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Billet de blog 25 septembre 2024

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Maintien de l’ordre sur l’A69 : une guerre d’usure

Une commission d’enquête de la Ligue des droits de l’homme rend compte de la façon dont les autorités publiques, au profit d’une société privée, ont assuré le maintien de l’ordre sur l’autoroute A69, dans le Tarn : avec de nombreuses atteintes aux droits humains, selon une stratégie de l’attrition, faite de harcèlements, d’insultes et de maltraitances.

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Illustration 1

La Ligue des droits de l’homme (LDH), section de Toulouse, a mis en place une commission d’enquête sur les opérations de police et de gendarmerie contre les opposants à l’A69 dans le Tarn (chantier de l’autoroute Toulouse-Castres), comme elle l’avait fait après la mort de Rémi Fraisse à Sivens en 2014 (dans le Tarn également). La LDH est par ailleurs partenaire de l’Observatoire toulousain des pratiques policières (OPP), créé en 2017 par des militants de la LDH, de la fondation Copernic et du SAF (syndicats des avocats de France). L’OPP a publié déjà 4 rapports sur ses observations lors de plus de 250 manifestations. La commission d’enquête, elle, rend compte d’atteintes aux droits humains à partir des observations et du recueil de divers témoignages (y compris émanant de journalistes). La concession de l’A69 est assurée par une filiale de la société de travaux publics NGE, Atosca, qui procède à la construction et assurera également l’exploitation du péage.

Illustration 2

30 entretiens ont été menés sur site ou en visio, ou recueillis par courrier. Des membres de la LDH et de l’OPP ont rejoint la commission d’enquête, et des avocats bénévoles ont appuyé les travaux de la commission sur les aspects juridiques. Certains témoins sollicités redoutaient dans un premier temps d’avoir affaire à des policiers, traumatisés par ce qui est arrivé à un « père de famille qui est sorti du commissariat avec trois fractures au visage après un interrogatoire ».

Guerre d’usure

Illustration 3
Déploiement d'armes contre les opposant·es à l’A69 : hélicoptère, blindés Centaure, lacrymogènes… et départ de feu. Puylaurens, le 8 juin.

Le rapport de 88 pages ne se contente pas de livrer des témoignages, il vise à montrer de quelle façon le pouvoir organise la répression à l’encontre des écologistes et à comprendre pourquoi des jeunes s’engagent dans le combat pour la défense du vivant (les arbres, dans le cas de l’A69). L’État cherche à criminaliser la désobéissance civile écologiste. Pour étouffer toute contestation, les autorités politiques ont manifestement choisi une stratégie sur laquelle le rapport de la commission d’enquête met particulièrement l’accent : elle est qualifiée d’attrition, qui consiste à user, raboter, broyer les opposants, c’est-à-dire les harceler, les insulter, les maltraiter, dans le but de faire en sorte que les défenseurs de la nature lâchent prise. Cette guerre d’usure totalise de très nombreuses interpellations, plusieurs centaines de gardes à vue, des poursuites judiciaires, 60 procès engagés, 44 contrôles judiciaires, 27 personnes interdites de territoire, 4 condamnées à 6 mois d’emprisonnement avec  bracelet électronique, 2 avec 4 mois et 6 mois fermes. Les plus motivés vont poursuivre leur combat en prenant de plus en plus de risques pour leur sécurité, d’autres, redoutant cette répression, vont freiner leur soutien. Des incitations à se rendre avec promesse d’aucune poursuite n’ont pas été respectées.

Illustration 4
Gazage sur les soutiens aux écureuil.les. La Crém'arbre, le 1er mars 2024.

Les auteurs du rapport font l’hypothèse qu’il s’agit d’une « expérimentation empirique in vivo » d’une stratégie de siège des "écureuils" (militantes et militants installés dans les arbres pour empêcher l’abattage) par un harcèlement permanent : empêchement pour les écureuils de s’alimenter, de boire, de se soigner, coups de couteau sur les tentes, abris détruits pour les contraindre à dormir sous la pluie, cris des CRS dans la nuit, frappant fort sur les troncs des arbres, vol ou captation des effets personnels, confiscation des téléphones, fichage et surveillance numérique, contrôles d’identité vexatoires, gardes à vue sans motifs, interpellations gratuites, intimidations, insultes (du style : « je vais manger ta mère » !), menaces de viols, propos obscènes, prises d’ADN sur les vêtements, déploiement de forces complètement disproportionnés, armement en surnombre et théâtralisé pour impressionner, violences par gaz lacrymogènes, grenades explosives et matraquage à l’encontre de défenseurs du vivant accusés, par un abus de langage coupable, d’être des « écoterroristes ».

Illustration 5
La Crém’arbre est dévastée après le passage d’une pelleteuse. Les militant.es recherchent leurs afaires personnelles... en vain. Le 22 janvier.

Un vieil opposant considère que ce sont des méthodes de guerre à l’encontre de civils. Le rapport, à chaque fois, précise le contexte, les lieux, les témoignages. Il décrit les abus et tricheries des forces de l’ordre comme lorsque J. donne un coup d’épaule contre un bouclier ce qui lui vaut, deux mois plus tard, une arrestation à son domicile à 7 heures du matin, violenté (trois fractures au visage, genou fracassé au sol). Il croit à une erreur, mais il est accusé d’avoir renversé le gendarme qui a obtenu 45 jours d’ITT ! J. est condamné à dix mois de prison avec sursis. Rappelons que Michel Horst, le représentant de l’ONU avait réclamé une enquête et des sanctions après des actes des forces de l’ordre ayant pu mettre en danger des militants sur le chantiers de l’A69. Si des militants parlent carrément de « torture », une avocate préfère la formule « traitements inhumains et dégradants ». Plusieurs témoignages attestent qu’il y a eu de véritables tentatives de la part de la CNAMO (cellule nationale d’appui à la mobilité, sous-officiers chargés du maintien de l’ordre en hauteur) de capturer coûte que coûte les "écureuils", au risque de les faire chuter. Plusieurs cas sont recensés, dont deux écureuils tombés d’un arbre de 6 mètres, un autre tombé d’une tour de 7 mètres, grièvement blessé, avec 5 vertèbres fracturées.

Par ailleurs, sont décrits des refus de soins (menaces avec des lanceurs Cougar pour empêcher de secourir une personne gravement blessée). Le rapport liste de nombreux cas d’entraves et de violences qui font froid dans le dos, de mensonges aussi quand un gendarme ment effrontément en accusant un observateur (de l’OPP) d’avoir lancer un projectile. Les auteurs se posent la question : face à des comportements si peu républicains des forces de l’ordre (FDO), répondent-ils à des directives de la hiérarchie ? S’il est noté que tous les agents des FDO ne se comportent pas de la même manière, cependant, manifestement, la hiérarchie vise à entretenir un climat de tension. Une milice privée apporte son concours : jets de pierres sur un abri, sur des chiens, insultes homophobes, et menaces de viols et autres menaces que le rapport liste. Cette milice est allée jusqu’à tenter de mettre le feu à une maison (Le Verger) encore occupée par une locataire qui refusait de partir avant la fin de son bail. Un observateur a été aspergé d’essence. La locataire, excédée par deux tentatives d’incendie, par l’arrachage des lignes électriques et coupures d’eau, a fini par céder et s’en est allée. Sur les lieux, des traces de chenilles ont été décelées, ce qui signifie qu’un engin a procédé aux forfaits : on se demande bien d’où il pouvait provenir ! Depuis le départ de la locataire (qui soutenait les zadistes), un tas de terre de 6 mètres de haut a été déversé contre le mur de la maison du Verger, menaçant sa stabilité.

Illustration 6
Quatre nervis se préparent à mettre le feu pour la seconde fois en une semaine, au portail de la ZAD du Verger. On distingue au centre de l'image, le jet d'essence qui s'écoule. Intervention des militant·es pour éteindre cet incendie. Le Verger, le 1er septembre 6h50.

La commission d’enquête se penche sur ce qu’est la désobéissance civile, violation délibérée de la loi mais, dans le cadre d’une manifestation pacifique, elle relève d’un droit à manifester et à s’exprimer. Le représentant de l’ONU déjà cité avait tenu à rappeler que réprimer cette expression constitue une menace majeure pour les droits humains et la démocratie. En traitant les militants d’ « écoterroristes » ou de « djihadistes verts », termes complaisamment et odieusement repris par des chaines de télé en continu, les représentants de l’Etat criminalise sans vergogne ce mouvement social. Ce n’est pas nouveau : le rapport fait le parallèle avec Sivens, où la guerre d’attrition s’est soldée par la mort de Rémi Fraisse. La presse mainstream, tant locale que nationale, se fait régulièrement le porte-voix de campagnes de discrédit envers des citoyens soucieux de l’avenir de la planète et opposés aux projets incohérents et destructeurs. Toute cette jeunesse courageuse, engagée, prenant des risques, est non seulement violentée mais discréditée par des notables et des propagandistes imbus de leurs certitudes, soucieux de protéger leurs petits (et gros) intérêts.

Les constats inquiétants faits par la commission d’enquête de la Ligue des droits de l’homme corroborent ce qui a déjà été relevé dans de précédents rapports. Pas seulement pour ce que cela dit de l’état de la France dans sa volonté de protéger le vivant (toutes les déclarations d’intention officielles ne sont manifestement qu’hypocrisie) mais aussi parce que cela révèle les reculs flagrants de notre République en matière de maintien de l’ordre depuis une dizaine d’années (loi Travail, Gilets jaunes, luttes environnementales). Une autre commission, parlementaire celle-là, devait se pencher sur ce qui se passe sur le tracé de l’A69 mais la dissolution de l’Assemblée l’a rendue caduque. Quant au préfet du Tarn, il a été déplacé pour protéger le personnel de la préfecture de la hargne de son chien ! Le poste est vacant : qui ordonne aux forces de l’ordre d’exercer un maintien de l’ordre si violent ?

Pour le moment, la contestation reste isolée et n’intéresse pas grand-monde. La mise en cause des comportements policiers et donc de la hiérarchie et du pouvoir politique n’est pas franchement prise au sérieux. Mais le fait d’en conserver trace par ces témoignages laisse entrevoir que les coupables auront un jour, souhaitons-le, des comptes à rendre. On ne peut en toute impunité laisser s’installer, par cette stratégie d’attrition, des méthodes indignes d’une démocratie.

Illustration 7
Descente attendue des écureuil·les après 40 jours de siège. La Crém'arbre, le 24 mars.

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Le rapport de la commission d’enquête, au-delà des actes condamnables des autorités et des policiers et gendarmes chargés de réprimer la contestation, cite également les diverses infractions concernant le chantier (comme l’abattage illégal d’arbres par Atosca, la société concessionnaire de l’autoroute, comme Mediapart l’a renseigné cet été). De nombreuses plaintes sont pendantes devant le tribunal administratif et le tribunal correctionnel.

. Le rapport contient une frise bien faite, permettant de visualiser l’historique des luttes écologistes, depuis 1971, le Larzac, en passant par Plogoff, Creys-Malville, Sivens, Bure, Notre-Dame-des-Landes, Val Tolosa, Méga-bassines des Deux-Sèvres (Sainte-Soline). Par ailleurs, le document est très fourni en photos (dont celles reproduites dans le présent article).

. Trois fractures au visage lors d’une interpellation : voir France Tv Info ici.

. Rapport de la commission d’enquête sur les atteintes aux droits lors des opérations de police et de gendarmerie contre les opposant·es à l’A69 en février et mars 2024

Illustration 8
Conférence de presse dans les locaux de la LDH pour la présentation du rapport ce jour, 25 septembre [Photo DR]

Le rapport de la commission d'enquête sera envoyé aux autorités et à Michel Forst, le représentant de l'ONU, qui est venu sur place il y a quelques mois. Il sera prochainement présenté à Toulouse puis dans le Tarn.

. Sur Mediapart : 

Autoroute A69 : une lutte sans concession (27 articles).

. Rappel sur Social en question :

A69 : les forces de l’ordre sous surveillance [13 mai 2024] :

L’Observatoire toulousain des pratiques policières publie un rapport sur la façon dont la police et la gendarmerie ont agi à l’encontre des opposants à la construction de l’autoroute A69 qui doit relier Toulouse à Castres, dans le Tarn. Sévère mise en cause des méthodes de maintien de l'ordre.

A69 : où se situe la violence ? [25 octobre 2023] :

Réponse au discours dominant et à la désinformation ambiante concernant le week-end de mobilisation des 21 et 22 octobre contre l’A69 (témoignage). En annexe, déclaration d’un ancien du GUD… sur les violences !

 Rapport sur les violences policières [28 novembre 2023] :

L’Observatoire toulousain des Pratiques Policières (OPP) vient de publier son troisième rapport sur le maintien de l’ordre et sa dérive liberticide et violente. Ses constats ne consistent pas seulement à observer et à dénoncer les excès qui dérogent au droit mais aussi à repérer leur impact sur les conditions concrètes d’exercice de la démocratie.

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Malgré les risques, la CNAMO intervient de nuit sur les écureuil·les avec une nacelle. La Crém'arbre, le 20 février 2024.

Billet n° 821

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

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