Un chalet dans la montagne enneigée. Une étudiante s’y aventure pour interviewer Sandra, une écrivaine renommée, qui n’est pas indifférente au charme de l’étudiante mais interrompt l’échange car une musique tonitruante règne dans le chalet : le mari, Samuel, fait tout pour importuner sa compagne. Un peu plus tard, Daniel, 11 ans (Milo Machado Graner, impressionnant), fils du couple, découvre son père, mort, tombé peut-être d’un balcon.
Les relations du couple étaient plus que tendues, les soupçons de la police se portent sur Sandra. Elle dément cependant qu’il ait pu se suicider, car il savait que son enfant était tout proche : aveugle suite à un accident, l’enfant se promenait dans les environs avec son chien-guide. Vincent (Swann Arlaud), avocat, va tout mettre en œuvre pour assurer la défense de son amie Sandra. Plus on avance dans ce film, plus on mesure combien le couple se déchirait, sur fond d’échec du mari, écrivain en panne, tandis que son épouse publie avec succès (il l’accuse d’avoir pillé un de ses livres). Il lui reproche de décider de tout : on le sait car (pour un futur roman ou pour collationner des preuves) il enregistrait discrètement les scènes violentes qui les opposaient. Elle se plaignait qu’il ait toujours peur, et ainsi de se mettre « hors-jeu ». Traces à double sens, car elles accusent les deux tout autant.
Un second temps dans ce film long (2h30) est consacré au procès au cours duquel Sandra est jugée, en présence de l’enfant qui l’a exigé : à la présidente qui s’inquiète pour lui, car il risque d’être heurté par ce qu’il va entendre et comprendre, il répond tout de go : « j’ai déjà été heurté ». Il ajoute que si on l’empêche, il saura tout par Internet et à la radio. Le procureur est dans la caricature du magistrat brutal, sûr de lui, sa conviction étant faite, il harcèle la suspecte, alors qu’il n’y a aucune preuve, juste des présomptions. Antoine Reinartz est époustouflant dans ce rôle, crâne rasé, comme il avait été stupéfiant dans 120 battements par minute. L’étudiante est interrogée abruptement, elle voudrait nuancer, mais la justice n’est pas dans la nuance. L’avocat l’a dit : un procès n’est pas là pour dire la vérité. La jeune femme, sommée de s’exprimer sur Sandra, estime qu’il est difficile de savoir ce que pense quelqu’un qu’on ne connait pas, à quoi le proc rétorque : « j’en sais quelque chose, je suis payé pour ça ». Sandra, impassible, désabusée, explique sa liaison avec Samuel par le simple fait qu’elle avait voulu quitter le « trou » de sa famille en Allemagne pour en rejoindre un autre, celui de cet homme qui avait tout de même un mérite : elle le comprenait, alors qu’elle n’avait jamais compris sa famille.
Tout est traité en sous-entendu, jamais directement, ce qui crée une atmosphère lourde, entre thriller et film psychologique. L’enfant est aveugle suite à un accident dû au père qui était venu tardivement chercher son fils à l’école, grief classique qui a empoisonné un temps les relations du couple, elle sans doute accusatrice, lui culpabilisant. Le psychiatre du mari (Wajdi Mouawad) est convoqué à la barre : il lui reproche d’avoir été castratrice avec son homme, à quoi elle répond qu’il a eu le tort d’avoir laissé Samuel s’installer dans la plainte, reportant sa douleur sur l’enfant. « Parfois un couple c’est un chaos », entend-on, ce qui aurait pu aussi servir de titre.
Pendant toute la durée de la procédure, une jeune femme de justice, Marge, est chargée de vivre à domicile pour surveiller Sandra et Daniel, pour s’assurer que ce dernier n’est pas en danger auprès de sa mère qui est tenue à parler français pour que Marge puisse suivre les conversations. On ignore où un tel dispositif existe en France, où l’histoire est censée se passer.
Le générique remercie Gilles Deleuze et Jean Racine ! On sort sonné de ce film, sans avoir le sentiment qu’il a duré si longtemps. Le jeu de Sandra Hüller est fascinant. D’autres films auraient certainement mérité de se voir attribuer la Palme d’Or à Cannes mais celui-ci, réalisé par Justine Triet, est particulièrement réussi.
. sortie en salle ce mercredi 23 août. Vu en avant-première le 23 juin dernier à Ciné32 à Auch lors de son AG annuelle.
Victoria ou la victoire d’une avocate surbookée
Ce film de Justine Triet, sorti en 2016, est un bon moment de détente, mais il ne casse pas trois pattes à un canard. Virginie Efira a manifestement du talent, elle incarne à la perfection son personnage, mais l'avocate pénaliste mignonne et surbookée, avec deux enfants petits, encombrée d'un ancien mari, d'un vieux pote et de nombreux amants d'un jour, c'est presque ringard. Comme dans Anatomie d’une chute, il y a conflit sur un scénario : Victoria a un ex qui ambitionne d’être écrivain à qui elle reproche d’avoir raconté leur vie en dressant d’elle une image peu flatteuse.
Vincent Lacoste, dont on nous fait régulièrement l'éloge, en grand ado baby-sitter, gauche et énamouré, joue un personnage assez convenu : on croirait revoir Christophe Bourseiller dans Un éléphant ça trompe énormément. Critique datant de 2016 : il est meilleur dans des films ultérieurs (comme De nos frères blessés, de Hélier Cisterne ou Amanda de Mikhaël Hers).
Dalva ou l’ado révoltée
Dès le générique, sans images, on entend des hurlements qui laissent augurer d’un film sous tension. Effectivement, nous plongeons dans un scénario violent : Dalva, 12 ans, arrive dans un foyer éducatif, où toutes et tous ont des histoires fracassées. Il y a certainement des raisons même si elle dit qu’elle ne sait pas pourquoi. On l’a vu maquillée, cherchant à se montrer femme. On a assisté à l’arrestation du père et au placement de la fille. Un jeune dit : « nous, on sait tous pourquoi on est là ». La différence avec l’extérieur, c’est qu’ici on n’en a rien à foutre de ce qui justifie ton placement. Alors qu’à l’école, ils te le font sentir.
Dalva ne veut pas voir sa mère, qui ne l’a pas élevée (elle est partie quand l’enfant avait deux ans) mais réclame de revoir son père, qui est en prison. Le juge accepte une visite, elle se fait belle. On comprend ce qui a provoqué l’éclatement de cette famille. Le père semble étrangement faire amende honorable, ce qui est rarement le cas des pères incestueux cherchant plutôt à se victimiser. Tout le travail éducatif va consister à aider cette jeune fille à se reconstruire, malgré tant de résistances de sa part. Elle a peur de ne plus compter pour personne. Les éducateurs sont présentés de façon plutôt positives. C’est là que l’on comprend qu’on est en Belgique (pas d’ASE-bashing si prisé en France par les documentaires, moins par les films il est vrai). Pourtant le mot ASE est prononcé une fois, sans doute pour que le film puisse fonctionner en France.
Une mention spéciale pour Zelda Samson qui joue Dalva, criante de vérité. On sort tourneboulé par cette histoire et plus encore par la capacité d’une ado à interpréter un tel rôle avec autant de conviction, regard buté, colères effrayantes, tentative de séduction des adultes. Elle a déjà obtenu plusieurs prix pour sa prestation dans ce film.
. film belge et français d’Emmanuelle Nicot (son premier long-métrage) vu en avant-première au festival Indépendance(s) & Création de Ciné 32 le 7 octobre dernier à Auch (Gers). Cette chronique est parue sur ma page Facebook le 22 mars 2023, jour de la sortie du film en salle. Emmanuelle Nicot a réalisé en 2016 un court-métrage À l’arraché qui se déroulait déjà dans un centre d’accueil pour mineurs, ce qui l'avait conduite à vivre un temps dans un tel centre pour mieux en connaître la réalité, contacts qui l'ont aidée dans la réalisation de Dalva.
Billet n° 749
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600.
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