Sabrina Kassa
Journaliste à Mediapart

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L'Hebdo du Club

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Billet de blog 4 mars 2020

Sabrina Kassa
Journaliste et éditrice
Journaliste à Mediapart

Hebdo du Club # 85: Changer, au cœur de la tempête

Agitations autour du Coronavirus, appels à la mobilisation contre le 49-3, et pour des changements radicaux, en ce début du mois de mars, le temps est à la tempête, aux vents violents et aux précipitations. Mais étrangement aussi, aux éclaircies, grâce à quelques valeureux acharnés qui continuent de tracer les pistes d’un futur désirable. Et à la fin de cet Hebdo, une nouvelle rubrique : les rendez-vous du Club !

Sabrina Kassa
Journaliste et éditrice
Journaliste à Mediapart

Quand la semaine dernière, nous avons lancé l’appel à contributions pour un Mediapart des possibles, nous ne pensions pas que notre invitation à « faire basculer le cours des choses » s’inscrirait dans un contexte si mouvementé. Mais n’est-il pas dans la nature même du kairos, ce dieu grec si fugace qu’il faut le saisir par les cheveux, d’exiger de nous d’agir dans des circonstances imprévisibles pour que des changements profonds adviennent ?

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Des AMAP pour produire et se nourrir à l’aide de circuits-courts, des éco-villages pour s’assurer une auto-suffisance énergétique, des solidarités locales pour accueillir les étrangers vulnérables et faire société autrement, etc., etc. depuis longtemps, nous savons qu’il est possible d’inventer d’autres façons de faire, malgré les verrous institutionnels et la marche forcée du modèle dominant vers l’ultralibéralisme. "Les alternatifs" ont déjà une longue histoire derrière eux, et ils ont su convaincre et inspirer bien au-delà des cercles militants. Hélas, ce monde résolument plus juste, plus équitable et plus écologique n’est pas encore assez connu. La diversité de ses terrains d’action, les bonnes pratiques, les écueils à éviter et les blocages qui empêchent d’amplifier et de faire système sont encore flous. C’est pourquoi Mediapart, Journal et Club, a décidé de créer « Les possibles », une série d’enquêtes, de reportages, de portraits pour raconter et rendre visible ses « champs des possibles ». Nous l’avons déjà écrit, mais nous le répétons, si cette proposition vous inspire, vous pouvez participer à ce journal collectif en vous inscrivant ici. Le premier à s’être lancé, Arthur Matteudi, nous a déjà fait partager plusieurs « extraits d'un article rédigé en 2015 (« du haut de ses 20 ans »), sur les « utopies concrètes » de Leipzig, ville d'Allemagne de l'Est désormais célèbre pour la richesse de ses alternatives et l'engagement de ses habitants face aux nouveaux défis sociaux et environnementaux. » 

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Les gouttes d’eau du monde d’hier

D’après les universitaires de la tribune « Réformes, quand est-ce que ce sera trop ? », il n’y a plus aucun doute, le 49-3 est la fameuse goutte d'eau qui fait déborder le vase ! « Est-ce que le recours à l’article 49.3 annoncé samedi 29 février par le gouvernement n’est pas le geste de trop, celui qui franchit pour de bon le seuil de l’intolérable et qui exige de notre part la réaction la plus vive et la plus unanime possible ? Sinon quand est-ce que ce sera trop ? » La violence des répressions policières contre les oppositions de la rue, du mouvement social et des lycéens, le refus d’entendre les revendications pourtant massives et maintenant de jouer le jeu de l’opposition parlementaire, tout cela rend la chose politique absolument indigeste. « Admettons au moins, disent-ils, que nous rentrons dans l’inconnu et que cet inconnu est plus qu’inquiétant ». Et prédisent-ils, si la mobilisation de ce jeudi 5 mars n’est pas massive, et qu’elle ne fait pas basculer les choses, « on ne voit plus très bien ce qui empêchera Marine Le Pen d’accéder au pouvoir en 2022… »

Une même urgence à agir habite le texte « Le recours au 49-3, une obscénité » de Paul Alliès, le président de la Convention pour la 6e République (C6R). Par ce geste, dit-il, le gouvernement impose « sa médiocre copie : une bouleversement historique du système de retraite devra être adopté sans aucun vote par le Parlement. C’est une obscénité de plus dans l’histoire de cette République. Elle confirme la nécessité d’en finir avec elle pour qu’advienne un nouveau régime où les pouvoirs soient équilibrés et les droits du parlement reconnus avec une réelle responsabilité du Premier ministre devant lui. Dans l’immédiat, la Convention pour la 6° République appelle à soutenir toutes les manifestations contre ce coup de force. »

Des réactions à chaud, des analyses, des opinions, des appels à la grève à partir du 31 mars, de ses déclinaisons locales et stratégiques à sa généralisation (lire le billet du syndicaliste Théo Roumier), il y a eu moult réactions dans le Club sur le sujet.

Parmi eux, « Morgue de classe », de l’historien-géographe Dimitris Fasfalis dans son blog intitulé « Sur le seuil du temps », a attiré l’attention des lecteurs et on le comprend, sa réflexion rappelle l’essentiel : la survivance maladive du passé dans la politique du présent. « Le 49.3 du gouvernement achève aujourd'hui de démontrer la morgue de classe du pouvoir actuel. Morgue de classe car lorsque les travailleurs parlent du travail, ils parlent de leur vie. Lorsque les dominants en parlent, il n'en est jamais question; sauf pour l'incriminer, l'encadrer et, finalement, en nier l'autonomie radicale. »

Un passé qui se cramponne, se nécrose même, c’est aussi ce que « les dominants » du monde du cinéma nous ont donné à voir, analyse le sociologue Eric Fassin dans « Polanski, l’homme et l’artiste ». « Le vote de la profession nie tout changement, comme si rien ne s’était passé – non seulement aux États-Unis, jusqu’à la condamnation d’Harvey Weinstein, mais également en France, après la prise de parole d’Adèle Haenel. En quittant la salle à l’annonce de la récompense, l’actrice a bien marqué la violence symbolique exercée sur toutes les victimes de violences. En outre, le prix est une manière d’affirmer que le féminisme n’a rien à voir avec la culture, au risque de suggérer que la culture n’a rien à voir avec le féminisme – puisque l’artiste n’aurait rien à voir avec l’homme. » 

Un virus au coeur

La parole des dominants a du plomb dans l’aile et ça crée une drôle d'ambiance. Coronavirus, Coronavirus, Coronavirus, Coronavirus… Tous les jours, dans tous les médias. A force, on se méfie. Qui croire ? Quelle parole ? A quoi tout cela rime-t-il ? Comme tout un chacun, nous avions des tas de questions et pas de réponses claires. C’est pourquoi nous avons lancé en début de semaine un appel à témoignages pour savoir comment vous viviez cette "épidémie" au quotidien. 

En 24 heures, plus de 260 réponses. Parmi elles, deux commentaires symptomatiques :

Un qui pointe les incohérences gouvernementales :

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 Et un autre qui insiste sur l’inquiétude qui se propage dans certains secteurs à cause des annulations d’évènements :

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Notre ancien collègue Hubert Huertas qualifie quant à lui, le Covid-19 de « Virus potemkine ». « Si le monde se paralyse pour une grippe c’est qu’il est devenu impensable qu’un gouvernement s’avance devant son peuple, et lui dise que le problème n’est pas si grave. Impossible de soutenir que quelques personnes mourront, hélas, mais que cette menace ne justifie pas de bloquer la vie de tous. » De quoi le Coronavirus est-il le nom ? De notre vision étriquée du réel !

« Partout, l’idée s’est imposé que la réalité c’est ce qu’on voit à la télé. (…) Nous contemplons notre village Potemkine et ne supportons pas que l’embarras ou le malheur frappe les personnes qui y figurent. Nous nous identifions à eux, même s’il y a une chance infinitésimale que nous soyons atteints. Nous confondons, avec nos gouvernements, la surface de l’écran et la profondeur du réel. »

Ce besoin d'écran, entre nous et l'autre, c'est peut-être là que réside notre malheur. Claire Rafin, dans « Un virus au coeur » met la plume dans la plaie, et nous invite à retrouver notre humanité, toute l'humanité. « Pour cet étrange virus au coeur de l'homme qui lui permet de masquer sa conscience selon l'origine des personnes dont il est question, il faudra sans doute encore beaucoup de recherches avant de trouver l'antidote. Le jour où on annoncera : "4ème mort de froid dans la rue, un enfant de 13 ans", "5ème mort en train de fuir la guerre", "3ème noyé en Méditerranée", ... on aura trouvé la clé pour ouvrir les coeurs à la place des coffre-forts. » 

Réapprendre à vivre en hauteur !

L’association des amis de la génération Thunberg, créée à l’initiative de Jean-Marie Le Clézio et Bernard Stiegler a pour but d’organiser des échanges réguliers entre les jeunes générations mobilisées pour la défense du climat, et des personnalités issues des mondes scientifique, économique, juridique, artistique, philosophique, technologique. Dans leur dernier billet, « Promouvoir la sobriété en reconstruisant l’économie libidinale », ils mettent en scène un échange  entre « ces deux mondes » sur la notion de sobriété.

Il en ressort que la sobriété est une préoccupation centrale dans les mouvements de jeunesse pour le climat, avec des variantes stratégiques sur les leviers (s’adresser aux particuliers ou au grand capital) mais aussi sur la philosophie. Les gestes de sobriété, d'accord, mais ne faut-il pas s’interroger avant tout sur nos imaginaires et notre « économie libidinale » pour sortir de l’aliénation consumériste ? Qu’est-ce à dire ? « La libido ce n’est pas la pulsion, c’est une façon d’économiser des pulsions, analyse Bernard Stiegler. En d’autres termes, c’est une façon de différer leur satisfaction en transformant le désir pulsionnel. C’est une idéalisation de l’autre qui conduit à en prendre soin. Ce n’est plus de la consommation, ce n’est plus de la pulsion, c’est de l’investissement. De l’investissement dans une vie familiale, dans un engagement social, etc. Ce qui est aujourd’hui détruit par le capitalisme. » 

Réapprendre à vivre, à se désintoxiquer des objets et des écrans passe, disent-ils, par l’expérimentation de pratiques collectives, par la quête et la transmission des savoirs anciens et surtout par l'envie de faire, à nouveau, confiance à l’autre.

Alors pour sortir de la peur, certains trouveront-ils cela peut-être un peu trivial, mais en ces temps de paranoïa virale, ce n’est pas anodin, le Dj Arnaud Simetière propose de « partager le sensible » dans un podcast joliment intitulé : « Danser ensemble, vivre ensemble », « en hauteur », sur fond de musique congolaise. Pour que la piste de danse devienne un véritable «tiers-lieu », Dj Arnaud Simetière nous clarifie les pré-requis : se poser la question, « qui est présent dans le public ? », y-a-t-il suffisamment d’espace pour que chacun respecte l’autre et last but not least, il faut que le Dj soit dans la générosité pour établir un va-et-vient avec le public.

© Musique pour l'Imaginaire

Les rendez-vous du Club

Le Club est au carrefour de nombreuses luttes et d'une culture contre-hégémonique. Pour s'assurer que le maximum de gens puissent se retrouver dans les moments importants, nous lançons cette nouvelle rubrique. N'hésitez donc pas à partager vos agendas.

  • Bibliothèque 93, une association à Bobigny nous informe que « du 20 mars au 4 avril 2020, le festival Hors Limites propose une programmation riche et variée : des performances, des lectures musicales, des ateliers, des rencontres d’auteurs, des projections et un parcours littéraire. »

Hors Limites, le festival littéraire de Seine-Saint-Denis 

  • La Marche des Solidarités qui rassemble « les familles des victimes, MigrantEs, ImmigréEs, contre les violences policières, contre la chasse aux migrantEs et aux sans-papiers » fait un « appel à toutes les mobilisations du mois de mars à un geste commun en hommage aux victimes du racisme, du sexisme, des violences policières, du système des frontières... » 

Votre système, nos victimes 

  • Pour une Marche du Siècle le 14 mars. « Un ensemble d'associations et de collectifs citoyens appellent à une nouvelle large mobilisation, un an après la Marche du Siècle et à la veille des élections municipales, le 14 mars prochain, aux côtés de Greta Thunberg qui sera présente à Paris. Ils exhortent à «contraindre nos élu·­­e·s à agir à la hauteur de l’urgence pour un changement de modèle économique et social ».

Marche pour le climat: transformons nos territoires 

  • Pour une démocratie numérique. « Loin des clichés médiatiques, le mouvement des Gilets Jaunes s’est différencié des luttes politiques françaises antérieures par de nombreux usages, pratiques et projets technologiques, médiatiques et numériques. C’est cette nouvelle Démocratie Numérique Populaire qui sera en discutée le 7 mars entre des chercheurs, des ingénieurs, des designers numériques et bien sûr de nombreux Gilets Jaunes. »

[Rencontres] Démocratie numérique populaire

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Bienvenue aux nouveaux contributeurs

Bienvenue à Christophe Gatineau, « auteur, cultivateur et agronome » de Compreignac qui la semaine dernière a écrit Mortalité des abeilles, la faute au plafond de verre« Article oblige, je n'irai ni sur le terrain des pratiques apicoles ou agricoles, ni dans le champ politique, les mots m’étant comptés. J’ai donc restreint mon sujet à savoir que les plantes qui nous nourrissent, ou nourrissent les animaux que nous mangeons, se nourrissent dans les sols grâce à ses habitants, et se reproduisent grâce aux insectes pollinisateurs et en particulier aux abeilles. »

Bienvenue aussi à la militante féministe, Fatima Benomar pour son billet intitulé « Du consentement » « Consentement et rapport sexuel dans le couple hétérosexuel : 90 % de femmes disent être sous pression ! Le collectif #NousToutes a dévoilé aujourd'hui les résultats d'un appel à témoignages sur le consentement auquel plus de 100 000 personnes ont participé. »

Et enfin, merci à Fanny Goubert, assistante de Service social à Lyon, d'avoir inauguré son blog par la « Déclaration commune: solidarité transnationale contre le racisme et la guerre! ». Un texte signé par une multitude d'associations à travers le monde « pour dénoncer la situation actuelle en Grèce face à l'ouverture de la frontière turque le 27/02/2020. »

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