8 Mars 2018
Jan Malewski relate ainsi dans un article récent le mars 68 de Pologne:
« En 1956, c’est l’Octobre polonais : une mobilisation des masses plébiscite à la tête du parti au pouvoir son ancien secrétaire général, W. Gomulka, exclu en 1948 et emprisonné en 1951. Dès 1957, Gomulka entreprend de « normaliser » le pays, mais la gauche d’octobre poursuit la critique du régime bureaucratique. Les emprisonnements, en 1964, de ses porte-parole, J. Kuron et K. Modzelewski, ainsi que des militants trotskistes L. Hass et K. Badowski, n’ont pas mis fin à sa lutte. Bien que normalisé, le régime bureaucratique est en crise.
« Indépendance sans censure »
C’est dans ce contexte que le 16 janvier 1968 le ministère de la Culture annonce que la représentation des Aïeux du grand poète polonais Adam Mickiewicz, dénonçant l’occupation tsariste de la Pologne, ne pourra plus être jouée après le 30 janvier. Ce jour-là le public applaudit l’acteur qui dit « Je connais la liberté que donnent les Moscovites… ». À la fin du spectacle les cris « indépendance sans censure » sont scandés et plusieurs centaines de personnes partent en manifestation, à l’initiative des étudiants de la gauche oppositionnelle. La police intervient, arrête 35 personnes.
Le lendemain, les étudiants lancent une pétition contre la censure des Aïeux et « la politique qui s’écarte des traditions progressistes de la nation polonaise » : 3 000 signatures à Varsovie et plus de 1 000 à Wroclaw. Le 29 février une assemblée générale de l’Association des écrivains de Varsovie vote une résolution contre la politique culturelle du régime et les écrivains dénoncent « une dictature des ignorants ».
Mobilisation étudiante et répression
Le régime réagit brutalement. Les dirigeants de l’opposition de gauche étudiante, A. Michnik et H. Szlajfer, sont exclus de l’université par le ministre. Le 8 mars les étudiants de l’université de Varsovie adoptent une résolution : « Nous ne permettrons à personne de piétiner la Constitution, […] de nous priver du droit de défendre les traditions démocratiques et indépendantistes de la nation polonaise. Nous ne nous tairons pas face à la répression ». La police intervient brutalement contre leur meeting, mais ils partent en manifestation. Le lendemain l’École polytechnique rejoint la grève. Des assemblées générales, des grèves étudiantes se répandent à Cracovie, Wroclaw, Gdansk, Poznan, Lodz, Torun, Lublin et Katowice. Des lycéens rejoignent les manifestations. Le 28 mars, une déclaration du mouvement étudiant exige la liberté d’opinion, d’organisation, la suppression de la censure, la transparence de la vie publique, le contrôle social des biens d’État et le respect des droits constitutionnels.
Le régime répond par la répression : 2 700 arrestations, 262 procès, condamnations des militants de l’opposition de gauche. Six facultés sont dissoutes, plusieurs milliers d’étudiants suspendus de leurs droits, le parti est nettoyé (8 000 exclusions), des dizaines d’universitaires et hauts fonctionnaires licenciés. Le régime entreprend une campagne antisémite à la suite de laquelle plus de 15 000 personnes quittent le pays.
À Paris, les JCR organisent une manifestation devant l’ambassade de Pologne, le 21 mars, exigeant la libération de Kuron et Modzelewski, de nouveau arrêtés en mars 1968, et de leurs camarades. Et la Lettre ouverte au Parti ouvrier polonais, écrite par ces deux opposants, est publiée en France, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie… et même au Japon ! Une tentative de ressusciter l’internationalisme sans tenir compte des « rideaux de fer ».
Histoire polonaise:
- Qu’est-ce que trois étudiants ? Un meeting
- Qu’est-ce que cinq étudiants ? Une manifestation interdite.
- Qu’est-ce que 10 000 étudiants ? Un groupe de meneurs.
Dans le même temps se développe le Printemps de Prague en Tchécoslovaquie (voir article qui a inauguré cette série le 5 janvier). La déclaration ci-dessous rend compte de la place des luttes anti-bureaucratiques dans le contexte de l’année 1968:
Lire également
par Jan Malewski :
- Pologne 1968: l’espoir brisé de l'opposition communiste (pages 18 à 21)
- Pologne mars 1968 : Montée et chute de l’opposition de gauche
Lettre ouverte au parti ouvrier polonais
Dossier Pologne dans Avant-Garde Jeunesse page 11 à 15
Ecouter
Inter actualités de 20H00 du 11 mars 1968, à 3:00 la mobilisation des étudiants en Pologne, la répression, puis les contradictions, la vague de liberté, les réformes en Tchécoslovaquie, les volontés d’indépendance en Roumanie, le silence absolu de Moscou, etc…
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50 ans après…
- Événement : « Sous les pavés 2018 » 50 ans après mai 68, les ...
- Viennent de paraitre
. Marseille années 68, sous la direction d’Olivier Fillieule et Isabelle Sommier, Les Presses de Sciences-Po, « Académique », 480 p., 25 € (en librairie le 15 mars)
. Lyon en luttes dans les années 68. Lieux et trajectoires de la contestation, collectif de la Grande Côte, PUL, « Actions collectives », 390 p., 20 €.
- Dans le Figaro Magazine, Patrick Buisson, qui en 68 était inscrit à l'université de Nanterre mais ne militait pas pour la mixité des résidences universitaires…, explique que Mai 68 a débouché sur la « drogue », les « suicides », « l'industrie du porno » et la « marchandisation du corps féminin »...Celui a bien mérité d'inspirer, parfois plus, les discours de Sarko...
Articles déjà publiés dans la série "1968"
- 5 Janvier 68: Dubcek accède au pouvoir en Tchécoslovaquie
- "Eh bien non, nous n'allons pas enterrer Mai 68", par A. Krivine et A. Cyroulnik
- 26 Janvier 68: Caen prend les devants
- 27 janvier 68: les lycéens font collection de képis de policiers
- 29 Janvier 68: Fidel écarte les dirigeants pro-soviétiques
- 31 janvier 68: Vietnam, l’offensive d’un peuple héroïque
- Mai 2018 : sous les pavés la rage, par Jacques Chastaing
- Mai 68 vu des Suds
- 6 Février 68: grand Charles et grand cirque à Grenoble
- 14 février 68: combat pour le cinéma
- 17-18 Février 68: La jeunesse européenne avec le Vietnam
- Mai 68 n’a pas commencé en mai, ni en mars, ni au Quartier Latin, ni à Nanterre
- 24 Février 68: Plate-forme commune FGDS- PCF
- 26 février 68: L'aéroport c'est déjà non, et au Japon
- 1er Mars 68: bataille romaine de Valle Giulia
- Mai 68: des conséquences "positives" pour 79% des Français
- 1968: le père De Gaulle et la tante Yvonne, ça suffit !