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On célèbre, comme chaque année le 27 janvier date de la libération de ce camp, la journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l'humanité (cette année : 80ème anniversaire). En avril 1983, j’ai effectué un voyage de groupe en Pologne : une des étapes consistait en la visite des camps d’Auschwitz-Birkenau. Voici le souvenir que je garde de cette journée.
Nous étions à l’époque du régime communiste, le général Jaruzelski avait imposé un coup de force, avec emprisonnement des syndicalistes depuis décembre 1981. En avril 1983, il levait quelque peu la pression, d’où ce voyage (qui nous mettait en lien, avec discrétion, avec des responsables du mouvement populaire Solidarnosc). Logés à Cracovie, nous avions constaté les actes de résistance (nombreux graffitis sur les murs).

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Nous avons d’abord visité Auschwitz qui est une ancienne caserne aménagée en camp de concentration, le programme d’extermination ayant lieu essentiellement dans le camp annexe de Birkenau (où se trouve la tristement célèbre rampe d’accès avec tri de la mort à la descente des trains). A Auschwitz, mur des fusillés, et musée français qui à cette époque est la version réalisée par un historien de Besançon, François Marcot (1) que je connais. Le moment le plus émouvant c’est la découverte des salles avec des stocks immenses de : valises, lunettes, chaussures (dont chaussures d’enfants), cheveux. Là, on reste pétrifiés. Ensuite, nous nous rendons à Birkenau (à 5 km d’Auschwitz, avec quatre chambres à gaz et crématoires), visite des baraquements et des châlits. Outre le tragique des lieux, j’ai le souvenir d’un malaise : les autorités polonaises nous font traverser les chambres à gaz au pas de charge, comme s’il ne fallait pas s’attarder et ne pas poser de questions. Et surtout, dans les commentaires, peu d’allusion aux Juifs : certes des non-Juifs sont morts en ces lieux, mais la grande majorité des exterminés sont des Juifs. J’achète deux ouvrages (en français) : même tonalité, surtout dans l’un, intitulé "Enfance martyre", on insiste nullement sur les principales victimes de ce camp, on parle du racisme anti-slave, l’essentiel des victimes d’Auschwitz seraient des Polonais.

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Deux ans plus tard, publiant un reportage sur un couple de Juifs qui a échappé à une rafle en Franche-Comté, j’ai complété avec un texte intitulé Pardonnez-nous notre silence :
« Ils sont venus vous chercher à l'aube blafarde des journées honteuses ou un soir d'hiver, à l'abri des regards. Vous étiez dans la force de l'âge. Vous étiez vieillards ou enfants, valides, impotents, ouvriers ou marchands. Les uns croyaient au Dieu d'Israël, les autres n'y croyaient guère. Français de souche ou récemment émigrés de Pologne, de Hongrie ou d'ailleurs. Anciens combattants de la grande guerre ou rescapés des pogroms de Varsovie, de Bucarest, des nuits de Cristal de Berlin. »
. Texte intégral reproduit sur mon blog Mediapart le 27 janvier 2015 : Pardonnez-nous notre silence.
Aujourd’hui, je relis LTI, le langage du Troisième Reich, par Victor Klemperer, à partir de ses notes prises tout au long du règne d’Hitler et des Nazis. Il montre combien le langage perverti de ces assassins imprègnent tout le langage. Je me demande s’il ne faudrait pas se pencher sur la façon dont le discours d’extrême droite gangrène aujourd’hui notre société, y compris dans des secteurs qui nient leur filiation avec le racisme, l’antisémitisme, la haine de l’autre.

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(1) François Marcot : cet historien, récemment décédé, nous avait soutenus quand, dans une revue franc-comtoise j’avais gravement mis en cause un journal collabo dont l’ancien directeur, toujours en poste à la tête d’un canard, nous poursuivait en diffamation : L’impunité d’une presse collabo.
[27 janvier]
Barrot & Wauquiez
Hier soir [samedi 25/01], l'émission de France 2 Quelle époque ! recevait Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Occasion de rappeler son père, Jacques Barrot, que les jeunes générations n'ont pas connu, mais qui fut une personnalité centriste de premier plan. Une vidéo le montrait en larmes lorsqu'en 2002 Jean-Marie Le Pen arrive en seconde position derrière Chirac. Ce qui n'a pas été dit sur le plateau de Léa Salamé c'est que le petit jeune que l'on voit en arrière-plan n'est autre que... Laurent Wauquiez.

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Wauquiez, implanté en Haute-Loire, comme Barrot, passait pour le fils spirituel de ce dernier. Nommé ministre, Barrot lui avait laissé son poste de député. Mais devenu ministre de Sarkozy, Wauquiez livra une charge contre l'Europe, ce qui fit dire à Jacques Barrot, désavouant son ex-poulain : « l’Europe mérite mieux que le populisme et la peur de l’autre ». Manifestement, Barrot, qui avait une fibre sociale, n'appréciait pas non plus le discours racoleur de Wauquiez sur l'assistanat.
Jean-Noël Barrot a eu hier soir un bon mot à propos de Bruno Retailleau, son collègue au gouvernement. Censé lui donner un conseil, il lui a dit : « attention aux influenceurs vendéens » ! Bien vu.
[26 janvier]
« Libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal »

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En mars 2006, à la Fête du livre à Bron, nombreux invités : Philippe Descola (qui a publié l’année précédente une somme Par-delà nature et culture et qui en parle de façon brillante), Gila Lustiger (romancière allemande qui publie un très beau roman, Nous sommes), Abdourahman A. Waberi (qui a publié un livre sur le Rwanda, Une moisson de crânes, et un roman original Aux États-Unis d'Afrique, qui inverse astucieusement les rapports nord-sud).
Parmi tant d’autres, parlant avec le public de leur publication, il y a aussi Boualem Sansal qui vient faire paraître Poste restante : Alger, Lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes. Je lis son petit livre et je l’écoute avec intérêt : j’ai voyagé quatre fois en Algérie, avant la décennie noire. L’écrivain algérien ironise sur les drames que vit la France alors que c’est le chaos de l’autre côté de la Méditerranée. Je lis plus tard son livre Le Village de l’Allemand, un ancien nazi en Algérie (s’inspirant d’une histoire vraie selon Sansal), stigmatisant l’occultation de la Shoah en Algérie. Progressivement, il abonde les discours prenant l’islam pour cible, reçoit le soutien de Houellebecq (ce qui l’embarrasse), publie des chroniques dans le magazine de droite Le Point. Au moment où Emmanuel Macron, sans la moindre concertation, change la position de la France sur la Sahara occidental, Sansal sort tout une théorie provocatrice sur le fait qu’une partie de l’Algérie serait marocaine ! Comme Kamel Daoud, il fait des va et vient entre France et Algérie, il a une maison à Bourmerdès, aux portes de la Kabylie. Mais lors de son dernier voyage, la police algérienne l’arrête, il est en prison depuis deux mois.

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Hier, le Parlement européen a voté une résolution demandant la libération immédiate et inconditionnelle de Boualem Sansal par 533 voix pour, 24 contre et 48 abstentions : Manon Aubry, LFI, s’est abstenue, Rima Hassan, LFI, a voté contre. Elles invoquent une instrumentalisation par l’extrême droite (Marion Maréchal était une des porteuse de cette résolution qu’elle n’a pas votée d’ailleurs car présentes aux cérémonies de Trump). François Ruffin a dit ce matin sur France inter que malgré ses désaccords avec Sansal et l’idéologie qu’il propage, rien ne justifie qu’il soit en prison pour ses idées. Il aurait fallu voter la résolution, dit-il à raison. Il y a effectivement une façon de donner maladroitement quitus à l’extrême droite en considérant qu’un texte approuvé par une écrasante majorité serait à rejeter parce que l’extrême droite l’appuie. Franchement, comment LFI peut tomber dans ce genre de piège ?
[24 janvier]
JFK fut un grand journaliste
Il y a dans l’actualité souvent des apparentements terribles : Jean-François Kahn, fondateur de Marianne, qui avait passé le flambeau à Natacha Polony, disparait au moment même où elle doit quitter la direction du magazine.
Pour ma part, j’ai éprouvé un intérêt pour JFK dès les années 1970 : j’ai écouté tous les matins sa chronique sur Europe 1 durant des années. Lors des événements tragiques du Cambodge, son édito dans L’Est Républicain me choque : je lui écris, il me répond, il maintient sa position qui sera confirmée par tout ce qui sera publié par la suite. Je l’ai croisé deux fois en Franche-Comté, à Besançon, je fais même un bout de chemin avec lui à l’arrière d’une voiture , car, comme Jean-Luc Mélenchon, il n’a pas le permis de conduite, pas de voiture, et se fait toujours convoyer. Une autre fois à Vesoul, où nous lui avions demandé de faire une conférence sur la presse, ce qu’il avait accepté. En 1977, il devient directeur de la rédaction des Nouvelles Littéraires, que j’achète parce que cette superposition du littéraire et de l’actualité me parait intéressante. Puis en 1984, il fonde L’Évènement du Jeudi : j’achèterai (et lirai) tous les numéros. Certes, JFK s’affiche à « l’extrême centre », mais c’est un sacré journaliste, qui a une sacrée plume. Je le "suis" quand il fonde Marianne en 1997, longtemps parce que le magazine m’intéresse, puis je continue à le lire depuis des années pour voir ce que Natacha Polony et ses acolytes laïcards, identitaires et réactionnaires font de ce canard. Il est clair que JFK a donné son blanc-seing à cette dérive. Le côté racoleur des unes était déjà là avec le fondateur.
Kahn va se discréditer avec l’affaire DSK à New York : selon une réaction qui a couru dans les milieux juifs en France (suspectant un coup monté antisémite), il fait sa sortie qui va briser sa carrière (dixit France Inter aujourd’hui) en disant que tout compte fait ce n’est pas un viol mais « un troussage de domestique ». Ensuite, comme son frère Axel (qui fut président de la Ligue française contre le cancer), il a accusé les Gilets Jaunes d’antisémitisme. Pour avoir dit à Axel Kahn, qu’on ne pouvait jeter le discréditer sur tout un mouvement social pour une pancarte (antisémite) qui n’est peut-être restée sur un rond-point qu’une heure ou deux (mais a été photographiée et largement diffusée), il m'a rayé aussitôt de ses "amis". Il avait ses fans, qui ne cessaient de l’encenser, mais lui faire une simple remarque, avec des pincettes, était un crime de lèse-majesté. Jean-François ne cessa lui-même de caricaturer les Gilets Jaunes. Marianne était devenu souverainiste mais ça ne défrisait pas l'européiste JFK.
J’ai écrit un jour qu’en 1961 Jean-François Kahn, qui travaillait à L’Express, avait suivi les événements du 17 octobre 1961, et qu’il s’en était fait l’écho alors. On sait que les crimes commis par la police et Maurice Papon ont été dénoncés par des mouvements de gauche à l’époque mais apparemment L’Express n’en a rien dit. En octobre 2021, invité dans l’émission C à vous (France 5), JFK a dit qu’il n’avait pas vu de morts (ni noyés ni pendus), mais il a vu des blessés. Elie Kagan lui a montré les photos qu’il avait prises des morts. JFK en informa sa rédaction qui refusa d’en parler. Lui-même n’en parlera qu’en octobre 1980 (je m’enorgueillis d’avoir abordé le sujet dans une revue fin septembre 1980, à une date où aucun média n’en parlait, le black-out durant pendant 19 ans). Lors de l’émission il y a trois ans, il a minimisé le nombre de morts récusant le chiffre de plus d’une centaine de morts : il concédait 60 morts tout juste. Il dit qu’il faudrait étudier l’affaire, faisant fi de l’enquête menée avec sérieux par Jean-Luc Einaudi (ainsi que les livres de Fabrice Riceputi). De même, il se vante d’avoir passé jadis, lors d’un voyage officiel, trois semaines en Chine avec Papon qui lui disait sans cesse que ce sont les Algériens eux-mêmes qui, en partie, ce jour-là se sont entretués. Il semble galéjer avec cela, alors même qu’il a dit que la manifestation qu’il avait vue était totalement pacifiste. Il y avait depuis quelques temps déjà que le grand journaliste Jean-François Kahn ne forçait plus l’admiration.

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[23 janvier]
Devoir ou viol conjugal
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans un arrêt rendu hier a condamné la France pour avoir considéré que le fait de refuser d’avoir des relations sexuelles avec son mari constituait une « violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage ». Une femme avait demandé le divorce, mais celui-ci avait été rendu à ses torts (divorce pour faute), son mari invoquant le fait qu’elle refusait tout rapport sexuel, ce qui rendait « intolérable le maintien de la vie commune ».
Je repense à une histoire que j’ai connue dans l’exercice de ma profession (dans les années 90). Le service social suivait une famille où il y avait divers problèmes éducatifs. Puis le couple se sépare. Un jour, l’assistance sociale du secteur est appelé dans le temps de midi par la femme en détresse : la collègue se rend aussitôt au domicile, cette femme vient d’être violée par son ex-mari, pour s’imposer il a utilisé du gaz lacrymogène. L’assistante sociale accompagne la femme chez le médecin, puis à la gendarmerie.
Suite à la plainte, la gendarmerie veut entendre l’assistante sociale (AS) : je suis son chef de service, je l’accompagne, on veut éviter toute pression des enquêteurs contraignant la travailleuse sociale à violer le secret professionnel sur cette famille connue depuis longtemps afin de bien rester sur le déroulé des événements, le jour de l’agression. Aux Assises, plus tard, alors que ma hiérarchie me dit que je n’ai pas à interférer dans ce dossier (cela ne regarderait que l’AS et son secret professionnel), intervenant auprès du tribunal, je ne parviens pas à éviter à l’AS de devoir témoigner (alors que le médecin n'est pas convoqué). Je suis autorisé cependant à être présent à l’audience, bien qu’à huis-clos. En réalité, le procureur veut faire de cette affaire un cas emblématique : faire condamner un mari qui a abusé de son (ex)femme. Pour cela, le témoignage de la victime ne suffira pas devant les Assises, il faut la preuve que l’homme a utilisé du gaz lacrymogène (considéré comme une "arme") pour parvenir à ses fins. Et seule l’AS peut en témoigner.
Je peux attester que la Cour d’Assises a été correcte sur toute la ligne, le président, le parquet, les avocats de la victime et du coupable, à aucun moment ils n’ont dérogé au fait que le tribunal n’avait à se prononcer que sur cet événement (et non pas à triturer l’AS sur ce qu’elle savait de cet homme auparavant, pour éclairer son jugement, ce qui aurait porté atteinte au secret professionnel des assistantes sociales tel que prévu dans le Code de l’Action Sociale et des Familles, renvoyant au texte du Code Pénal). Le délibéré a été rendu vers minuit, l’homme a été condamné à de la prison ferme, l’AS, qui avait amené la femme victime l’a ramenée dans la nuit chez elle (à 50 km). Au bilan, nous avons considéré que les choses s’étaient passées dans de bonnes conditions : l’AS avait été réellement un soutien pour cette femme ce jour-là, tout en respectant ses devoirs déontologiques. Le procureur avait agi de telle sorte qu’un mari soit condamné pour viol, mais il avait fallu démontrer un acte de violence.
[24 janvier]
. Chroniques parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets.
Billet n° 841
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).
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