’autres mensonges, comme cela a déjà été le cas avec les 1200 euros minimum), alors cette réforme au final, qui devait faire 17 milliards d’économies, coûtera plus cher que ce qu'elle devait rapporter si l’on tient compte de toutes les mesures prises pour atténuer un peu son impact, mais au prix de deux années de plus au travail pour un grand nombre de Français.
Jusqu’à minuit, tout tournait autour de cela, et aussi sur les 90 000 chômeurs de plus provoqués par cette réforme (chômage, RSA…) selon la DARES, service officiel de statistiques (l’OFCE en prévoit 270 000 de plus) et la baisse de 3 % des salaires à terme, selon l’OFCE. La NUPES martelait sur ces questions, en rappels au règlement (58 dans la soirée), ou en commentaires d'amendement (frustrant pour le téléspectateur tant il est vrai qu'on aimerait entendre davantage d'arguments, qui pourtant ne manquent pas). Au grand dam d’une droite qui larmoyait (comme Eric Woerth encore ce matin sur France Inter, comme si cet homme de droite, qui, en bon sarkozyste, traine un certain nombre de casseroles, avait la moindre crédibilité pour donner des leçons). Le RN, tellement silencieux, cherchait comme toujours à tirer les marrons du feu : condamner le gouvernement et accuser la NUPES de faire obstruction.
Le député du Gers, Renaissance, Jean-René Cazeneuve, qui se prend pour d'Artagnan, a fait son petit numéro, jetant de l’huile sur le feu reprochant à la FI... de poser des questions alors même qu’elle ne votera pas la loi (!), et affirmant que 1,8 million de retraités bénéficieront d’une augmentation mais que ce n’est pas possible d’aller dans les détails. Alors que la gauche a ironisé sur le "mariage" Renaissance/LR, lui parle du "divorce" au sein de la NUPES.
L’ex-PS, Falorni, devenu Modem, agite son smartphone : il vient de lire que Laurent Berger a déclaré que l’Assemblée donne une image honteuse (Falorni est fortement applaudi par la droite). Olivier Faure (PS) lui fait une réponse percutante, rappelant que Laurent Berger et la CFDT sont dans la rue, y compris le 7 mars.

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Gabriel Attal, qui jusqu’alors défendait plutôt efficacement le gouvernement dans ses multiples interventions publiques, s’enfonce littéralement quand il reproche à la NUPES de vouloir s'en prendre aux classes populaires en taxant les heures supplémentaires, ce qui est de sa part le summum de la démagogie : oui, tout ce qui réduit les moyens de la Sécurité sociale est une atteinte à la protection sociale. Ce seul exemple en dit long sur l’hypocrisie d’une droite qui prétend vouloir sauvegarder le système par répartition et s'ingénie à affaiblir les moyens de la Sécu.
A la fin, Olivier Dussopt qui n’a plus de voix hurle quand même qu’il a été insulté mais n’a pas craqué : « nous ferons la réforme » ! Hugh ! Dans la salle des Pas Perdus, la FI chante « on est là, on est là », le chant des manifs, et appelle justement à la grande manifestation des syndicats du 7 mars (la France à l'arrêt).
[chronique mise en ligne le 18 février à 9h]
. NB : à midi, ce samedi 18 février, Aurélien Pradié a été viré de la direction de LR par le Duce des Alpes-Maritimes. Le député du Lot n’avait pas seulement reproché à Olivier Dussopt de faire des mots croisés dans l’hémicycle mais avait été aussi applaudi par la NUPES avec son amendement sur les 43 ans pour toutes les ʺcarrières longuesʺ.

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Les perdants
Le Parisien a publié un tableau destructeur sur les durées de cotisations selon l’âge de début de carrière. Thomas Piketty confirmait ce matin sur France Inter que ceux qui ont commencé tôt seront perdants : si le gouvernement avait décidé de fixer pour tous ceux-là 43 ans de durée de cotisation, il n’aurait plus été nécessaire de parler d’âge de départ à 64 ans (puisque ceux qui ont commencé plus tard seront de toutes façons au-delà de 64 ans : 22 + 43 = 65). Il indiquait une nouvelle fois que cette réforme se fait au détriment des plus bas salaires (ceux qui ont commencé tôt). Cette insistance à s’accrocher au 64 ans signifie qu’« il y a un loup » !

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Les femmes sont aussi plus particulièrement perdantes : avec les années obtenues pour enfants (dans le privé, une année par naissance ou adoption, éventuellement une autre pour éducation si ce n’est pas le père qui en bénéficie), elles pouvaient partir à 62 ans. Avec la réforme, il leur faudra tout de même travailler deux ans de plus*. Il ajoutait, à juste titre, que la décote ne devrait pas s’appliquer aux petites retraites (aujourd’hui en % elle est identique quel que soit le montant de la pension). Enfin, il confirmait que l’histoire des 1200 euros minimum a été de l’affichage, qui a été très bien démonté par Mickaël Zemmour (cet économiste nullement m’as-t-vu est félicité partout pour sa perspicacité, encore hier sur le plateau de C ce soir, sur France 5). Quel bonheur d’écrire ce nom sans que cela ait à voir avec un agitateur raciste qui, espèrons-le, est en train de se faire oublier.
Dominique Seux disait qu’il recevait des mails d’étudiants qui disaient qu’étudier c’était aussi bosser ; c’est vrai : d’ailleurs, j’ai écrit que j’étais pour la suppression de la décote (qui pénalise considérablement le fait de prendre une retraite anticipée, déjà réduite au prorata de la durée de cotisation) et aussi que les années d’étude soient prises en compte en tout ou partie comme durée de cotisation. J’ai expliqué dans mon billet précédent Chroniques retraites que j’en avais bénéficié pour avoir fait des études d’assistant social (3 années après le Bac), la CNRACL (caisse de retraite du public territorial) m’a accordé 11 trimestres moyennant 4200 euros (soit très peu, avec prélèvement mensuel sur trois ans).
* exemple d’après mes calculs : prenons le cas (fictif) de Myriam, née en 1966, qui après des études, a commencé à travailler à 24 ans, en 1990. Au cours de sa carrière, elle a eu deux enfants, ce qui lui donne 4 ans d’assurance supplémentaires (pour naissance et éducation). Avec la loi actuelle, après 38 années et 3 mois de carrière, elle peut partir en 2028 à 62 ans et 3 mois (38,3 + 4 = 42,3 ans, la réforme Touraine ne lui imposant alors ʺqueʺ 42 ans et 3 mois de durée de cotisation). Avec la réforme Macron-Borne si elle est adoptée, Myriam, en 2028, à 62 ans, ne pourra pas partir en retraite car il lui sera alors demandé 43 années pleines d’assurance et on lui exigera alors de ne partir qu’à 63 ans et 6 mois (les 64 ans seront exigés en 2030). Soit un an et demi de plus (ce qui du coup l'obligera à effectuer 43 années et six mois, au lieu des 43 exigées).
Si elle n’avait pas cet avantage enfants, elle serait partie à 66 ans et 3 mois (en 2032) sous la loi Touraine, et à 67 ans (en 2033) dans la réforme prévue, soit 9 mois de plus. Manifestement, les femmes ayant eu des enfants sont plus sévèrement sanctionnées par la réforme.
[on l’aura compris : quand j’écris 38,3 ans, cela signifie 38 ans et 3 mois]
[17 février]

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« Femmes, faites des enfants »
Je n’ai pas suivi les débats à l’Assemblée Nationale assez longtemps pour savoir si vraiment la NUPES, et plus précisément France insoumise ont été aussi insupportables que ce qui se dit, en particulier dans les rangs de la droite et de l’extrême droite. Ce que j’ai vu hier soir ce n’est pas seulement le fait que les intervenants quels qu’ils soient attrapent le micro et le tordent quand ils ont fini, en le rabattant, comme s’ils et elles voulaient marquer par ce geste leur autorité et la force des propos prononcés (au point que je me demande comment les flexibles tiennent le coup dans la durée). Non, je voulais juste relever le nouveau mantra de l’extrême droite RN et de la droite parfois extrême LR : inciter les femmes à faire des enfants pour parvenir à l’équilibre du système des retraites. Ils gémissent sur les prestations familiales [PF] qui ne sont plus universelles (versées de plus en plus en fonction des revenus) et du quotient familial [QF], en défense des classes sociales qu’ils représentent. Si pour les PF, je pense, pour une autre raison, qu’il vaudrait mieux ne pas les transformer progressivement en mesures d’aide sociale (faisant disparaître leur caractère Sécurité sociale), pour le QF c’est purement une revendication de classe, car cette réduction d’impôt pour les plus riches (en fonction du nombre d’enfants) est véritablement une mesure injuste (car ceux qui paient beaucoup d’impôts en paient beaucoup moins) aux frais de la princesse, c’est-à-dire de tous les citoyens.

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Sandrine Rousseau et Cyrielle Chatelain, (toutes deux EELV) leur ont répondu vertement, Sophia Chikirou (LFI), aussi, mais également Prisca Thévenot de Renaissance : toutes ont dit que le ventre des femmes n’est pas une variable d’ajustement. Les hommages de Jordan Bardella à la Hongrie d’Orban qui renvoie les femmes au foyer ont été vertement dénoncés.
[16 février]
. Chroniques parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets, reproduites ici avec quelques variantes.
. Voir mon billet Moi, retraité du 18 janvier dans lequel je désavouais les retraités qui approuvent la réforme des retraites. J’affirmais qu’il est bon de vivre, après une vie professionnelle, un temps éventuellement actif, si on a la santé, mais libre de toute contrainte qui ne soit pas volontairement choisie. Je démontais, point par point, la réforme telle qu’envisagée par le gouvernement.

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Billet n° 722
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600.
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup