Tout le monde sait les raisons pour lesquelles nos frères sénégalais, maliens et guinéens sont harcelés et violentés. Tout le monde sait que ces braves gens ne sont que la couverture de surface d’une haine viscérale et cadastrale exercée par l’État contre certaines composantes sociales du pays, réduites à leur négritude.
L’ethnicité est une déviation totalitaire. Elle relève d’une curieuse certitude loufoque qui établit des barbelés entre des différences. Pourtant la configuration sociale et la conjoncture politique du pays demandent aux Mauritaniens de renoncer définitivement à la misère des déchirements de l’exil mental pour avoir la pleine conscience de soi et la pleine conscience des autres.
Maîtresse passionnée dans l’art de conter le monde transatlantique, Maryse Condé a déplacé les lignes verticales du dire conventionnel pour vagabonder la pensée par rapport aux fers identitaires qui l’ont vue naître comme écrivaine nomade. Cette poétique du déplacement participe à la subversion du français standard. Une subversion qui favorise l’imaginaire créole et l’écriture créole.
Par endroits, le fleuve Sénégal à l’arborescence divine résiste contre les yeux aveugles du chaos imprévisible qui s’enroule intensément. Ses orbes d’or au souffle intarissable acheminent nos espérances tourmentées comme de flocons de soleil dans les litanies inédites du ciel estival.
Les Mauritaniens sont dans un état de conscience primitif où la raison tribale prime sur la raison nationale. Il leur faut cette envolée de possibles qui jaillira des étangs accidentés et endoloris : elle se lèvera et soulèvera avec elle les arborescentes fougères du pays, sanctuaires d’une mémoire ignorée et nécessaire.
La pensée de la fatalité éloigne les Mauritaniens du devoir de responsabilité. Plutôt que d’espérer le changement, il faut apposer son sceau dans la chair du soleil du présent immédiat et forcer l’avenir à s’aligner sur la conscience du désir d’autre chose, initié par l’engagement qui émanerait du devoir de responsabilité.
Au Sénégal, ceux qui portent des cierges en plein soleil dans les allées de Dieu ont toujours eu une pensée pour ceux qui s’alignent en kaftan pour saisir le silence de la nuit. Au Sénégal, ceux qui surveillent l’averse du soleil n’ont jamais cessé d’implorer la grâce de l’Esprit Supérieur pour ceux égrènent sans trêve des gros chapelets à travers la boue de l’horizon.
Le désir d’autre chose sera réalité quand les Peuls et les Soninkés se soulèveront et s’indigneront massivement à chaque fois qu’un Haratin ou un Maure est inquiété ou tourmenté injustement. La lune ronde du printemps paradera dans ce pays lorsque les Haratins et les Oulofs se manifesteront et se mobiliseront collectivement à chaque fois qu’un Soninké ou qu’un Peul est confronté à l’injustice.