Le management, du nazisme à la mondialisation, ou l’art de produire le consentement et l’illusion d’autonomie chez des sujets aliénés. S’il ne dresse pas un réquisitoire contre le management et s’il ne dit pas non plus qu’il s’agit d’une invention du IIIème Reich, Johann Chapoutot, notre invité, souligne une continuité entre les techniques d’organisation du régime nazi et celles que l’on retrouve aujourd’hui au sein de l’entreprise, en atteste la condamnation récente de l’entreprise France Télécom et de ses trois ex-dirigeants pour "harcèlement moral institutionnel".
Parmi ces intellectuels, hauts fonctionnaires et administrateurs, Reinhard Höhn, auquel Johann Chapoutot consacre une grande partie de son essai : ayant échappé aux purges de la dénazification après 1945, ce cadre prometteur du IIIe Reich, protégé d’Himmler, devient directeur de l’Académie des cadres (Akademie für Führungskräfte) fondée en 1956 dans la ville de Bad Harzburg (Basse-Saxe), académie où il enseigne les techniques de management appliquées par le régime nazi aux côtés d’autres anciens membres SS. S’y forment tant le gratin du "miracle économique", cadres de Aldi ou de Opel en passant par Hewlett-Packard et BMW, que ceux de l’armée nationale de la République fédérale d’Allemagne, la Bundeswehr. Car les stratégies managériales de l’armée sont, encore une fois, très proches de celles de l’entreprise.
L'humour marketing du PdG de Volkswagen (constructeur d'automobiles fondé par Hitler) : "EBIT macht Frei" : le slogan de très mauvais goût du patron de Volkswagen
NB : les entreprises françaises sont pareillement friandes de la stratégie militaire et des formations d'état-major (MRT : méthode de raisonnement tactique, MRL méthode de raisonnement logistique, MRG : méthode de raisonnement global) . L'école de guerre est partenaire d'un "MOC" en ligne.
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Dans son dernier livre, l’historien Johann Chapoutot montre comment la réflexion sur la conduite des hommes a été au cœur de la machine nazie, avant de trouver une reconversion après guerre. « Paradoxalement », note-t-il, des idéologues du IIIe Reich ont développé « une conception du travail non autoritaire, où l’employé et l’ouvrier consentent à leur sort et approuvent leur activité ».
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Bibliographie :
Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd'hui
Johann Chapoutot
Reinhard Höhn (1904-2000) est l’archétype de l’intellectuel technocrate au service du IIIe Reich. Juriste, il se distingue par la radicalité de ses réflexions sur la progressive disparition de l’État au profit de la «communauté» définie par la race et son «espace vital». Brillant fonctionnaire de la SS – il termine la guerre comme Oberführer (général) –, il nourrit la réflexion nazie sur l’adaptation des institutions au Grand Reich à venir – quelles structures et quelles réformes? Revenu à la vie civile, il crée bientôt à Bad Harzburg un institut de formation au management qui accueille au fil des décennies l’élite économique et patronale de la République fédérale (et des militaires) : quelque 600 000 cadres issus des principales sociétés allemandes, sans compter 100 000 inscrits en formation à distance, y ont appris, grâce à ses séminaires et à ses nombreux manuels à succès, la gestion des hommes. Ou plus exactement l’organisation hiérarchique du travail par définition d’objectifs, le producteur, pour y parvenir, demeurant libre de choisir les moyens à appliquer. Ce qui fut très exactement la politique du Reich pour se réarmer, affamer les populations slaves des territoires de l’Est, exterminer les Juifs.
Passé les années 1980, d’autres modèles prendront la relève (le japonais, par exemple, moins hiérarchisé). Mais le nazisme aura été un grand moment managérial et une des matrices du management moderne.
Reinhard Höhn
Une vie entre continuité et nouveaux départs
Alexander O. Mueller
Reinhard Höhn (1904-2000) a été à certains moments l'un des plus éminents penseurs en matière de gestion de la jeune République fédérale d'Allemagne et, parmi eux, probablement le plus controversé. Dans les années 1960, sa théorie du management, connue sous le nom de " modèle de Harzburg ", a façonné le paysage des entreprises ouest-allemandes. Höhn reçut beaucoup d'éloges pour son approche coopérative, tandis que les critiques considéraient son travail comme la continuation de l'idéologie communautaire des national-socialistes. Alexander O. Müller examine cette zone de tension en reconstruisant la vie de Höhn, ses postes politiques les plus importants et - en vue des fondements du " modèle de Harzbourg " - également son évolution en termes de contenu.
Comment Hitler a acheté les Allemands : Le IIIe Reich, une dictature au service du peuple
Götz Aly
Comment cela a-t-il pu arriver ? Comment les Allemands ont-ils pu, chacun à son niveau, permettre ou commettre des crimes de masse sans précédent, en particulier le génocide des Juifs d’Europe ? Invoquer la haine raciale dont le nazisme était porteur ne suffit pas : l’idée qu’un antisémitisme exterminateur animait la population allemande tout entière, dès avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, est dépourvue de fondement. L’explication purement idéologique tourne à vide. Ce que démontre Götz Aly, au terme d’une enquête minutieuse dans les archives auxquelles il a pu avoir accès, c’est que le consensus entre les dirigeants du Reich et le peuple a eu pour clé… le confort matériel de l’Allemand moyen. La guerre la plus coûteuse de l’Histoire s’est faite avec un objectif : préserver le niveau de vie de la population, à laquelle le régime ne pouvait promettre, comme Churchill, « du sang, de la sueur et des larmes » sans risquer l’implosion. Bien loin de profiter à quelques dignitaires nazis seulement, le pillage de l’Europe occupée et la spoliation, puis l’extermination des Juifs, ont bénéficié au petit contribuable, soigneusement préservé de toute hausse d’impôts jusqu’à la fin de la guerre, comme au soldat de la Wehrmacht envoyé au front, de même qu’à la mère de famille restée en Allemagne. Les Allemands, tous complices ? C’est bien la thèse de ce livre, qui fera date dans l’historiographie de la Shoah.
- Flammarion
- Hors collection - Histoire
- Paru le 17/10/2005
- Genre : Histoire
Frankfurter Allgemeine
Biographie von Reinhard Höhn : Wie führt man richtig ?
Seite 2 - Biographie von Reinhard Höhn: Wie führt man richtig?