La pauvreté observée de près
- 26 nov. 2020
- Par YVES FAUCOUP
- Blog : Social en question



Les auteurs constatent que, entre 2002 et 2018, le nombre de pauvres a progressé de 1,4 million (soit + 35 %, passant de 3,9 à 5,3 millions) et entre 2008 et 2018, le niveau de vie des 10 % les plus pauvres a baissé de 3 % (il aurait même baissé de 12 % si l’on ne prenait pas en compte les prestations sociales). Cela « reflètent bien la situation de la France, comme de nombreux pays riches : une croissance terne qui se traduit soit par du chômage, soit par la création de pseudo-emplois, et une pauvreté qui ne se résorbe plus. En face, les classes aisées dont les niveaux de vie continuent à progresser ».
![Musée Victor-Hugo, Besançon [Ph. YF] Musée Victor-Hugo, Besançon [Ph. YF]](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2020/11/26/img-5667-2.jpg?width=972&height=1305&width_format=pixel&height_format=pixel)
Les différentes pauvretés
Un chapitre traite des différentes façons de mesurer la pauvreté. La pauvreté monétaire relative (en pourcentage du revenu médian), la pauvreté « légale » (comptage des allocataires de minima sociaux), la pauvreté en conditions de vie (avec bien d’autres critères que la seule question monétaire) et la pauvreté absolue (en se référant à ce qui est nécessaire pour vivre dignement, les biens absolument nécessaires, selon des budgets-types, sans dépendre d’une moyenne nationale, c’est cette pauvreté absolue qui est prise en compte dans les pays en voie de développement et… aux États-Unis).

Aujourd’hui, les pauvres sont ceux qui ont une formation insuffisante, les célibataires et les familles mono-parentales, les personnes en situation de handicap. Et les jeunes, étudiants, en attente de trouver un emploi. Le rapport effectue un focus particulier sur cette question cruciale aujourd’hui, car 52 % des pauvres dans le pays ont moins de 30 ans : un travail a été réalisé pour déterminer quelles sont les ressources propres aux jeunes (travail, aides des parents).
« Les enfants pauvres n’existent pas »
Le nombre d’enfants vivant dans des familles pauvres augmente (830 00 jeunes, soit 16,5 % des pauvres), mais le rapport se méfie d’une approche émotionnelle de la question : « un très large consensus existe dans notre société pour trouver intolérable la situation de ses enfants, et pour s’accorder sur le fait qu’il faut se donner les moyens de l’améliorer et de la prendre en charge », or s’ils vivent dans la pauvreté « ils ne sont pas des enfants pauvres mais des enfants de pauvres ».
D’autres dimensions de la pauvreté sont abordées, qui se cumulent : la pauvreté scolaire, pauvreté du travail, du logement, pauvreté énergétique, des relations sociales, du temps libre, des nouvelles technologies (illectronisme, à l’image de l’illettrisme : « l’incapacité, pour des raisons matérielles ou le manque de compétences, d’utiliser les ressources et moyens de communication électronique », selon Insee).

La courbe de cette opinion publique par rapport à la pauvreté suit la courbe de la pauvreté. Quand la situation économique et de l’emploi s’améliore, l’opinion publique est moins sensible, dans le cas contraire elle s’inquiète y compris pour elle-même : 88 % de la population redoutent que la pauvreté croisse au cours des 5 prochaines années (avant la crise sanitaire). 18 % des Français s’estiment pauvres (en hausse) et 32 % craignent de le devenir (soit un total de 40 % de la population, ce qui est considérable et ne peut pas ne pas avoir d’impact sur notre vie sociale).
Tolérance envers les pauvres
55 % des interrogés considèrent que les pouvoirs publics ne font pas assez en faveur des plus démunis, avec une part d’ambiguïté puisque, plusieurs réponses étant possibles, si 70 % pensent que les uns sont pauvres parce que manquant de formation et 59 % qu’il n’y a pas assez de travail (bien vu), 56 %, tout de même, considèrent que c’est la faute à pas de chance… et 50 % parce que les pauvres ne font pas d’efforts.
A noter que l’enquête du ministère relevait en 2019 que 62 % des Français pensent qu’il faut augmenter le RSA ! Je milite pour cela, sur ce blog et ailleurs, depuis des années, l’Observatoire des inégalités a beaucoup écrit, et le rappelle dans ce rapport, sur le projet d’un Revenu Minimum Unique au niveau du seuil de pauvreté (à 50 % du revenu médian, avec prestations sociales et après impôts) soit à 900 euros, dès 18 ans. Ce RMU, qui prendrait en compte d’autres allocations (logement) représenterait un coût pour la Nation de 7 à 10 milliards : cela ne représente « que » la moitié de la baisse de la taxe d’habitation ! « C’est un choix politique », dit Louis Maurin, directeur de l’Observatoire.
« En dépit de discours répétés et amplifiés sur l’assistanat, les allocataires du RSA restent perçus comme des personnes dans une situation difficile qui reçoivent un minimum de solidarité de la part de la société pour leur éviter des situations encore plus dramatiques. Ce qui étonne finalement, c’est le faible impact dans l’opinion qu’obtiennent ceux qui stigmatisent les plus pauvres, alors que les médias leur accordent une large audience ». Comme pour l’immigration ou l’homosexualité, « la France reste profondément solidaire et tolérante », tolérance qui serait en lien avec la montée de la qualification des Français (selon les travaux de Vincent Tiberj Les citoyens qui viennent, comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, Puf, 2017).

Ces constats font chaud au cœur : cela relativise beaucoup la portée des discours que je qualifierais de racisme social, tenus par certains ténors de la droite et de l’extrême-droite. Ce que le rapport commente de la sorte : « s’il faut s’inquiéter des dérives des discours de certains élus et intellectuels, laisser penser que l’opinion suit massivement ceux qui pointent du doigt les plus démunis est une erreur. Ceux qui ciblent les assistés ne retirent pas un avantage aussi certain qu’ils le croient ». C’est ce qui expliquerait le « flop médiatique » du Président de la République lorsqu’il chercha à faire un pataquès en qualifiant les aides sociales de « pognon de dingue ».
Suite à la Covid-19, le gouvernement avec son Plan de relance d’au moins 100 milliards d’euros ne prévoit qu’à peine 2 % pour les plus démunis (allocations ponctuelles) et les quartiers défavorisés, mais refuse la moindre augmentation du RSA et de l’ASS, qui, pour une personne seule, n’atteignent pas la moitié du seuil de pauvreté.
Aujourd’hui même (26 novembre), Elisabeth Borne, ministre du travail, a annoncé que les travailleurs précaires (saisonniers, intermittents) percevraient une « aide exceptionnelle » de 900 euros par mois, allouée du 1er novembre jusqu’en février. Louis Maurin, lors de la visio-conférence de presse de cet après-midi, présentant le rapport, considérait que ce chiffre fixé à 900 euros (qui est celui du RMU) est plutôt de bonne augure, tout en restant circonspect sur la suite car, s’il préfère ne pas se prononcer sur le nombre de pauvres supplémentaires occasionnés par cette crise sanitaire et économique, il redoute que le chiffre souvent invoqué d’un million sera certainement largement dépassé. Il craint également qu’on attende trop pour faire les réformes nécessaires : « faut-il attendre qu’il y ait de la casse ? ou que les classes moyennes soient sévèrement impactées pour réagir ? ». Il y a urgence, en particulier en direction des jeunes de moins de 25 ans qui ne bénéficient d’aucune mesure d’aide, excepté la garantie-jeune de portée limitée. Lors de cette même visio-conférence, Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre, indiquait que les travaux de concertation sur le Revenu Universel d’Activité, voulu par Emmanuel Macron, se sont arrêtés au printemps dernier sans indication, à ce jour, des suites envisagées.
D’autres milliards d’euros sont annoncés pour d’autres secteurs, alors même que la pauvreté serait, sinon éradiquée, du moins fortement atténuée si l’État consacrait une partie seulement de ces sommes pour s’y attaquer sérieusement, par des aides financières et en mettant le paquet sur l’accompagnement à l’insertion. Jean Pisani-Ferry (économiste proche d’Emmanuel Macron, co-auteur en 2017 de son programme économique) écrit dans Le Monde de ce 26 novembre qu’« assurer l’égalité des chances sur l’ensemble du territoire est une excellente politique de croissance » car « conditions de vie dégradées et pauvreté monétaire éloignent de l’emploi, de la santé et de l’éducation ». C’est ce qu’explique, avec davantage de précisions, le rapport de l’Observatoire des inégalités qui mériterait d’être lu attentivement par les économistes mainstream qui squattent les plateaux de télévision et les dirigeants de ce pays.
![Manifestation Gilets jaunes, décembre 2018 à Besançon [Photo YF] Manifestation Gilets jaunes, décembre 2018 à Besançon [Photo YF]](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2020/11/26/img-0895.jpg?width=4032&height=3024&width_format=pixel&height_format=pixel)
. Rapport sur la pauvreté en France, Observatoire des inégalités, 2020, à commander ici.
Sous la direction d’Anne Brunner et Louis Marin. Avec la participation de Noam Leandri, Sarah Psimaras, Xavier Saint-Martin, Bernard Schlemmer, Valérie Schneider et Étienne Zundel. En collaboration et en soutien financier d’un important réseau de bénévoles et de la Fondation Abbé-Pierre et de Macif-Mutualité.
. Pour la création d’un revenu minimum unique, par Noam Leandri et Louis Maurin, Observatoire des inégalités, 16 octobre (MàJ).
. Voir aussi sur Social en question :
Les minima sociaux c’est pour les pauvres, 10 juillet.
Faim du confinement, 29 juin.
Rapport sur les riches en France, 9 juin.
Pour un Plan Marshall en faveur des plus démunis, 16 avril.
. Les « assistés ne sont plus une minorité désignée à la vindicte, mais des abstentionnistes qu’on espère voir voter », YF, Le Monde du 25 avril 2017. Le Front National (pas encore RN) a levé le pied sur ses accusations dont il faisait ses choux-gras contre les « assistés », préférant récupérer éventuellement leur vote et stigmatiser l’immigré, le sans-papiers, le demandeur d’asile ou le musulman.
Journée pauvres et précaires sur France Inter
France Inter consacrait la journée du 19 novembre au thème Confinés mais solidaires. Les associations caritatives étaient appelées à témoigner : le Secours Populaire, le Secours Catholique, les Restos du Cœur, la Banque alimentaire et ATD Quart-monde. Quelques témoignages de personnes en galère ont été apportés. Des questions d’importance ont été abordées : sur le montant trop faible du RSA et sur la nécessité d’instaurer un minimum social pour les jeunes (18-25). Il est heureux qu’au fil du temps, les associations sont de moins en moins sur des approches de simple générosité mais défendent la nécessité de permettre aux gens d’accéder à leurs droits sociaux. Et reconnaissent le rôle primordial des travailleurs sociaux dans ces associations (aux côtés des bénévoles). Ce fut particulièrement le cas de Véronique Fayet qui a des positions, tous comptes faits, assez progressistes à la tête d’une organisation du catholicisme liée à Caritas (elle fait efficacement oublier qu’elle fut jadis dans l’équipe d’Alain Juppé à Bordeaux, son adjointe aux affaires sociales, lui qui, lors de la primaire de la droite en 2017, n’avait pas exclu de baisser le montant du RSA).
Mon regret n’étonnera personne : il n’est pas acceptable qu’une chaîne de radio publique soit incapable de donner, à l’occasion d’une telle journée, la parole à des intervenants sociaux du service public (dont les travailleurs sociaux) dans les communes ou les départements. Pourtant leur nombre n’est pas négligeable et ils et elles contribuent grandement à ce que la solidarité prenne corps (avec les moyens du bord). Il serait aussi logique qu’un organisme indépendant comme l’Observatoire des inégalités soit entendu à ces occasions. Mais une bonne partie des médias ont une approche misérabiliste et caritative des questions sociales, et à dates fixes : pour la pauvreté et l’enfance en danger, seuls des bénévoles sont considérés aptes à en parler.
![Cadaquès [Photo YF] Cadaquès [Photo YF]](https://static.mediapart.fr/etmagine/default/files/2020/11/26/dscf5226.jpg?width=2640&height=1910&width_format=pixel&height_format=pixel)
Billet n° 585
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là.
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup
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