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Ce mois-ci, il a été annoncé que l'Australie allait verser l’équivalent de 236 millions d’euros aux Aborigènes survivants qui ont été retirés de force à leur famille, entre 1910 et 1970. Sur les 500 000 enfants placés ainsi en institution, souvent maltraités, 3600 seulement percevront 47 000 € en reconnaissance du préjudice causé, 4400 € pour les aides à la guérison… et une lettre d’excuses du gouvernement !
Déjà en 2013, la Première Ministre s’était excusée publiquement pour un autre scandale : celui des mères célibataires contraintes à abandonner leurs enfants (entre 1951 et 1975), adoptés selon des procédures gérées par des institutions religieuses. 225 000 enfants auraient été ainsi retirés brutalement à des mères dont le consentement à l’adoption avait été extorqué. La Première Ministre : « on vous donnait de fausses assurances. Vous étiez obligés de vous soumettre à la force et la brutalité des pratiques ».
L’Espagne de Franco et l’Argentine de Videla procédèrent à des trafics d’enfants, avec la complicité de certains membres de l’Église catholique, pour permettre à des proches du pouvoir fasciste de récupérer des enfants volés à leurs parents révolutionnaires, qui étaient exécutés. On se souvient des Lebesborn, ces centres où 250 000 enfants d’origine russe ou polonaise, d’apparence « aryenne », ont été volés par l’État nazi et adoptés par des familles allemandes.

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En Suisse, la Pro-Juventute, association de bienfaisance, a organisé le placement d’enfants Yenishes (le fondateur de cette association pour la jeunesse avait flirté avec le nazisme pendant la guerre). Il fallut des décennies avant que ce scandale ne soit révélé (les enfants ainsi placés devenus adultes demandant à retrouver leurs parents et exigeant que les autorités rendent des comptes). D’autres enfants, qui n’étaient Yénishes, nommés « les enfants parias » dans un livre et un documentaire, ont été retirés à l’initiative de notables helvètes parce que les mœurs des parents leur déplaisaient (de 1949 à 1980).
Récemment (en juin), le chef d’une communauté autochtone a annoncé qu’à Marieval, à l’ouest du Canada, 751 tombes anonymes d’enfants avaient été découvertes par géo-radars. Il s’agirait d’enfants d’un pensionnat catholique qui aurait fonctionné de 1899 à 1990. Déjà, dans une autre province, les restes de 215 écoliers ont été découverts enfouis sur le site d’un pensionnat. Des enfants de communautés indiennes et inuites étaient placés de force dans 139 pensionnats sur tout le pays (on évalue leur nombre à 150 000). Ils et elles auraient été soumis à des mauvais traitements et à des abus sexuels : 4000 y ont trouvé la mort, selon une commission d’enquête qui parlait de «génocide culturel». Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a qualifié cette tragédie de «crime contre l’humanité».
On sait depuis longtemps que les autorités canadiennes ont procédé au « kidnapping » des enfants des réserves d’Indiens au Canada et leur « incarcération dans des écoles religieuses (blanches) où tout souvenir de leur culture et de leur langue leur est enlevé » (Le Monde du 21 février 1991 à propos du film Where the spirit lives, de Bruce Pitman qui, sorti en 1989, en rend compte).

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Il faudrait citer aussi les pensionnats d’Irlande : celui du Bon Secours à Tuam, dans l’ouest de l’Irlande, par exemple, où 796 corps de bébés ont été retrouvés en 2016 : il s’agirait d’enfants de familles pauvres ou nés hors mariage, placés dans cet orphelinat catholique, vraisemblablement morts des suites de négligences. En janvier dernier, le premier ministre irlandais a présenté ses excuses, suite à la publication d’une enquête démontrant que sur 57 000 enfants placés dans des congrégations religieuses entre 1922 et 1998, 9000 étaient décédés pour défaut de soins : parce que la société irlandaise et l’Église catholique considéraient ces naissances comme illégitimes. Scandale qui s’ajoute à celui du couvent des Sœurs Marie-Madeleine qui ont réduit en esclavage 10 000 jeunes filles jusque dans les années 80, et aussi celui des prêtres pédophiles qui furent très actifs en Irlande.
Et aussi, le Children Act, en Angleterre, qui permettait jusqu’à une époque récente le retrait des enfants sur simple suspicion de maltraitance, avec adoption à la clé, laissant les parents sans défense.

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Enfin, se souvenir des enfants de la Réunion, déportés de l’île vers la métropole, pour leur bien, pour leur permettre de faire des études, disait-on aux familles, qui ne les revirent jamais. Le dispositif, qui perdura jusqu’au début des années 70 avait pour but, selon son instigateur, Michel Debré, le « père » de la Constitution française, premier ministre du Général De Gaulle, député de la Réunion, de repeupler les campagnes françaises. La France (plus précisément l’Assemblée Nationale) a bien adopté une résolution courte formulant le vœu que « la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée ». Elle a constaté que « l’Etat a manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles » et souhaité que « tout soit mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle ». Par ailleurs, les conditions de vie dans les établissements de correction (les Bon Pasteur pour les filles) furent longtemps assez terribles, avant les évolutions éducatives des années 60. J’ai connu une maison d’enfants en pleine campagne en Haute-Saône, à Frasne-le-Château qui vivait en totale autarcie (ayant four à pain et matériel dentaire sur place pour n’avoir pas à se rendre au chef-lieu) : c’est à propos de ce centre, qui était encore une maison de correction pour enfants délinquants, que, juste avant la dernière guerre, le journaliste Alexis Danan fit scandale après avoir rapporté dans la presse nationale qu’il avait découvert, déambulant dans les rues du village, un enfant de 5 ans, le crâne rasé.
On m'a signalé l'existence dans le passé d'un "home" d'enfants, catholique, à Maripasoula en Guyane [Région et Département français], pour des enfants Amérindiens Wayana, qui étaient ainsi totalement coupés de leur culture et ne rentraient dans leur familles que très rarement.
J’en oublie certainement, mais il importe d’avoir ces faits en mémoire, de la capacité d’un État, même dit démocratique, de bafouer prétendument pour la bonne cause les droits des parents et ceux des enfants. Y penser quand, dans notre pays, des lobbyistes s’ingénient à dénoncer le fait que la protection de l’enfance fermerait les yeux face à la maltraitance à enfants et ne placerait pas assez d’enfants en familles d’accueil ou établissements ou en vue d’adoption. Résister à ces tendances mortifères ne signifie pas de donner raison aux autres lobbyistes, en face, qui affirment contre toute vraisemblance que la quasi-totalité des enfants seraient placés sans raison, en France aujourd’hui.

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. Je suis preneur d'informations complémentaires sur ce sujet, d'autres exemples existent certainement que je n'ai pas abordés ici.
Voir :
. mon post Facebook du 15 janvier 2021 Enfance : le scandale irlandais.
.The Magdalene Sisters, film dramatique irlando-britannique de Peter Mullan, sorti en 2002.
. Maternité secrète, documentaire de Sophie Bredier, 2017 : l’histoire du château de Bénouville (en France) où des générations de filles-mères accouchèrent en secret. Le film dévoile un chapitre tabou des violences faites aux femmes et aux "bâtards".
. Nous, les filles-mères, documentaire de Sophie Bredier, 2020 : ce film raconte l’évolution et la permanence du regard posé sur les "filles-mères" et déroule les grandes étapes de la politique familiale en se focalisant sur l’histoire des institutions maternelles de l’après-guerre à nos jours.
. le rapport d’enquête sur la situation en Irlande est accessible (en anglais) : Final Report of The Commission of Investigation into Mother and Baby Homes.
. article du journal suisse Le Temps : L’Irlande sombre, honteuse, misogyne, discriminatoire et complice des Mother and Baby Homes veut faire son «mea culpa» (13 janvier 2021). Avec un reportage vidéo de France 24 inclus, de 15 mn.
. France 3 a diffusé (en 2016 et 2020) un documentaire Au nom de l’ordre et de la morale de Bruno Joucla sur les enfants parias de Suisse. Voir article de Télérama sur ce film : ici.
Le scandale irlandais
Sur le scandale irlandais, Mediapart vient de publier un reportage très étayé de Juliette Démas, en quatre volets, sur les femmes des classes populaires qui ont été exploitées dans le couvent irlandais, Magdalene Laundries. Plus de 10 000 femmes sont passées dans cette institutions, à partir de 1922, date de la fondation de la République d’Irlande. Au XIXème siècle, l’établissement accueillait des prostituées qui restaient libres de s’en aller. Puis il devient une prison pour celles qui troublent l’ordre social. On y retrouve alors pêle-mêle des victimes d’inceste ou de viol, des femmes adultères, des enfants au comportement difficile. Les prières sont de rigueur, tandis que le travail harassant est exécuté sous le contrôle des religieuses.
Aujourd’hui, une association recueille les témoignages de femmes survivantes. C’est la découverte d’un charnier en 1992 qui déclenchera la fermeture du couvent mais il faut attendre une enquête de l’ONU publié en 2013 pour que l’État soit mis en cause. On évalue à 1600 le nombre de femmes mortes dans ces institutions. Une journée en l’honneur de ces femmes a eu lieu en 2018 à Dublin, la plupart ont alors témoigné à visage découvert.
Est évoqué également, dans la série de Mediapart, le charnier trouvé à Tuam que j’ai évoqué plus haut : l’Église catholique laissa croire, lors de la découverte, qu’il s’agissait des victimes de la Grande Famine des années 1845-1852. Un rapport de 4000 pages d’une commission officielle, ayant entendu 550 femmes, finit par concéder que les maisons pour mères célibataires n’ont pas sauvé les enfants et ont peut-être « réduit de manière significative leur espérance de vie » ! Sans reconnaître des actes de cruauté, alors même que les femmes ont témoigné des violences subies. Quant aux enfants qui ont été adoptés, par l’entremise de l’Église, ils et elles ne peuvent retrouver leurs parents, les dossiers n’étant pas accessibles et les prélats donnant de fausses informations pour détourner les recherches. Des milliers de dossiers mettraient en évidence des adoptions illégales. Il va de soi qu’on a toute raison d’être choqué par ce qui s’est passé en Irlande mais si on creusait un peu on s’apercevrait qu’en France il en fut de même, sans doute jusqu’à la fin des années 50 (des associations chrétiennes présidaient aux adoptions en catimini et ne conservaient aucun dossier). Dans le dernier article, Juliette Démas décrit la façon dont ont été et sont traitées les femmes dans une Irlande qui « peine à tourner la page du passé ».
1. Enchaînées à la blanchisserie
2. Plus de règles, plus de vie
3. Pour les enfants adoptés en Irlande, la honte en héritage
4. Pour les Irlandaises, un chemin encore long vers l’égalité

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Social en question
Sur ce blog, quelques articles sur ces pratiques des États et de l’Église de placements massifs d’enfants à l’encontre de familles démunies :
Les enfants perdus d’Angleterre (24 avril 2019).
Gitta Sereny et les enfants volés du Reich (30 mars 2016).
Enfants exilés de la Réunion, où étaient les intellectuels ? (4 mars 2014).
Videla et les bébés volés… (28 mai 2013).
Enfants abusés, enfants maltraités, enfants volés (28 mars 2013).
Billet n° 629
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 600.
Contact : yves.faucoup.mediapart@sfr.fr ; Lien avec ma page Facebook ; Tweeter : @YvesFaucoup