Agrandissement : Illustration 1
Sabine Wespieser a vingt ans. La maison d’édition créée en 2002, connue pour son exigence et son indépendance, et non sa créatrice (formée dans une autre vie chez Actes Sud, de 1987 à 1999), bien que la confusion eût été possible tant cette dernière a conservé toute l’énergie et la fougue de l’âge passionné, alertant encore récemment - poing levé et micro batailleur - contre les risques de concentration de la production et de la diffusion du livre en France (via le rapprochement entre les géants Éditis et Hachette, sous la férule du boulimique Vincent Bolloré), avant-hier au Festival Étonnants Voyageurs à Saint-Malo entourée de ses autrices et auteurs, hier dans une librairie près de Toulon pour une rencontre avec les lecteurs, demain peut-être du côté de Strasbourg pour soutenir un des écrivains de sa maison ou pour une table ronde avec les professionnels de la Culture, son inaltérable frange prête à résister à la tramontane, au mistral ou à toute autre bourrasque imprévue. La dame à la main de fer dans gant de velours ne ralentit jamais, semblant posséder le don d’ubiquité autant que celui du flair pour détecter les talents qui, telles des plantes, ont besoin de temps et de réassurance pour développer leurs racines au plus profond avant de lancer, en temps voulu, leurs plus belles floraisons. Un luxe pour les créateurs une fois ce rapport de confiance établi, alors que le rythme saisonnier des publications est devenu totalement insensé dans le pays.
Moins les livres ont de visibilité et donc la chance de trouver leurs lecteurs (durée de vie médiatique, quoi ? Quinze jours, trois semaines au mieux puis au suivant ?), plus la machine s’emballe et produit, produit, produit, chasse des rayons ceux qui venaient à peine de s’y installer, pilon, aides, trouvez-moi du papier dispo pour imprimer dépêchez-vous et on recommence tout, on accélère, vite, vite, aides, rotatives, pilon, dégagez-moi ceux-là, ils étaient estampillés « souffle révolutionnaire sur la littérature » mais c’était il y a une semaine déjà, les « invention d’une nouvelle langue » poireautent devant la porte !
Sabine Wespieser a vingt ans, et voilà qui n’est pas rien dans le féroce monde de l’édition. Vingt ans et un succès bâti sur la qualité et la rareté (jamais plus de dix livres par an) plutôt que sur la cadence ubuesque de ses consœurs papivores, sur un désir de revenir à l’essentiel du métier d’éditrice : défendre la langue et les écrivains qui ont un univers à raconter (ou en gestation sans même parfois bien le réaliser eux-mêmes). Formule gagnante auprès d’un lectorat avisé puisqu’entre le premier prix remporté par Yanick Lahens sous les couleurs de la maison en 2014 - le Femina pour ‘Bain de lune’ - et le plus récent, le Goncourt belge (finaliste en France) pour ‘Milwaukee Blues’ de Louis-Philippe Dalembert, une longue liste de reconnaissances entre ces deux écrivains haïtiens.
Sabine Wespieser ne publie pas des livres. Elle accompagne des œuvres en construction.
Agrandissement : Illustration 2
Dame Wespieser est donc très courtisée par les créateurs (et sans doute enviée par moult collègues qui doivent, eux, se coltiner aussi les mises en page des mémoires de tel acteur ou tel présentateur télé) mais, l’indépendance farouche de la femme d’affaires - qui ne délègue à personne le soin de lire chaque manuscrit reçu - la mène souvent à devoir rester inflexible afin de sauvegarder le modèle quasi artisanal de son entreprise, qui revendique totalement son choix de la subjectivité et du long terme plutôt que la recherche des « coups ».
Les couvertures de la maison, minimalistes, couleurs crème subtiles aux variations délicates, sont devenues un point de repère visuel dès le passage des portes des librairies. « Tiens, ils ont les Wespieser. »
Avec une soixantaine d’auteurs lui faisant entièrement confiance et un nombre grandissant de curieux attirés par sa réputation de rigueur et d’accessibilité, Sabine Wespieser éditions a réussi son pari de se tailler une place et une réputation sur le marché du livre, tout en conservant son état d’esprit de maison à taille humaine qui interroge à travers ses univers réunis le monde, la société, les âmes forcément pleines de doutes.
Un modèle aussi réjouissant, frais et atypique que menacé malgré tout, comme le sont ceux de toutes les maisons encore indépendantes, dans la ligne de mire d’ogres aux appétits insatiables pour les monopoles.
Plongée dans vingt livres de la maison pour célébrer ce bien bel anniversaire [accès aux critiques en cliquant sur les titres surlignés et découvrir les mille tempêtes et autant de mondes se dissimulant derrière ces sages couvertures cartonnées...]
- 'Milwaukee Blues', de Louis-Philippe Dalembert. L’Amérique de George Floyd
Agrandissement : Illustration 3
- 'L’Absente de tous bouquets’, Catherine Mavrikakis. Jardin en friche en bord de mère
Agrandissement : Illustration 4
- Morsures de la rue, sévices de la mémoire : étourdissant 'Bleu nuit' de Dima Abdallah
Agrandissement : Illustration 5
- 'Le dernier mouvement', Robert Seethaler : le crépuscule de Mahler. Ultime symphonie
Agrandissement : Illustration 6
- 'Failles', de Yanick Lahens. Penser Haïti
Agrandissement : Illustration 7
- ‘Sous le ciel des hommes’, de Diane Meur : critique sociale de haute volée
Agrandissement : Illustration 8
- ‘Parias’, de Beyrouk. Quand le désert recule
- 'Tableau noir' : le blues des préaux. Michèle Lesbre sans retenue
Agrandissement : Illustration 10
- ‘Girl’, d’Edna O’Brien. Les filles perdues de Boko Haram
Agrandissement : Illustration 11
- ‘Ce genre de petites choses’, de Claire Keegan. Toile merveille
Agrandissement : Illustration 12
- ‘Vertige de l’hélice’ : Saint-Saëns a disparu. Rapsodie érotique de Vincent Borel
Agrandissement : Illustration 13
- Pendez-le ! ‘Albert Black’, Fiona Kidman. Retour sur un procès teinté de xénophobie
Agrandissement : Illustration 14
- ‘L’Annexe’, de Catherine Mavrikakis : agents lettrés, huis clos fatal
Agrandissement : Illustration 15
- ‘Suite en do mineur’, de Jean Mattern. Jérusalem au son du violoncelle
Agrandissement : Illustration 16
- ‘Dans la maison du père’, de Yanick Lahens. Au son de l’assotor
Agrandissement : Illustration 17
- 'Mauvaises herbes', de Dima Abdallah. Bouquet d’épines. Le Liban en plein cœur
Agrandissement : Illustration 18
- ‘L’Ami’, de Tiffany Tavernier. Après les ténèbres
- ‘Mur Méditerranée’, de Louis-Philippe Dalembert. Naufrage collectif
Agrandissement : Illustration 20
Agrandissement : Illustration 21
- 'Oscar De Profundis’, la star de l’Apocalypse. Une dystopie glaçante de Catherine Mavrikakis
Agrandissement : Illustration 22
* écouter l’interview de Sabine Wespieser sur France Culture, à propos de la menace monopolistique
* également, la dernière chronique de Josyane Savigneau sur ‘Misogynie’, de Claire Keegan, récemment sorti chez Wespieser ed.
—— Deci Delà ——