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Les djihadistes des attentats de janvier 2015 ont tué 17 personnes. Auparavant, en mars 2012, le tueur de Toulouse avait abattu 7 personnes. Le 13 novembre 2015, 130 personnes. Le 14 juillet 2016, à Nice, 86 personnes. Ce décompte macabre néglige les blessés et les traumatisés à vie, même non blessés. Alors qu’il n’y avait eu aucune manifestation en mars 2012, bien que des petits enfants, Juifs, avaient été abattus à bout portant, ces événements tragiques de Paris ont provoqué des réactions de solidarité envers la rédaction de Charlie Hebdo et en faveur de la liberté d’expression (et de façon moindre pour les victimes juives de l’Hyper Cacher), avec des rassemblements inégalés depuis mai 1968. On a assisté alors à une volonté d’unité du peuple français, sans aucun dérapage à l’encontre des habitants de ce pays, arabes ou d’origine arabe (« Pas d’amalgame »).
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Mais cela a fait son chemin, on a vu s’instiller dans la parole publique de plus en plus de propos qui se prétendaient non racistes mais qui l’étaient bel et bien (ironie sur le "pasdamalgame", instrumentalisation de la laïcité, invocation obsessionnelle du "problème de l’immigration", assimilation de l’immigration à l’insécurité sinon à la délinquance). Et ce en s’appuyant seulement sur le fait que des djihadistes ou fous furieux, parfois simples voyous six mois plus tôt, étaient d’origine arabe et s’invoquaient de l’islam pour commettre leurs tueries, alors même que nombreuses de leurs victimes étaient musulmanes (non seulement les militaires de Toulouse et de Montauban) mais aussi sur les terrasses de Paris ou à Saint-Denis, et à Nice où trente musulmans ont été fauchés par le camion-bélier de la Promenade des Anglais (selon le rite funéraire demandé par les familles, peut-être plus nombreux encore étant de simple culture musulmane) : et pourtant, des personnes d’origine arabe ont été insultées à Nice après le drame, y compris des familles de victimes. Si une émission d’Envoyé Spécial l’a bien montré à l'époque, de façon générale, les médias mainstream n’ont pas trop développé ce point, comme ils négligent totalement les actes anti-arabes et anti-musulmans, insistant sur le chiffre exponentiel des actes antisémites, 1500, sans jamais lister précisément ce qu’ils recouvrent (certains politiques brandissent ce chiffre moins par volonté de combattre l’antisémitisme que pour se faire une virginité).
L’un des organisateurs de la tuerie du Bataclan et des terrasses avait exécuté en Syrie des rebelles (musulmans mais pas intégristes islamistes) qui s’étaient élevés contre la dictature de Bachar Al-Assad. Certains de ces tueurs, totalement irresponsables, n’ont cessé de dire qu’ils vengeaient les morts en Syrie, Irak ou Palestine, mais ils n’ont rien vengé du tout, par contre ils ont jeté l’opprobre, ici, sur tous les Arabes et Musulmans : en ce sens, ils ont servi purement et simplement le discours raciste de l’extrême droite.
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L’éditorial du Monde aujourd’hui [7/01] écrit : « comment ne pas rapprocher les chocs qu’ont constitués les carnages répétés commis par des Français radicalisés des succès électoraux d’une extrême droite qui a fait son miel de l’amalgame entre immigration et l’islamisme ? ». D’autant plus que l’extrême droite a désormais ses médias, qui, justement, surfent sans arrêt sur cet amalgame (quitte à s’appuyer tactiquement sur des chroniqueurs d’origine arabe pour dissimuler un racisme intrinsèque). Il est évident que ces horreurs libèrent des sentiments xénophobes jusqu’alors refoulés, qui se donnent libre cours, surtout si des personnalités (politiques, médiatiques) leur donnent quitus, abondant même dans le sens du rejet et de la "remigration".
La dénonciation des crimes terroristes (qui cherchent à répandre la terreur en tuant des civils) doit aller de pair avec le refus inébranlable de se servir de ces crimes pour rejeter une partie de la population qui fait désormais la France. Les combats à gauche doivent être intraitables envers ceux, sur les réseaux sociaux par exemple, qui déversent une haine intégriste, et envers ceux qui s’en saisissent pour rejeter en bloc nos voisins venus d’ailleurs.
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. Photos prises à Toulouse le 7 janvier 2015 au soir, place du Capitole, puis à Auch le 8 janvier au soir (rassemblement immense, jamais vu depuis mai 68) et le dimanche 11 janvier dans la journée (manifestation).
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Dessin que nous avait remis Cabu au terme d’une soirée passée avec lui à Vesoul, en Franche-Comté (alors que nous étions poursuivis par le propriétaire d’un ancien journal collabo) et photo que j'ai prise quelques mois avant sa mort à Auch à la Librairie Les Petits Papiers (Cabu, venu pour dédicacer un livre sur le jazz, m’avait dit qu’il se souvenait de notre rencontre à l'automne 1979, alors qu’il préparait une série de dessins sur des manœuvres militaires dans la région franc-comtoise, d’où le petit dessin qu’il rajoute, en bas à droite de la couverture de la revue L'Estocade).
[7 janvier]
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Gaza : litanie funèbre
Pas un jour sans un bombardement sur Gaza et les morts et les blessés graves qui vont avec. Dans l’indifférence presque générale. Hier [5/01], on en était à 45 805 morts (sans doute beaucoup plus, sous les décombres), dont 14 000 enfants tués, plus de 100 000 blessés. 70 % des morts sont des femmes et des enfants (je relève ce taux parce qu’il est donné par certains sites, mais tous les morts civils, y compris les hommes, sont un scandale et un crime de guerre). Bombardements : le 7 décembre, 34 morts ; mi-décembre : 17 morts, école privée gérée par l’UNRWA prise pour cible ; le 1er janvier, 8 tués dans la banlieue de Shejaia ; le 5 janvier, au moins 23 morts… Je n’arrive pas à retrouver tous les chiffres de la morbide litanie. Israël vient d’attaquer le dernier hôpital opérationnel de la bande de Gaza, prétendant qu’il abrite un centre de commandement du Hamas. Ce n’est pas complètement exclu, sauf qu’il n’y a aucune raison de faire confiance au gouvernement de Nétanyahou et à Tsahal, qui mènent une guerre militaire et de communiqués. Gaza est ravagée. Des bébés meurent de froid. MSF dénonce un projet israélien de destruction totale.
Il est à peu certain que rien ne sera plus jamais comme avant : Israël pouvait attirer la compassion avec ce que des civils avaient subi le 7 octobre, une attaque qui aurait été de "résistance" si elle n’avait visé que militaires et policiers, mais a été "terroriste" en s’en prenant également délibérément à des civils. Si Israël a menti sur certains actes commis afin de renforcer une solidarité inconditionnelle internationale, il n’empêche que des crimes ont été perpétrés (sur des civils, dont des enfants, viols et prises d’otages). Mais aussitôt la vengeance d’Israël a été terrible : faisant suite à d’autres violences, répressions, humiliations, qu’Israël a exercées à l’encontre des Palestiniens bien avant le 7-octobre, cette vengeance détruit toute la bande de Gaza. Sauf que la vengeance suppose qu’on s’en prenne aux coupables, pas à tout un peuple innocent ; sauf que les dirigeants de l’État hébreu ne considèrent pas que ce peuple est innocent puisque des officiels n’ont pas craint de traiter les Palestiniens d’ « animaux ».
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En France, des belles âmes se sont plaint sur les plateaux de télévision du manque d’empathie, à l’égard des Juifs qui considéraient avoir subi un pogrom et à l’égard d’Israël qui vivait sur son territoire le plus grand massacre d’Israéliens de son histoire. On ne répètera jamais assez que le 7 octobre s’est produit sur une journée, et que dès le 8 on ne pouvait qu’exprimer notre sidération sur un crime qui avait eu lieu, quand aussitôt Israël se mit à commettre un crime systématique qui dure encore, depuis 15 mois. Ces mêmes belles âmes ont le plus souvent montré elles-mêmes une absence d’empathie envers les Palestiniens qui mourraient par milliers. Une partie des médias mainstream (CNews plus que tous, qui ne convaincra jamais que sa rédaction soit foncièrement opposée à l’antisémitisme, sa réaction étant purement tactique, anti-arabe et anti-musulmane par principe) a joué cette carte : le 7-octobre justifiait la réaction (ainsi légitimée), ou cette dernière (même excessive) n’était que la contrepartie du 7-octobre. Il est difficile d’imaginer que l’écrasement de tout une population, tuée, affamée, ne pouvant se soigner, sous le regard international, non pas dans un silence total mais dans une inaction coupable, sera sans conséquence pour les temps à venir.
[6 janvier]
Quand l’extrême droite commente la Syrie
Tout observateur sérieux, face aux événements de Syrie, ne peut que se réjouir de la chute de Bachar Al-Assad, du clan Assad en général qui faisait régner la terreur depuis des décennies. Bien sûr, le nouveau dirigeant qui a concouru à cette chute du tyran, Ahmad Al-Charaa (ex-Al Joulani) a été membre d’Al Qaida et si l’écroulement du régime tortionnaire et la fuite du Boucher de Damas sont une incroyable bonne nouvelle, on ne peut faire l’impasse sur les risques qui subsistent avec ce mouvement HTC [ou HTS] considéré comme terroriste par l’UE et les USA. Il n’empêche : quand le ministre des affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, et la ministre allemande Annalena Baerbock se rendent à Damas pour rencontrer le nouveau dirigeant syrien, de nombreux médias s’attachent au contenu de la rencontre et des enjeux (dont le rétablissement de la souveraineté de Damas sur l’ensemble de la Syrie, la question des Kurdes, des Druzes et autres minorités, de Daech). Le journal La Croix rend compte d’une rencontre d’un envoyé spécial du Pape François, accompagné de « représentants des Eglises chrétiennes du pays », avec Al-Charaa.
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Mais qu’est-ce qui intéresse les feuilles de choux et chaînes de télévision de droite, d’extrême droite et de la fachosphère en France (y compris la télé publique) : c’est d’abord qu’Al-Charaa a serré la main du ministre français, pas de la ministre allemande (c’est ce qui offusque Le Figaro, le JDD, CNews, Livre Noir…). Céline Pina, qui fut longtemps membre active du Parti Socialiste (!) et qui déverse sans cesse sa haine anti-musulmane, entre autres sur Causeur, livre sur CNews une chronique juste pour dire que ce refus de serrer la main est la preuve d’une « société authentiquement fasciste et inégalitaire ». Elle ironise sur le « petit garçon » qu’est Barrot qui n’a pas réagi, mais admet qu’« avoir des relations avec des salauds, avec des monstres » « ça fait partie du jeu ». Elle se lance dans un parallèle avec Hitler. Elle ignore ou ne veut pas savoir qu'une femme a été nommée par le nouveau pouvoir gouverneure d'une province et une autre gouverneure de la Banque de Syrie. Certes d'autres informations peuvent inquiéter (modifications dans un sens religieux des programmes scolaires, aussitôt annulées suite aux protestations), mais il faut compter sur l'élan d'espérance qui a gagné la société civile syrienne.
Sur France Inter, le 4 janvier, Laurent Jacobelli, porte-parole du Rassemblement National, dit sa méfiance à l’égard d’Al-Charaa auquel il attribue une appartenance à Daech (alors même qu’HTC a combattu Daech et qu’Al Charaa a annoncé sa volonté de poursuivre cette lutte contre l’État islamique).
Tout défenseur des droits humains est habilité à exprimer ses craintes face à une évolution incertaine de la Syrie mais entendre des propagandistes fondamentalement racistes livrer leur méfiance, leur haine, leur incompétence sur le sujet, c’est insupportable, d’autant plus qu’ils et elles n’ont jamais condamné les crimes d’Assad : ne pas serrer la main d’une femme (pratique regrettable mais courante dans de nombreux pays arabes, ce à quoi la ministre allemande s'attendait) serait le pire des crimes mais les 400 000 morts, les 100 000 prisonniers et les tortures à mettre au compte du clan qui dirigeait la Syrie c’est quantité négligeable !
. Rappel : Céline Pina a osé déclarer en novembre 2023 que les enfants d'Israël (lors de l'attaque du Hamas) ont vu avant de mourir l’inhumanité des assaillants mais les bambins de Gaza, avant de mourir, ont compris que les porteurs de bombes étaient pétris d’humanité. Elle a dit exactement : « Une bombe qui explose tuera sans doute des enfants [à Gaza], mais ces enfants ne mourront pas en ayant l’impression que l’humanité a trahi tout ce qu’ils étaient en droit d’attendre » [à la différence des enfants tués dans les kibboutz]. Avec une telle déclaration, qui a provoqué un tollé, elle s'est déconsidérée à jamais.
[5 janvier]
La menace de l’ultradroite
Le patron du renseignement territorial, Bertrand Chamoulaud, est interviewé dans Le Monde daté du 24 décembre. Il traite des dangers principaux en cours, selon lui, à savoir le narcotrafic et le séparatisme islamiste. Interrogé sur l’ultragauche, il accuse ses militants (évalués entre 3000 et 3500 personnes) d’être en « opposition profonde à l’État et au capitalisme », opposition qui serait « dissimulée » derrière des causes diverses : Palestine, défense de l’environnement, abolition de la prison… et de mettre en cause Les Soulèvements de la Terre et Extinction Rebellion qui porteraient « une responsabilité dans cette désinhibition de la violence ». La violence de Sainte-Soline sans doute provoquée par SLT ! alors même que la violence policière totalement démesurée lors de ce rassemblement a été largement démontrée.
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Quant à l’ultradroite (évaluée entre 1500 et 2000 personnes), interrogé pour savoir si elle profite du contexte anxiogène, il fournit quelques éléments : il dit qu’elle a créé une expression qui prospère « le "francocide", qui relie directement immigration et insécurité » (intéressant, car, comme un certain nombre d’hommes et de femmes politiques font carrière sur ce thème, en toute impunité, on va pouvoir désormais s’invoquer du patron du renseignement pour les accuser d’être pas seulement de droite extrême, ni même d’extrême droite mais de l’ultradroite). Il évoque quelques arrestations et dissolution de mouvements puis ajoute : « ce que l’on redoute, ce sont des affrontements dans la rue qui mène à une nouvelle affaire Clément Méric ». Et le journaliste du Monde, Christophe Ayad, de préciser entre parenthèses : [Clément Méric] « militant d’ultragauche tué dans une rixe avec l’ultradroite en juin 2013, à Paris ».
Paul-Henri et Agnès Méric, dans le livre qu’ils ont publié avec d’anciens camarades de leur fils Clément, ainsi que lorsqu’ils se sont exprimés à la Librairie Les Petits Papiers à Auch en juin 2023, ont démontré de quelle manière la presse avait bien souvent mal informé sur cet événement tragique, tendant le plus souvent à le ramener à une rixe. Certains de ces médias ne se sont jamais excusés (dont France 2 qui avait diffusé une vidéo bidonnée). Or la justice (deux Cours d'Assises), en condamnant sévèrement les coupables, n’a pas considéré qu’il s’agissait d’une "rixe", d’une simple bagarre qui aurait mal tournée, mais bien d’une attaque délibérée, avec arme, menée par des skins (néo-nazis) ayant entraîné la mort de Clément.
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. Sainte Soline, à visage découvert
. Clément Méric : un livre témoigne de ses engagements
[24 décembre]
Ces chroniques, publiées sur ma page Facebook aux dates indiquées entre crochets, sont reproduites ici dans une version parfois légèrement modifiée ou complétée.
Billet n° 837
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).
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