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Billet de blog 30 mai 2025

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Les oublis de l’histoire de France

Les Oradour d’Algérie, le 8 mai 1945, les oublis de la célébration de la fin de la guerre, et Royan rayée de la carte.

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Les Oradour d'Algérie

Illustration 1

L’Arcom met en garde RTL suite aux propos de Jean-Michel Aphatie qui, évoquant Oradour-sur-Glane, disait que la France en avait fait des centaines pendant la conquête de l’Algérie. Ce qui est factuel, tous les historiens sérieux en conviennent. Répondant à une question de Thomas Sotto, cherchant vraisemblablement à piéger le chroniqueur, Aphatie a dit que les Nazis ont agi comme la France l’avait fait auparavant. Il n’a pas dit que la France était nazie, exterminant de façon industrielle tout un peuple, comme les Nazis l’ont fait.

Plutôt que de stigmatiser Aphatie qui a eu tout à fait raison d’apporter ces données historiques, l’Arcom aurait mieux fait de sanctionner RTL pour avoir des chroniqueurs, Thomas Sotto et Amandine Begot, qui ont affiché en direct une ignorance crasse. Par ailleurs l’Arcom, qui a sanctionné C8 et les dérapages d’Hanouna, s’est bien gardée d’interdire le canal 16 à CNews qui affiche à longueur de journée un racisme totalement décomplexé. A noter qu’Aphatie un temps écarté de RTL, a démissionné et a été remplacé par… Raquel Garrido (ex-LFI) : ce serait bien qu’elle reprenne les propos documentés d’Aphatie, même au risque d’être éjectée. Manifestement, la vérité sur les crimes contre l’humanité de la France coloniale doivent impérativement être tus. Ce qui signifie clairement que ces crimes sont assumés, ils relèvent d’un passé lointain qu’il n’est pas question de désavouer. Pourtant non seulement ces populations ont terriblement souffert, leurs descendants ne l’oublient pas mais encore les Nazis réprimèrent violemment les populations des territoires conquis en invoquant ce qu’ils avaient fait eux-mêmes dans leurs colonies, et les Belges (les horreurs du Congo), les Britanniques, les Français dans les leurs.

[10 mai]

. voir : Algérie : négationnisme de la droite extrême  Dès qu’il s’agit de rappeler, si rarement, que la France a commis des crimes de guerre sinon des crimes contre l’humanité en Algérie, cela provoque un tollé pas seulement dans les médias d’extrême droite.

. La revue L'Histoire de juin 2025 consacre un dossier de 30 pages à la guerre de conquête de l'Algérie : est évoquée l'enfumade de Dahra (1845) où 700 Algériens, soldats, hommes, femmes et enfants ont péri. De 1830 à 1850, 500 000 Algériens furent tués (sur une population de 3 à 4 millions). 

Illustration 2

L’autre 8 mai 1945

On évoque plus souvent désormais l’autre 8 mai 1945, à savoir les massacres perpétrés par la France en Algérie, plus précisément dans le Constantinois (Sétif, Guelma, Kherrata), qui provoquèrent la mort de 15 000 Algériens (en Algérie, chaque année, on rappelle un chiffre bien plus élevé) pour 102 Européens tués. Il se dit souvent qu’il fallut attendre les années 1990 pour qu’on en parle. Idem pour le 17 octobre 1961, cette manifestation pacifiste d’Algériens (avec femmes et enfants) violemment réprimée par la police parisienne sous les ordres de Maurice Papon, alors que le général De Gaulle était président de la République. Le 8 mai 1945 en Algérie joua un rôle fondamental dans la lutte armée d’Indépendance : les plus modérés comprenaient qu’il était illusoire de chercher à s’entendre avec l’État français, façon de dire que la guerre d’Algérie ce sont vraiment les autorités françaises qui l’ont déclenchée.

Illustration 3

Je lis aujourd’hui que ces massacres coloniaux ne sont pas à classer comme profits et pertes mais nécessitent qu’ils soient rappelés. Pour que les jeunes générations, dont celles issues de l’immigration du Maghreb, connaissent ce qu’une puissance imbue d’elle-même est capable de faire, tout en se prétendant au-dessus de tout soupçon et donnant des leçons aux autres. Comme aujourd’hui Israël considérant que l’attaque meurtrière du Hamas du 7 octobre justifie de raser Gaza et de provoquer à ce jour plus de 50 000 morts et d’innombrables blessés.

Pour ma part, au tout début des années 80 alors qu'aucun média n'en parlait, j’ai écrit sur le 17 octobre 1961 (Paris) dès 1980 et sur le 8 mai 1945 (Sétif) dès 1982 (en interrogeant le ministre de l’Air de la Libération Charles Tillon, ancien chef du grand mouvement de Résistance FTP, et deux autres résistants, le futur ministre de l’Information de De Gaulle, Pierre-Henri Teitgen, et son frère Paul Teitgen, ancien secrétaire général de la police Alger, démissionnaire pour dénoncer la torture pratiquée par l’armée française). Je mets en ligne ce rappel dans deux articles de mon blog sur Mediapart ainsi qu’une longue interview, fort documentée, de Paul Max Morin, politiste et spécialiste des études mémorielles (Université Stirling, Royaume-Uni), sur cet épisode sanglant de l’histoire coloniale française. 

. The Conversation (accès libre) : 8 mai 1945 à Sétif : jour de victoire en France, jour de massacres en Algérie

. sur le 8 mai 1945 : 8 mai 1945 : les massacres de Sétif et le témoignage que m’avait livré Charles Tillon

. sur le 17 octobre 1961 : 17 octobre 1961, le massacre ignoré

[8 mai]

Libération de la France : les oublis

Illustration 4
[Ph. YF]

J’ai assisté ce matin à Auch, devant le monument aux morts, à la cérémonie commémorant le 80ème anniversaire de la victoire des Alliés contre l’Allemagne nazie : comme simple citoyen qui mesure ce qu’a été cette guerre face à la barbarie fasciste et ce que les militaires, les civils et les résistants ont enduré durant l’Occupation. Le discours de la ministre lu par le Préfet évoque bien les soldats, les « résistants foudroyés ou torturés », « les civils assassinés et déportés, en particulier les Juifs morts dans la Shoah ». La France, le 8 mai 1945, renouait « avec sa grandeur et décidait de se choisir un grand destin ». « Dans l’effervescence de la Victoire, [les Français] choisissaient de redonner au pays son indépendance, sa puissance et sa prospérité ». Modèle français hérité de la Libération dont nous bénéficions encore… Le texte de la ministre évoque « les champs de ruines laissés par les durs combats de la Libération », sans rappeler, comme c’était aussi le cas l’an dernier, les bombardements des alliés qui ont provoqué la mort de 75 000 civils. Pourquoi est-il impossible d’aborder cette douloureuse question ? La façon dont ont été menés ces bombardements mérite qu’on en parle. Dans tous les cas de nombreux civils ont perdu la vie parce que des autorités militaires ont estimé que c’était le prix à payer et que l’on pouvait raser un quartier ou une ville entière, surtout dans un pays qui avait collaboré (comme les Alliés ont laminé Dresde et radié Hiroshima).

Mais il y a un autre rappel qui mériterait tout de même d’être fait un jour lors d’une telle commémoration : les massacres du Constantinois en Algérie (voir la chronique ci-dessus). Certainement 15 000 morts, pour la quasi-totalité des civils dans leurs villages qui furent bombardés par l’aviation ou à partir de bateaux de guerre, le 8 mai 1945 et jours suivants, parce que des drapeaux algériens avaient été sortis, les Algériens, qui avaient combattu en Europe, pensant qu’une nouvelle ère s’ouvrait pour eux. C’est pourquoi je considère qu’il est indécent d’annoncer, devant le monument aux morts, qu’un détachement d’un régiment est présent et que ce régiment est intervenu dans le passé en Indochine et en Algérie ! Et si ce régiment avait participé à cette action qui relève du crime contre l’humanité ? Rien n’est impossible puisque la France, sans nier le crime, n’a pas reconnu sa faute.

Illustration 5
[Ph. YF]

Enfin, encore comme l’an dernier, deux gendarmes sont décorés de la médaille d’or de la défense nationale pour leur « abnégation totale » dans le maintien de l’ordre « dans le cadre des émeutes urbaines » qui ont éclaté « après qu’un adolescent ait été tué » (affaire Nahel). Qu’ils soient décorés, c’est une chose, qu’ils le soient le jour de cette commémoration cela me parait assez troublant. Par ailleurs, il me semble que dans ce genre de cérémonie, l’accent est beaucoup mis sur le monde militaire, et que la Résistance, dont le rôle a été primordial dans l’action propre à la France pour sa Libération, est quelque peu négligée.

[8 mai]

Royan rayé de la carte

Illustration 6

Escapade de trois jours à Royan, occasion de passer de bons moments avec des ami·e·s et de respirer l’air marin. Pins maritimes majestueux et chênes noueux aux feuilles vert tendre resplendissantes. Au-dessus des falaises de calcaire de Suzac, chemin conduisant à une vue panoramique sur l’embouchure (stratégique) de la Gironde et blockhaus de Saint-Georges-de-Didonne, traces de la folie humaine qui a détruit cette ville en 1945. La France était presque entièrement libérée, mais subsistait ici une poche allemande : alors, le 5 janvier, l’aviation alliée bombardait massivement, rayant la ville de la carte. Ville ensuite reconstruite, cultivant son art de l’architecture car il fallut bien innover. Et le plus rapidement possible (des habitants ayant vécu un temps dans des cabanes). Ici tout habitat ou presque date de 80 ans. Et l’église, en béton brut, élance son clocher à 56 mètres comme une rampe de lancement de Cap Canaveral, inaugurée en 1958.

Illustration 7
[Ph. YF]

Pourquoi 440 morts civils le 5 janvier ? Parce qu’il y aurait eu un malentendu entre les Alliés, ajouté à un problème de traduction entre Américains et Britanniques (!), c’est en tout cas l’explication que donnent les brochures. Nulle part en France on aime rappeler que les Américains ou la Royal Air Force (censée mener des frappes chirurgicales mais c’est bien la RAF qui a agi à Royan larguant 1576 tonnes de bombes et 13 tonnes de bombes incendiaires) ont tué plus de 75 000 civils sur l’ensemble du territoire. Et les 14 et 15 avril, un nouveau déluge s’abattait sur Royan, avec cette fois du napalm. Le grand historien américain, Howard Zinn, dans un petit ouvrage (La bombe, éd. Lux) évoque Royan car il était dans un des 1200 bombardiers chargés d’anéantir définitivement la ville, sans viser des installations militaires comme il le précise. Il donne le chiffre de 1,8 million de litres de feu liquide (napalm) déversés. Après-guerre, il s’est renseigné : pour avril, « il n’existe aucun dénombrement officiel » des morts civils. Pour janvier, il donne le chiffre de 1000 morts, pour un bombardement dont l’utilité n’a jamais été démontrée. Il cite des Royanais qui ont tenté de dénoncer cette « tragique erreur » et montre comment l’affaire a été étouffée. 

En certains lieux, en France, il faut deviner que la foudre provenait des Alliés, on pourrait presque croire que c’était l’Occupant nazi. Après 1945, on ne s’est pas attardé sur le sujet. Remember : Brest, Bruz, Rennes, Saint-Etienne, Le Havre, Nantes, Royan, Caen, Lisieux, Evreux, Cambrais, Tours, Marseille, Avignon, Lille, Amiens, Lyon, Nîmes, Saint-Nazaire, Lorient, Vannes, Rouen, La Chapelle (à Paris), et Aunay-sur-Odon. 

[29 avril]

Illustration 8
Royan [Ph. YF]

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. voir 8 mai 44, Remember ! [7 mai 2015]

Alors que l'on célèbre la victoire sur l'Allemagne nazie, une pensée pour 75 000 Français tués lors des bombardements alliés. Pourquoi évoquer le 8 mai... 44 ? Parce que c'est la date d'un raid meurtrier détruisant la ville de Bruz près de Rennes. Et ensuite Saint-Etienne, Le Havre, Nantes, Royan... Dommages collatéraux qui font l'objet d'une grande discrétion dans la mémoire officielle.

. Le temps passe et je tarde à publier sur Social en question, pour en garder trace, ces chroniques parues sur mon compte Facebook aux dates indiquées entre crochets.

Billet n° 864

Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au  n° 600Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).

Contact : yves.faucoup.mediapart@free.fr ; Lien avec ma page Facebook 

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