Kamel Daoud, admiré et soutenu par ses pairs, hier, est accusé d’islamophobie, aujourd’hui. . Il s’en défend maladroitement : «Ce n'est pas parce qu'un discours anti-islamiste peut servir un discours islamophobe que je dois me taire [1] ».
j’ai cru comprendre en lisant « la Charte d’Ethique Professionnelle des Journalistes » [2] que le journaliste « tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique (…) [il] tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles (…) [qu’il] n’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ; refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication » .
Pour leur honneur propre et celui de leur profession, certains journalistes (Susan Sontag, Edwy Plenel et d’autres) tiennent envers et contre tout ce cap.
Dans un discours intitulé « Qu’est-ce qu’un être humain moral et conseils aux écrivains » Susan Sontag déclarait : «il y a plusieurs choses que les écrivains devraient faire : aimer les mots, agoniser sur les phrases et être attentif au monde(…) [ajoutons] pour la vertu de l’écrivain : Soyez « sérieux ». Par cela, j’entends : ne soyez jamais cynique’’. (…) En écrivant honnêtement sur la société dans laquelle il vit, l’écrivain ne peut s'empêcher d'évoquer (ne serait-ce que par son absence) les meilleurs standards de justice et de vérité pour lesquels nous avons le droit (certains diraient le devoir) de militer au sein des sociétés, nécessairement imparfaites, dans lesquelles nous vivons ».
Que dire du journaliste et écrivain Kamel Daoud ? L’homme est « intransigeant et entier –excessif, parfois – en croisade contre les idéologies et les dogmes » le décrit Virginie Larousse [3]. C’est bien vu. Il manque toutefois dans cette analyse un trait saillant du personnage : il mène un combat partisan dans lequel la communication n’est pas absente.
Norbert Wiener, pionnier de la cybernétique précise, quant à cela. «Lorsqu'il y a communication sans besoin de communication, mais seulement pour que quelqu'un gagne en prestige social et intellectuel afin de devenir un Gourou de la communication, la qualité et la valeur communicative du message tombent comme un plomb.»
C’est vrai que l’homme est excessif. Prenant prétexte du viol d’une jeune Allemande, à Cologne, durant la Saint-Sylvestre 2016, Kamel Daoud publia un véritable réquisitoire contre l’islam qu’il intitula :« le tabou du sexe et du rapport à la femme dans le monde arabo-musulman » [1].
Cet article [1] suscita l’indignation de certains. Il rencontra l’approbation tonitruante des tenants des intérêts particularistes, les SHAF [4]. Et pour cause ! Kamel Daoud faisait écho à cet islam essentialisé par leurs soins, une caricature de religion dont le portrait est particulièrement hideux : religion forcément univoque, monolithique, misogyne, homophobe, ennemie de la liberté, de la démocratie et de la raison, raciste…
Soyons de bonne foi, même si, lui, ne l’est pas. Kamel Daoud n’est, dans ce cas de figure, que le miroir qui nous renvoie l’image du tableau orientaliste peint à petites touches impressionnistes par nos maîtres-à-penser français depuis 1979, date de l’avènement de la révolution khomeyniste.
Pour que le lecteur lambda ne soit dupe de rien, rappelons-lui l’interminable série européenne de crimes à caractère sexuel de la période en question : un fleuve tranquille de l’horreur, bien de chez nous, charriant des cadavres de femmes et d’enfants à foison. Dutroux et les autres ne sont pas arabo-musulmans, que je sache… Une affaire d’agression sexuelle particulièrement sordide s’était déroulée- dans un contexte similaire à celui de Cologne – au cours d’une des braderies annuelles de Lille, dans les années 80 : aucun des protagonistes n’était arabo-musulman. Je vous épargne le quotidien de nos amis américains qui, en cette matière aussi, sont nos maîtres.
Bref, les exemples ne font pas et n’ont jamais fait défaut, chez nous ; pourtant « Le tabou du sexe et du rapport à la femme » ne fut invoqué à aucun moment.
Quand il s’agit d’occidentaux, nous répertorions dûment ce type d’exploits, conformément au Code Pénal, sous le chef d’accusation qui leur sied puis nous les rangeons négligemment dans un coin du grenier de notre mémoire.
Quand il s’agit de musulmans, c’est une autre paire de manches. « C’est leur religion qui les ensauvage » ; « on vous l’a dit, ils sont différents de nous » ; « ce sont des prédateurs sexuels qui convoitent nos filles et nous interdisent jusqu’à la vue des leurs qu’ils « burkinisent», « tchadorisent », « hidjabisent » ; « non ! ils ne pourront pas s’intégrer » …
Remplacez le mot musulman par le mot juif et vous vous cognerez à tout bout de camp aux marronniers de la propagande nazie d’un Goebbels ou d’un de ses suppôts.
Quand Kamel Daoud a dressé ce réquisitoire contre l’islam, à partir du seul fait divers de Cologne, je me suis dit, avant de passer à autre chose : « Kamel Daoud est un opportuniste (…) Il est dans l’air de son temps qui ne manque pas de flibustiers de la plume ».
Là où le bât blesse, c’est que de fines abeilles, comme Mme Badinter [5], Finkielkraut [6], Caroline Fourest [7], ont fait leur miel des discours de Kamel Daoud et y ont trouvé l’alibi idoine. Des personnalités influentes comme Karim Akouche [8] ne furent pas en reste ; Ils ont volé au secours de Kamel Daoud, la mauvaise foi en étendard ; ils ont même eu le front de prendre en otage le grand journaliste Albert Londres, qui déclara un jour : «Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie.».
Est-il vraiment question de cela dans l’article [1] de Kamel Daoud ?
C’est pour le moins estomaquant et surtout indu. En réalité, Albert Londres – les journalistes ne me contrediront pas – ne faisait que rappeler les huit principes fondamentaux du journalisme qui sont : l’originalité, la retenue, l’humanité, la responsabilité, la transparence, l’équité, la restitution de la parole du citoyen - sans la déformer- et enfin, le devoir de ne s’autocensurer ni par intérêt ni par vassalité.
Ce sont là autant de principes qui poussent le journaliste, respectable et respectueux de son honneur et de la déontologie de sa profession, de s’accrocher au garde-fou qu’est La Charte d’Ethique Professionnelle des Journalistes [2].
Du tabou du sexe et du rapport à la femme.
Tabou, sexe, femme ! N’est-ce pas là la trinité constante, obsédante dirais-je, de l’humanité, depuis qu’Eve - la garce ! - s’est saisie du serpent d’Adam et lui a glissé, d’autorité, ses pommes dans les mains ?
Le pauvre hominidé ! Lui qui venait pourtant de découvrir le chemin de la vie – le GR 69 des périnées, comme dirait le gaulois rennais colérique - erre, depuis, en battant sa coulpe : « je suis perdu, je suis perdu, je suis maudit… » .Quel nigaud !
Quoi ! notre interminable cohorte de prophètes et de sommités de la psychanalyse n’auraient donc prêché que dans le désert ? Non. Dans cette dynamique, Il en va des Algériens comme des Japonais, des Chiliens comme des Iraniens et même des Scandinaves dont on pourrait croire l’appendice pris dans la glace six mois par an.
Pour faire société, toutes les civilisations participent de ce tabou à un degré ou à un autre et, en fonction de cela, pressurent la vie de l’homme- et encore plus celle de la femme- dans un souci de préservation de la morale publique, de la paix sociale et du lien matrimonial – littéralement, protection de la mère. C’est encore plus vrai pour les religions juive, chrétienne et musulmane, nées toutes trois dans la consanguinité imposée par l’exiguïté de leur terre natale commune : un « mouchoir de poche ».
En Europe, « mai 68 » et la « beat génération » sont passés par là avec leur révolution sexuelle, la pilule et plus tard le droit à l’avortement.
Sans prétendre ouvertement à ces avancées - pudeur et retenue obligent- la femme turque, libanaise, égyptienne, libyenne, tunisienne, algérienne et marocaine, s’étaient passablement émancipées. Les meilleurs indicateurs, en ce domaine, sont le taux de scolarisation des filles (majoritaires dans certaines universités) et le taux d’enfants/femme qui, aujourd’hui, se rapproche sensiblement du nôtre. La distance parcourue par la musulmane en une génération est réellement admirable.
Puis il y eut une crispation brutale suivie d’une stagnation sinon un recul. On peut en dater l’origine : 1979. C’est la date du déclenchement de la Doctrine Carter [9] et de l’impulsion de la chevauchée débridée du salafisme de la secte wahhabite rétrograde [10] - coucou squattant le nid de la branche sunnite hanbalite.
Les USA, profitant du vide créé par l’agonie, dans le piège afghan, de leur ennemi intime soviétique, prétendaient à l’hégémonie et proclamaient cyniquement la venue d’ « un nouveau siècle américain ». Par leur maladresse, leur brutalité, leur suffisance et leur morgue, ils ont exacerbé l’humiliation de peuples déjà humiliés . Cf. témoignages de Mme Clinton [11] et Brezinski [12]
Bien à l’abri du bouclier US, courageusement, l’Arabie Saoudite, toute à la promotion de son « islam » sectaire, vouait à la géhenne l’occidentalisme et pratiquait la politique du carnet de chèques et de la dissémination des mosquées « imam en main », sur tous les continents. L’affaire Khashoggi [13] illustre remarquablement l’impunité dont ce pays jouit et, hélas, la veulerie de l’Occident, aussi.
Si nous – occidentaux, orientaux, septentrionaux et méridionaux - maintenons la femme au centre de la querelle, que nous entretenons savamment, c’est que le sujet est d’une importance fondamentale : La femme est le centre de gravité de la famille ; la cellule familiale constitue la brique primordiale de la nation ; les nations sont cimentées par des traditions.
Les traditions ! C’est l’archétype des sujets à aborder avec précaution et retenue : leur inertie, comme celle des supertankers, exige que l’on investisse des trésors de doigté dans leur manœuvre.
Pour avoir été imam de votre lycée, cher ami Kamel Daoud, (vous vous plaisez à le répéter !), vous connaissez donc l’islam algérien [14]. Il est protéiforme de par ses différents héritages. Il n’a pas de clergé - imams et autres oulémas, dont les titres sont honorifiques, n’ont ni l’autorité majuscule d’un rabbin ni celle d’un curé ou d’un évêque, ni, encore moins, celle d’un Pape. Dans sa sphère d’influence, le pouvoir temporel - tribal ou étatique- a primé et prime toujours sur le pouvoir spirituel. Somme toute, ce dernier n’a jamais été qu’un lubrifiant parmi d’autres au service de telle ou telle mâle puissance du moment.
L’honnêteté oblige à dire que demeure unique le cas de la religion catholique – qui, constituée en un pouvoir spirituel omnipotent, supranational, l’hubris aidant, a cru pouvoir, un temps, en imposer au pouvoir temporel, prétendre faire et défaire rois et empereurs et même les obliger à « aller à Canossa ».Depuis, la Révolution Française a ruiné le pouvoir temporel indûment accaparé par l’Eglise. La troisième République, elle, a osé entreprendre l’impensable : imposer le divorce entre le pouvoir temporel – exclusivité de l’Etat- et le pouvoir spirituel – le propre de toute religion. C’est ce que nous avons traduit depuis par laïcité.
Dans l’islam [15], le pouvoir spirituel a toujours été au service du pouvoir temporel, il le demeure aujourd’hui ; même dans le cas particulier de la secte wahhabite [10] qui co-gouverne l’Arabie saoudite. Le schismatique shiisme duodécimain iranien [16], jusqu’à une date récente, a été lui aussi au service du pouvoir temporel étatique ; la révolution khomeyniste a, pour l’instant, changé la donne et rêve d’égaler la toute-puissance de l’Eglise catholique apostolique et romaine d’autrefois.
Mais le khomeynisme n’est qu’une politique - qui instrumentalise le shiisme - c’est une des variantes de l’islamisme. Et on combat la politique d’abord par la politique.
Par quelle aberration, le khomeynisme, greffé sur le fiqh du schismatique shiisme duodécimain iranien, a-t-il pu être rapproché du fiqh de la branche sunnite malékite maghrébine ? Ces deux fiqhs enracinés dans deux cultures différentes s’ignorent mutuellement : les prescriptions de l’un ne concernent en rien l’autre.
Malgré cela, les défauts du khomeynisme, distillés, épurés, expansés, ont servi à l’alchimie d’une redoutable potion magique, germe de toute propagande, une espèce de « sirop typhon » bon pour tout et pour tous : au sionisme, au féminisme, à la cause des homosexuels, à celle de l’athéisme et, malheureusement pour les Algériens, aux vaticinations coupables du FLN, encore parti unique.
Le fait que les Algériens soient francophones s’est révélé être, durant les années 80, une « malédiction » pour eux : les médias français, sous la poussée des faiseurs d’opinion des S.H.A.F, [4] essentialisaient l’islam [15] à « tour de bras ». Ils ont contribué à exacerber la discorde, en portant à incandescence une opinion déjà surchauffée ; le sentiment de ce peuple d’être méprisé (hougra) a fait le reste ...
Le rôle des intellectuels est d’éclairer la marche de leurs peuples. Hélas pour l’Algérie, les siens lui font défaut. Se caser sur la ligne de départ (bien sûr, sans casaque distinctive, ça pourrait hypothéquer l’avenir), courir pour un clan choisi pour ses chances de victoire est la règle. L’heure est aux spéculations.
D’où le spectacle honteux qui se déroule sous nos yeux actuellement : l’alpha et l’Omega, consiste à touiller la vase du passé pour rendre turbide le présent afin d’interdire au peuple algérien - qu’ils croient avoir infantilisé à jamais - la compréhension de la réalité des choses.
Kamel Daoud est un intellectuel algérien ; son combat est partisan. L’Algérie en abrite bien d’autres, pour le malheur de son peuple, pour le bien d’une poignée de larrons en foire.
Mon excès de prudence l’ayant probablement irrité, mon épicier, l’Arabe du coin, me dit : « ouech b’yamek ? Ya kho ». Ce qu’il me traduisit aussitôt par « comment va ta mère ? mon frère ! ». Ce à quoi, ne voulant pas être en reste en matière de civilité, je répondis « je vous remercie, elle vient de sortir de l’hôpital, mais tout va bien ».
Devant mon air dubitatif, il glissa dans un souris, légèrement matois me semble-t-il : « et alors ? J’interprète notre bienséance comme Kamel Daoud interprète notre religion ».
[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/01/31/cologne-lieu-de-fantasmes_4856694_3232.html
[2] http://www.snj.fr/content/charte-d’éthique-professionnelle-des-journalistes
[5] https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/210717/elisabeth-badinter-un-creve-coeur-0
[8] https://www.marianne.net/debattons/tribunes/kamel-daoud-ne-hait-pas-les-islamistes-il-les-combat
[10] https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/130617/b-4-le-salafisme-wahhabite
[11] https://blogs.mediapart.fr/belab/blog/261018/confession-dhillary-clinton
[12] https://blogs.mediapart.fr/belab/blog/271216/la-cia-en-afghanistan-avant-la-guerre-russo-afghane
[13] https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/241018/il-etait-une-fois-dans-le-monde
[14] https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/130617/les-origines-de-l-islam-de-france
[16] https://blogs.mediapart.fr/edition/lescarbille/article/130617/le-shiisme