Aucune trame, aucun plan. Mes images naissent comme des apparitions, s’assemblent en constellations fragiles, reliées par des courants invisibles. Je ne cherche pas à expliquer mais à laisser résonner silences et écarts. Créer, c’est habiter cet archipel mouvant, où le sens affleure puis s’échappe, et où l’image parle avant les mots.
Je viens de croiser Reiner Schürmann. Découverte tardive, mais coup de poing. Son récit Les Origines ouvre une faille : celle d’un Allemand hanté par un passé qu’il n’a pas choisi. Errance, exil, mémoire impossible à solder. Deux gestes qui se rejoignent : écrire et photographier pour dire que rien n’est effacé.
Dans un monde saturé d’images, lire une photographie, c’est apprendre à voir autrement. Non pas comprendre, mais se laisser traverser. Une photographie n’est pas une fenêtre sur le réel : c’est une brèche. Une faille. Une présence fragile qui nous regarde autant que nous la regardons.
Derrière la “victoire totale” de Netanyahou, l’écho du Endsieg. Même vocabulaire, même obsession : détruire l’ennemi jusqu’au dernier souffle. Une démocratie peut-elle oublier à ce point d’où elle vient ? Quand la mémoire devient justification, elle perd son âme.
La photographie, dès qu’elle se pense comme capture, se compromet avec le pouvoir. Dès qu’elle prétend montrer, elle commence à masquer. Il est temps de désapprendre à voir, et de restituer à l’acte photographique sa part d’incertitude, de tremblement, de silence.
Le 7 octobre fut une tragédie. Mais rien, pas même l’horreur, ne peut justifier le massacre qui s’abat sur Gaza. Quand Israël se réclame de la Shoah pour justifier l’injustifiable, c’est la mémoire elle-même qui est trahie. Ce texte interroge : que vaut « Plus jamais ça », si l’on tue encore au nom des morts ?
Entre le chant fragile des premières cigales et le fracas lointain des crimes répétés, ce poème pose une vérité insoutenable. À Gaza, pendant que l’été s’annonce ici dans le froissement léger du vivant, là-bas on tue ceux qui ont faim. Les miradors se dressent à nouveau, et l’histoire bégaie avec une précision glaçante.
Dans cette tribune, Matthias Koch interroge le devenir du regard, la perte du lien entre celui qui voit et celui qui reçoit, et affirme la nécessité d’une photographie incarnée, lente, habitée. Un appel à résister, non par nostalgie, mais pour préserver la relation vivante entre le monde, l’image, et l’humain.
: Ce n’est pas un portrait.
Encore moins un autoportrait pour le salon. (Moi — frontal, nu. Sans alibi.)
L’appareil photo ? C’est moi.
Le sujet ? Moi aussi.
(On dirait : je témoigne de moi-même. Mais c’est déjà trop dire.)