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Billet de blog 30 août 2025

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Contre les mensonges sociaux de l’extrême droite

Les émissions de télé en continu sur les questions sociales fourmillent d'erreurs flagrantes ou de mensonges délibérés. L’extrême droite s’en donne à cœur joie, sans être démentie ni par les journalistes, souvent ni par leurs contradicteurs. Sur le coût de l’immigration, sur la fraude sociale, sur le travail des immigrés, il faudrait marteler dans les rédactions pour freiner cette propagande.

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Quelques minutes sur LCI et BFM

Tout d’abord une précision : les chaînes de télé BFM et LCI ne peuvent être assimilées à CNews, dont la ligne éditoriale est inféodée à l’extrême droite. Cependant, BFM et LCI, propriétés de milliardaires (une compagnie maritime pour l’un, un groupe de construction, de médias et de télécoms pour l’autre) ont une ligne éditoriale clairement de droite. Ces deux-là peuvent être tout de même regardées sans qu’au bout de trois minutes on se précipite pour zapper tellement l’obsession raciste chez Bolloré est insupportable.

Petite chronique pour rendre compte de ce que l’on voyait le 28 août, autour de 22h, pendant quelques minutes :

Sur LCI, on avait droit à Laurent Jacobelli (RN), Virginie Calmels (dirigeante d’entreprise, ex-politique fière d’avoir été proche de Fillon), Renaud Pila (LCI), Natacha Polony (éditorialiste à Marianne, hebdo qui a milité récemment pour qu'on taxe davantage les retraités, leur reprochant de ne pas « prendre leur part »), Pascal Perri (LCI), donc tous des gens défendant des idées de droite sur le plan économique (à part Polony dont le positionnement anti-Europe la fait passer pour être de gauche, et aussi quand elle a tenu un propos un peu démago sur la réforme des retraites sans qu’il soit certain qu’elle ait bien perçu ce qu’elle prévoyait). Ils s’accordaient à peu près tous pour dire que c’est la protection sociale qui était la cause du déficit et de la dette, et plus particulièrement les retraites (ce qui évidemment est strictement faux, le budget retraites a été parfois en excédent, et le déficit, jusqu’à ce jour, n’a rien à voir avec l’endettement de la France, essentiellement dû aux cadeaux fiscaux, aux subventions aux entreprises - 110 à 220 milliard d’euros [Md€] selon les estimations, la seconde ayant été établie par le Sénat - et à des taux d’intérêt redevenus élevés).

Evidemment, Jacobelli disait que c’était surtout à cause de l’immigration (coût 10 à 15 Md€) et au fait que des chômeurs passaient leur temps à « jouer à la playstation ». Calmels parlait « carcan », « gabegie », « trop d’administration », sans bien expliquer pourquoi ce sont des gens de son camp, de la droite économique, qui ont le plus endetté le pays (Sarkozy, Macron, et même Macron sous Hollande avec le CICE ce qui ne disculpe pas Hollande). Elle dit s’étouffer quand elle entend qu’il faut taper sur les riches et les patrons, et se plaint que le commerce n’ait pas le droit d’ouvrir le dimanche (là, c’est moi qui m’étouffe). Pila part dans une charge contre les « boomeurs » qui sont friqués c’est-à-dire les retraités, alors que, selon lui, il faudrait que le pays panique du fait qu’il y a désormais plus de décès que de naissances.

Perri, connu pour ses positions extrémistes dans la défense du capitalisme, s’exprimait comme à l’ordinaire, imbu de lui-même, et osait sortir un sondage de derrière les fagots qui prétend que « 92 % des Français jugent le niveau de la protection sociale trop élevé » ! Il a cependant apporté cette info : à taux d’emplois équivalent avec l’Allemagne, la France aurait 100 Md€ de recettes fiscales supplémentaires et il n’y aurait plus de problème de menace sur le modèle social (dénonçant le chômage des jeunes et des séniors).

Illustration 1

Aurélie Trouvé (LFI) était un moment invitée sur le plateau, elle a pu rectifier quelques assertions, mais a été obligée de rappeler qu’elle est élue de la République et professeure d’économie depuis 20 ans pour que Calmels daigne l'écouter. Elle attestait que les Français travaillent beaucoup mais que les salaires ont tendanciellement baissé. Car les profits sont allés massivement aux actionnaires plutôt qu’au travail, ce que Perri, bien sûr, a démenti, alors que toutes les études même officielles le démontrent. Aurélie Trouvé comprenait sa réaction : « Monsieur Perri, ça vous embête », répétait-elle, tandis qu’il baissait le nez. Elle démentait que le revenu moyen des retraités soit plus élevé que celui des actifs, on lui soutenait mordicus le contraire, alors même qu'un carton affiché à l'écran un peu avant et un peu après confirmait ce qu'elle disait (même si les chiffres invoqués par LCI, issus du Conseil d'Orientation des Retraites ont été choisis malignement pour être presque identiques alors que le COR fournit d'autres chiffres montrant un écart plus prononcé). 

Puis BFM : là, vers 22h22, on avait Guillaume Tabard (Le Figaro), Bruno Jeudy (BFM), Marc Touati (financier), Jean-Marc Sylvestre (Atlantico), tous bien à droite dans leurs analyses économiques et même sur d’autres questions, et aussi Rachel Binhas (Marianne) dont est connu le tropisme anti-arabe, anti-palestinien (situation à Gaza) et anti-immigration (autrice d’un dossier qui osait prétendre que les hôpitaux français étaient sous tension à cause de l’immigration). Et qui était l’invité en visio ? Philippe Ballard, RN (qui, ancien journaliste de LCI, était sur son ancien plateau un instant auparavant). On prend la mesure de la façon dont on est cerné (même si ici ou là on continue à affirmer, contre toute vraisemblance, que les médias sont entre les mains de la gôche).

Illustration 2

Je ne vais pas tous les passer en revue mais que dit Ballard ? que le coût de l’immigration c’est 3,4 % du Pib. Manifestement, il n’ose pas donner le résultat tout de suite, alors il précise qu’un point de Pib c’est 30 Md€, plus tard il lâchera tout de go que le coût de l’immigration c’est 100 Md€ ! Sans être contredit par personne. Auparavant, il avait prétendu que la suppression des « allocations non contributives » versées aux immigrés avant 5 ans de travail, feront gagner 18 Md€, vantant Giorgia Meloni qui l’a fait, ce que Sylvestre approuve (sans préciser, comme d'habitude, que les prestations non contributives sont déjà le plus souvent attribuées sous condition de délai de présence sur le territoire). Son pote Jacobelli disait, lui, sur BFM un instant auparavant que le coût de l’immigration c’était 10 à 15 Md€. Il y a trois jours, Julien Odoul (RN), sur TikTok, évaluait ce coût à 60 Md€. Là on mesure la tactique qui consiste à lancer des ballons d’essai : à se demander si ce n'est pas un jeu qui amuse les snippers du RN, d'autant plus qu'aucun journaliste ne prend la peine de rectifier !

Quand Eric Coquerel (LFI) arrive sur le plateau, j’ignore s’il a entendu les inepties de Ballard, en tout cas il n’y répond pas. Par contre, il donne bien des éléments qui font bouillir sur leurs chaises tous ces thuriféraires du capitalisme pur et dur : en effet, il minimise la charge de la dette (intérêts) qui était plus élevée en % du Pib en 2007 ! et il précise que les dépenses publiques n’ont pas augmenté (en % du Pib). Le financier Touati dément, lâchant carrément que les 1000 milliards de dette supplémentaire de Macron c’est tout simplement « de l’argent jeté par les fenêtres ». Coquerel rappelle judicieusement que ceux qui gouvernent aujourd’hui sont ceux qui ont été battus l’an dernier et en appelle à « en finir avec le capitalisme financiarisé ». Touati, qui en vit, n’a pas apprécié. Le prochain convoqué au confessionnal devant cet aéropage, après Ballard et Coquerel, c’est Brice Hortefeux. Là, pitié, j’ai coupé.

[29 août]

Autres manipulations de chiffres

Sur TF1 mardi 26 août, Jordan Bardella, président du Rassemblement National, proclamait que la France accueille chaque année sur son territoire 500 000 personnes, parmi elles, selon lui, 50 000 travaillent, et d’interroger : « les 450 000 autres, qui payent, que font-ils ? », selon une tactique bien rodée qui consiste à faire mine de poser une question, sans y répondre, tout en assénant l’idée que ces gens-là ne foutent rien. Or il mélange dans ce chiffre titres de séjour (320 000 dont 108 000 étudiants dont la plupart repartiront) et demandes d’asile (137 000). A ces chiffres de l’Insee pour 2022 il faut rajouter 66 000 Ukrainiens, c’est ainsi qu’on arrive à 500 000. J’ignore s’il s’insurge sur la venue des Ukrainiens, mais il ne dit rien des nombreux départs : c’est ainsi que le solde annuel se fixe à 161 000. Et, évidemment, parmi ces étrangers, certains sont des enfants. Cette présentation, admise sans broncher par les intervieweurs ou autres débatteurs, est destinée à dissimuler le fait que 70 % des immigrés sont actifs, guère moins que les 74 % des natifs ou originaires de l’Union Européenne (ministère de l’intérieur). On est bien loin du chiffre agité comme un hochet par les propagandistes du parti d’extrême droite qui répètent jusqu’à plus soif, comme Laurent Jacobelli récemment, que les « étrangers viennent chez nous pour toucher des aides sociales et se soigner gratuitement ».

Illustration 3
Des personnes à côté d'un corps recouvert, sur une plage près de Nouakchott, la capitale de la Mauritanie, le 24 juillet 2024 [Med Lemin Rajel/AFP])

C’est sans doute à quoi pensaient les 160 personnes qui avaient embarqué en Gambie sur un rafiot qui a chaviré en mer, hier vendredi 29 août, à la hauteur des côtes mauritaniennes : ils s’étaient dit, tiens les aides sociales de M. Jacobelli nous intéressent, on va risquer nos vies en mer ! 69 corps ont été repêchés, des dizaines sont portés disparus.

Le même Jacobelli sur BFM-RMC, interrogé par Apolline de Malherbe (le 28 août), a dit lui aussi que « l’immigration c’est 3,4 % du Pib en coût », ajoutant que l’on peut faire plusieurs dizaines de milliards d’économies (il n’ose pas dire carrément 100 Md€ et l’intervieweuse, bien sûr, ne le contredit pas). Interrogé le 27 août sur la chaine complotiste d’extrême droite Sud-Radio par Jean-François Achilli (journaliste viré de France Info pour avoir préparé un livre qui aurait été à la signature de Bardella), il glisse que ceux qui travaillent payent pour tous les autres, pour l’assistanat, pour l’immigration « qui est un des maux les plus durs ».

Le silence des intervieweurs s’explique certainement par le fait que, pour la plupart, ces questions sociales ne les intéressent pas, ils les connaissent mal, oser interroger un chiffre c’est prendre le risque de se faire laminer faute d’arguments, alors ils passent à la question suivante (si cela les préoccupait, ils s’informeraient pour tenir tête). Entre temps, le mensonge ainsi véhiculé par ces militants d’extrême droite fait son chemin et se distille dans l’opinion publique (puisque le silence semble valoir approbation et est même quelques fois carrément approbation).

L’extrême droite ne cesse de délivrer des chiffres approximatifs, exagérés, farfelus, dès qu’il s’agit de causer d’immigration ou d’assistance sociale. On l’a vu, c’est le cas dans la première chronique en ce qui concerne le coût de l’immigration. Alors même que des experts disent qu’il n’y a pas de coût de l’immigration (équilibre entre dépenses et recettes), le Rassemblement National s’ingénie à parler de 18 milliards à économiser, 60 ou pourquoi pas 100. Pour ce faire, l’extrême droite c’est-à-dire le RN, Reconquête d'Eric Zemmour et Sarah Knafo, ou les médias qui en font la promotion chez Bolloré (CNews, JDD, Europe 1), mais aussi Valeurs actuelles, Causeur, cherchent en permanence à instiller des chiffres faux pour qu’ils s’imprègnent dans les esprits. Il en est de même sur la série de fake news propagées sur la fraude sociale.

Il serait de première importance que se constitue un collectif pour contrer les assertions mensongères du RN, mais aussi de la presse Bolloré, qui, outre ses collaborateurs qui le plus souvent n'ont pas bossé les sujets, ratisse tout ce qu’elle peut trouver en prétendus experts : les Contribuables Associés, l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, Frontières, le Laboratoire de la République (de Jean-Michel Blanquer, dont Marianne fait ses choux gras). Il faudrait démonter point par point cette propagande délétère.

. Voir Confusion volontaire sur la fraude sociale, où je montre comment le terme fraude sociale est destiné à cacher le fait que l’essentiel de cette fraude concerne les employeurs et des professions libérales et non pas les assurés et allocataires, eux hyper-contrôlés. Dans cet article, je donne lien à de nombreux articles de Social en question dans lesquels j’ai décrit la façon dont l’extrême droite évalue de façon totalement et volontairement erronée le montant de la-dite fraude incombant aux « assistés ».

Illustration 4

La mort de Le Floch Prigent : tristesse à l’extrême droite

Loïk Le Floch Prigent, décédé le 16 juillet, avait été directeur de cabinet du ministre de l’industrie dans le gouvernement Mauroy après la victoire de la gauche en 1981. Celui qu’on présente presque partout comme « un grand capitaine d’industrie », parce qu’il a dirigé ELF, GDF et la SNCF, a mis en place, à la tête d’ELF, au cœur de la Françafrique, un réseau de trafic d’influences, de corruption et de détournements de fonds, au profit de la gauche PS (Roland Dumas impliqué) mais aussi, il faut bien partager, Charles Pasqua (le spécialiste des basses œuvres chez les gaullistes).

Si le PS s’est fait gauler avec l’affaire Urba au début des années 1990 c’est parce qu’il a voulu aller trop vite et rattraper le temps perdu (le RPR et les gaullistes ont, auparavant, pendant des décennies détourné les fonds publics au profit de leur parti en toute impunité). L’affaire ELF (305 millions d’euros) ne sera décelée que plus tard grâce à la sagacité de la juge Eva Joly (le « plus gros scandale politico-financier et de détournements de fonds dans une démocratie occidentale depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale » selon le Guardian) : Le Floch est condamné à 5 ans de prison. Libéré de Fresnes en 2003 pour raisons de santé, à l’article de la mort, après deux ans d’incarcération, il est ensuite impliqué dans une affaire d’escroquerie au Congo, libéré encore une fois pour raison de santé.

En 2021, il est conseiller économique d’Éric Zemmour en prévision de sa candidature à l’élection présidentielle, entre dans un comité stratégique du média d’extrême droite Livre noir (devenu Frontières depuis, dont l’animateur, Erik Tegnér, squatte le plateau de CNews, déversant en permanence une logorrhée raciste) et participe à un débat avec Reconquête (le parti de Zemmour et Sarah Knafo) en 2024. En fieffé climato-sceptique qu’il était après avoir baigné dans le pétrole, il niait les constats du GIEC. Argument de plus pour être en odeur de sainteté à l’extrême droite. C’est ainsi qu’il était régulièrement invité sur CNews, et, à l’annonce de sa mort, les chroniqueurs de la chaine extrémiste de Bolloré, dont Goldnadel (« il était marrant ») et Eliot Deval (« ce n’était pas un idéologue »), étaient marris : ils perdaient la voix d’un ancien escroc, et néanmoins industriel.

[17 juillet]

. Deux de ces chroniques sont parues sont mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets, l'autre est indédite.

Billet n° 879

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook 

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