L’editing n’est pas un simple tri : c’est une pensée du visible. Dans un monde saturé d’images, il rétablit la durée, relie les fragments, et transforme la photographie en écriture critique du réel.
À mesure que l’intelligence artificielle s’impose comme l’œil dominant de notre époque, une question fondamentale ressurgit : que signifie encore voir dans un monde où les machines prétendent regarder à notre place ? Derrière les prouesses techniques, c’est une bataille politique et existentielle qui se joue — celle de la liberté du regard.
Le style, en photographie, peut devenir une prison dorée. À force de vouloir être reconnaissable, le photographe risque de se répéter, de répondre à l’attente des autres plutôt qu’à sa propre recherche. Entre reconnaissance et enfermement, où commence la perte du regard ?
Jamais les images n’ont autant circulé, jamais les photographes n’ont été aussi précaires.
Autour d’eux prospère toute une économie : fabricants, galeries, plateformes, festivals.
Tous vivent de la photographie — sauf ceux qui la font.
Aucune trame, aucun plan. Mes images naissent comme des apparitions, s’assemblent en constellations fragiles, reliées par des courants invisibles. Je ne cherche pas à expliquer mais à laisser résonner silences et écarts. Créer, c’est habiter cet archipel mouvant, où le sens affleure puis s’échappe, et où l’image parle avant les mots.
Je viens de croiser Reiner Schürmann. Découverte tardive, mais coup de poing. Son récit Les Origines ouvre une faille : celle d’un Allemand hanté par un passé qu’il n’a pas choisi. Errance, exil, mémoire impossible à solder. Deux gestes qui se rejoignent : écrire et photographier pour dire que rien n’est effacé.
Dans un monde saturé d’images, lire une photographie, c’est apprendre à voir autrement. Non pas comprendre, mais se laisser traverser. Une photographie n’est pas une fenêtre sur le réel : c’est une brèche. Une faille. Une présence fragile qui nous regarde autant que nous la regardons.
Derrière la “victoire totale” de Netanyahou, l’écho du Endsieg. Même vocabulaire, même obsession : détruire l’ennemi jusqu’au dernier souffle. Une démocratie peut-elle oublier à ce point d’où elle vient ? Quand la mémoire devient justification, elle perd son âme.
La photographie, dès qu’elle se pense comme capture, se compromet avec le pouvoir. Dès qu’elle prétend montrer, elle commence à masquer. Il est temps de désapprendre à voir, et de restituer à l’acte photographique sa part d’incertitude, de tremblement, de silence.