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Billet de blog 10 mai 2024

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Les souvenirs du 8 mai 1945

Les cérémonies officielles oublient l’autre 8-mai. Message officiel du ministre décortiqué. Autres chroniques : Jordan Bardella et les droits sociaux des immigrés ; Gaza et le massacre des innocents ; les "indésirables" déportés en Algérie ; un 1er mai sous la pluie honorable.

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8 mai : fin de la seconde guerre mondiale et capitulation de l’Allemagne nazie. Sonnerie aux morts, Marseillaise, flamme du souvenir rallumée, dépôts de gerbes par des personnalités civiles et militaires accompagnés par des écoliers, collégiens et lycéens pour que ce ne soit pas qu’une cérémonie des anciens. Soutien de l’ANACR (association nationale des anciens combattants et amis et amies de la Résistance), je suis surpris (ce matin à Auch, Gers) que devant le monument aux morts on assiste à la décoration de gradés de la gendarmerie, avec précision pour l’un d’eux qu’il a réprimé une manifestation lycéenne contre la loi Devaquet et maté une révolte en Nouvelle-Calédonie !

Illustration 1
[Photo YF]

Le message ministériel lu par le Préfet rappelle que les Résistants ont refusé d’abandonner la Patrie à ceux qui l’avaient trahie. Il rappelle le souvenir des « victimes de la déportation politique et raciale, dans les camps de concentration et dans les camps de la mort » (juifs, tsiganes, homosexuels, handicapés physiques ou mentaux). S’il rappelle l’"ambition sociale" des forces de la Libération, le ministre oublie de citer le CNR (Conseil national de la Résistance) et croit nécessaire de se souvenir « de ces Français et de ces Françaises d’Alsace et de Moselle enrôlés malgré eux dans l’armée de l’occupant », alors même qu’il a évoqué plus haut Oradour-sur-Glane (on sait que nombreux soldats de la division  Das Reich qui a massacré 642 hommes, femmes et enfants dans ce village du Limousin étaient des "malgré nous"). Certes, le refus d’incorporation était sévèrement réprimé mais nombreux Alsaciens ont refusé cette soumission et ont résisté.

Le message stigmatise les exactions de l’occupant ainsi que « les bombardements de l’invasion et de la Libération » : formule subtile qui évite de préciser que les bombardements alliés, en 1944, ont fait 75000 morts dans la population française (Bruz, Saint-Etienne, Le Havre, Nantes, Saint-Nazaire, Royan, Saint-Malo, Saint-Lô, Evreux, Caen, Rouen, et bien d’autres villes). Ces victimes ne sont jamais commémorées, les formulations laissent parfois entendre qu’elles ont été tuées par les Allemands eux-mêmes alors que ces bombardements qui les visaient les ont le plus souvent ratés.

Le message poursuit : « De la guerre, du 8 mai 1945, nous avons conservé une mémoire ». De la guerre, certes, du "8 mai 1945", pas vraiment. Car ce jour-là, un commissaire tirait sur un jeune Algérien portant drapeau à Sétif, dans le Constantinois, lors du défilé de la Victoire, ce qui provoquait la colère des Algériens qui avaient espéré que la fin de la guerre serait le début d’un renouveau pour eux. La répression par l’armée française fut effroyable : des villages furent mitraillés par l’Aviation et par la Marine. Plus d’un millier de morts officiellement reconnus, certainement 15 000 selon des sources fiables (contre 103 Européens tués). Nombreux combattants algériens de la guerre d’indépendance invoqueront le 8 mai 1945 pour expliquer leur engagement dans la lutte armée contre la France colonisatrice. Nombreux Français ignorent totalement qu’un tel événement, un des pires qu’ait connu l’Algérie, a eu lieu ce jour-là. Il faudra bien qu'un jour la France, le 8 mai, commémore aussi ce drame.

[8 mai]

. Oradour, la mémoire en ruines.

. 8 mai 44, Remember ! [les bombardements alliés].

. 8 mai 1945 : les massacres de Sétif et le témoignage que m’avait livré Charles Tillon.

Mensonge flagrant de Bardella sur France Inter

Jordan Bardella, président tête de liste du RN aux élections européennes, était dans la Matinale de France Inter ce mardi 7 mai. Au téléphone, un appelant pro-RN dit qu’il connait des proches, anciens travailleurs manuels, qui n’ont que 800 à 1000 euros de pension de retraite. Il faudrait, selon lui, ponctionner « réactivement » ceux qui ont 3000 euros de retraite, qui ont déjà une maison et « ne pas distribuer aveuglément à des immigrés ou je ne sais pas quoi ».

Illustration 2

« Merci infiniment Jean-Michel », commente Nicolas Demorand ! Jordan Bardella qui avait surtout jusqu’alors causé international (venue du président chinois à Paris), répond qu’un immigré qui arrive en France perçoit tout de suite une « retraite » de 1000 euros, c'est injuste pour tous les Français qui ont trimé et ont des petites retraites. Quand il sera au pouvoir, le RN empêchera que les immigrés perçoivent des prestations sociales (cette « priorité nationale », dit-il, existe déjà puisque ne peuvent être fonctionnaires que celles et ceux qui ont la nationalité française). Il ne dit rien sur la ponction proposé par son électeur sur les pensions à 3000 euros.

Or l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées ou minimum vieillesse) n’est pas une "retraite" mais une aide sociale comparable au RSA pour les moins de 65 ans. Il faut être titulaire d’un titre de séjour depuis au moins 10 ans pour y ouvrir droit à 65 ans. Les dérogations concernent les étrangers européens, ceux qui ont combattu pour la France, les réfugiés et il existe des dispositions particulières pour les Algériens (accords bi-latéraux). Par ailleurs, il s’agit (comme souvent pour un minima social) d’une allocation différentielle : s’il y a d’autres ressources, elle est diminuée d’autant. S’il y a un conjoint qui a des ressources, le montant peut être nul, s’il n’a pas de ressources et a plus de 65 ans, le couple peut percevoir 1571 €.  Personne n’arrive donc en France et obtient aussitôt l’ASPA (excepté des réfugiés ou des Algériens qui arriveraient sur notre territoire à 65 ans, ce qui est rarissime).

Enfin, l’ASPA est récupérable sur succession (si le patrimoine est supérieur à 105 300 €) : cette récupération, même avec ce montant non négligeable, dissuade beaucoup des ayants-droit, qu’ils soient Français ou (rarement) étrangers. Il est vrai que les étrangers ne peuvent être fonctionnaires, en particulier sur les missions régaliennes de l’État, et aussi parce qu’un fonctionnaire est titulaire à vie alors qu’un étranger a un titre de séjour et de travail limité dans le temps (mais cela n’a strictement rien à voir avec une prestation sociale). Mais il y a des dérogations : pour les étrangers communautaires et aussi pour certains emplois de la fonction publique tels que les enseignants-chercheurs et les médecins hospitaliers.  

Donc Bardella a une fois de plus menti ou été très approximatif, surtout dès qu’il s’agit pour lui de parler immigration. Mais que croyez-vous que Nicolas Demorand et Yaël Goosz lui ont opposé ? Rien. Pire, je dois rédiger ce post de mémoire : car le replay a tronqué la réponse du leader du RN. Vous avez dit bizarre ?

[7 mai]

Défilé honorable du 1er mai sous la pluie

Illustration 3
[Ph. YF]

Malgré la pluie, un bon nombre de Gersois (2 à 300) se sont rassemblés quai Lissagaray (à  Auch) puis ont défilé dans la ville. Au rond-point de la Patte d’Oie, en basse ville, les représentants des syndicats FSU, UNSA, SUD-Solidaires et CGT ont assuré une prise de parole commune, dans laquelle il était rappelé que cette journée internationale se déroulait dans un contexte de guerre, en Ukraine et en Palestine. D’où une volonté ici de délivrer un message de paix et de progrès social. La paix ne doit pas se faire aux conditions de l’agresseur. Dans le pays, les cadeaux faits au patronat conduisent le gouvernement à aggraver les inégalités sociales, en retardant la transition écologique et en faisant les poches des chômeurs. Il ne « désmicardise » pas le pays, mais poursuit une politique au profit des plus riches (plus les salaires sont bas, plus l’État aide les employeurs). L’indexation des salaires et des pensions sur l’indice des prix est réclamée. La précarité gagne du terrain, en particulier chez les étudiants (mal logés, 1 sur 5 ne mangerait pas à sa faim). L’égalité des droits femmes-hommes n’est toujours pas assurée.

Les atteintes aux libertés collectives et individuelles sont dénoncées, contre le droit de manifester et de s’exprimer, sous-couvert des lois anti-terroristes : « un vent nauséabond souffle sur les droits simples à se défendre ». Les idées d’extrême droite voire « pétainistes » font leur chemin. La manifestation, ici et ailleurs, est le signe du refus des reculs sociaux et d’un « modèle capitaliste qui détruit nos valeurs républicaines ». Des atteintes graves à la liberté d’expression ont lieu actuellement (un syndicaliste CGT condamné dans le Nord), responsables politiques convoqués par la justice. « Avant d’être des Gersois·es, des Gascon·nes, des enfants d’immigrés, d’Espagne, d’Italie, du Maghreb, d’Afrique ou d’Asie, avant d’être des Auscitain·es, des Français·es, des Européen·nes, nous sommes d’abord et avant tout des citoyen·nes et des travailleuses et travailleurs du monde. Vive la lutte de notre classe ».

Un représentant France Palestine Solidarité a lu un communiqué du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens. Il exprimait le soutien du rassemblement aux travailleurs et travailleuses palestiniennes : aux personnels de santé délibérément visés par l’armée israélienne, aux enseignants dont les établissements ont été détruits et aux enfants des écoles morts par milliers, aux journalistes ciblés par l’armée, sans oublier les habitants de Cisjordanie occupée et colonisée (490 morts depuis le 7 octobre). Les Palestinien·nes d’Israël sont l’objet d’intimidation permanente. Le Collectif a toujours dénoncé sans ambiguïté l’ensemble des crimes de guerre commis depuis le 7 octobre. Il demande le respect des résolutions de l’ONU et appelle une fois encore à un cessez-le-feu.

Illustration 4
[Ph. YF]

Le cortège s’ébranle et monte en haute ville, à la Maison de Gascogne où un pot de l'amitié est servi, tandis que des chorales (de femmes essentiellement) entonnent avec entrain des chants militants (La Lega, Les Penn sardines, Allez les gars, combien on vous paye, L’estaca, A la hulega feminista). Si cela n’a pas été aujourd'hui un raz-de-marée, chacun était conscient que les trombes d’eau n’ont pas rebuté les plus courageux et que le défilé avait finalement de la gueule.

[1er mai]

Toulouse :

Illustration 5
Toulouse, 1er mai [Ph. DR pour YF]

A Toulouse, le 1er mai : double charge violente et gratuite des policiers qui lancent des grenades de désencerclement. 5 personnes blessées (points de suture) par les matraques. Les policiers frappent tout le monde. Selon les médics, les blessés dont une jeune fille, n'ont pas compris pourquoi. Comme souvent, les policiers pénètrent dans la manif pour la couper en deux et tabassent des porteurs de banderoles (j'ai assisté à exactement la même scène à Nantes). Il semble qu'il s'agisse d'une stratégie prétextant la présence de Blackblocks. La Dépêche a écrit que trois policiers auraient été frappés auparavant : aucun journaliste de La Dépêche n'était là, donc l'info est donnée sur la foi de ce que la police déclare. Scène filmée le 1er mai dans les rues de Toulouse par DR pour YF (Social en question).

10 mai 2024 © Yves Faucoup

Massacre des innocents

Le tableau de Lucas van Valckenborch au musée Thyssen-Bornemisza à Madrid (Le Massacre des innocents) et celui de Pablo Picasso, au musée de la  Reine Sofia (Guernica), à Madrid également, tandis que le massacre se poursuit à Gaza : l’État d’Israël et le gouvernement d’extrême-droite et raciste de Netanyahou portent une lourde responsabilité, qui pèsera terriblement désormais sur l’État hébreu, pour avoir non pas (seulement) combattu le Hamas mais massacré les Palestiniens, ne dissimulant même pas son intention de les éliminer du paysage. Un massacre est forcément un massacre des innocents.

Illustration 7
Illustration 8
[Ph. YF]

[25 avril, Madrid]

Solidarité avec Gaza

Pour une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens. Si en un jour, le 7 octobre, le Hamas en tuant à 691 civils israéliens et 76 étrangers, en commettant des viols reconnus par l’ONU et en enlevant 250 otages, a commis un acte de terrorisme (au total 1163 morts dont 370 soldats et policiers israéliens), Israël, en un peu plus de 6 mois, a littéralement rasé l’enclave palestinienne de Gaza provoquant la mort de 33899 personnes tués, dont 14500 enfants et 9560 femmes (70% des victimes), 76000 blessés dont 12300 enfants selon un communiqué de l’UNICEF daté du 18 avril (qui estime que des milliers d’autres sont sous les décombres).

La Cour Internationale de Justice a estimé qu’il y avait un risque de génocide. Or pour beaucoup, parler de génocide ou parler de cessez-le-feu, est assimilé à de l’antisémitisme (y compris de la part d’une extrême droite, islamophobe, qui a sa chaîne de télé, dont la dénonciation de l’antisémitisme n’a rien de convainquant). Dans le contexte actuel d’un débat public devenu délirant, il est réconfortant de voir que des citoyens, aux fins fonds des provinces, se mobilisent pour exprimer leur solidarité avec les Palestiniens de Gaza, avec un concert de solidarité. 

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Le Collectif gersois pour une paix juste et durable rassemble : l’AFPS (France Palestine Solidarité), Communes pour la Paix (dont Lasséran), LDH (Ligue des droits de l’homme), ANPNPA (association pieds-noirs progressistes), ACAT (chrétiens contre la torture), CCFD (catholiques contre la faim), CGT, Sud-Solidaires, FSU, MODEF (syndicat agricole de gauche), Confédération Paysanne, PCF, PS, POI, Génération écologie, les Verts, LFI, NPA.

[22 avril]

Les "indésirables" déportés en Algérie

L’ANACR 32 [association des anciens combattants et amis de la Résistance] a organisé, sous la houlette de son président Jean-Luc Tovar, le 18 avril à Auch, salle Cuzin, une conférence d’un historien, Georges Sentis, sur la déportation en Algérie des "indésirables" français (dont 5 Gersois) et étrangers en 1941-1943.

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Georges Sentis [Ph. YF]

Il fait tout d’abord un historique de la déportation, inventée par la Révolution de 1848 de façon "humanitaire" pour qu’elle remplace la peine de mort. Puis ce fut en 1851 (après le coup d’État de Napoléon III : nombreux révoltés, plusieurs centaines déportés et les autres condamnés à construire l’escalier monumental à Auch) et en 1871 après la Commune. Le terme indésirable vient de Daladier (du Parti radical, élu avec le Front Populaire) qui, en 1938, ouvre des camps (Rieucros en Ariège, Argelès, Barcarès, Gurs, Le Vernet) pour enfermer les réfugiés espagnols de la Retirada.

Alors que l’armistice de 1940 n’est pas encore signé, le journal d’extrême droite Gringoire lance l’idée de déporter les indésirables en Algérie et de créer des « camps de concentration ». On est en pleine débâcle mais le pouvoir trouve le moyen d’organiser un train pour emmener à Marseille 106 étrangers pour les interner en Algérie. Un bombardement italien sur la cité phocéenne empêchera cet embarquement, alors ils seront envoyés au camp de Saint-Sulpice-la-Pointe dans le Tarn.

Le conférencier évoque plus précisément le camp de Djelfa et la redoute de Bossuet en Algérie : le départ en bateau se faisait de Port-Vendres, proche des camps. Max Aub, qui a participé à la guerre d’Espagne avec les Républicains et qui est celui qui a commandé à Picasso le tableau qui commémore le bombardement nazi sur Guernica, est interné en Algérie, ainsi que des centaines d’autres dont 5 Gersois : Edmond Baup, Louis Bétous, Arthur Defay, Georges Lébé et Victor Rieumajou. Djelfa est Fort Saganne du roman de Louis Gardel et du film d’Alain Corneau. La mortalité à Djelfa et Bossuet est élevée. Le conférencier expose les tensions entre De Gaulle et Giraud, ce dernier soutenu par les Américains. Il faudra attendre trois mois après le débarquement allié en Afrique du nord pour que les indésirables soient enfin libérés. Il évoque aussi les massacres de Sétif (1500 morts officiellement le 8 mai 1945, sans doute 15.000), si peu connus des Français et qui seront grandement responsables de l’insurrection de 1954.

Lors du débat avec la salle, Renée Courtiade apporte des précisions sur la déportation de 341 Gersois après le coup d’État de 1851 ainsi qu’après l’attentat de 1858 contre Napoléon III (chaque département devait fournir des noms en vue de déportation !). Ces déportés devaient construire des routes, des ponts dans des conditions effroyables, beaucoup sont morts. Elle donne les coordonnées du site Association 1851, Pour la mémoire des Résistances républicaines : https://1851.fr/.

Georges Sentis est l'auteur de plusieurs ouvrages dont un livre paru en 2021 sur la déportation des "indésirables" français et étrangers.

Illustration 11

[21 avril]

. Ces chroniques sont parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets, ici dans une version parfois légèrement remaniée.

Billet n° 801

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup

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