Elle est différente la prison des femmes. Différente de celle des hommes. Je les ai toutes deux bien observées. En apparence, elles se ressemblent : mêmes barreaux rouillés aux fenêtres, mêmes toits recouverts de tuiles ocres, mêmes murs d’abord jugés marrons — de loin, ils le sont — alors qu’ils regorgent de détails.
Qu’est-ce qui nous sépare d’eux ?
Les murs, bien sûr. Les murs marrons et sales qui traversent le domaine pénitentiaire. Je les ai cru interminables à notre arrivée à Fresnes.
Moins que la vue, les bruits au-delà en rappellent l’existence : cris entendus sur le chemin du collège, une portion de route rectiligne délimitant le mur sud de la maison d’arrêt des hommes des parcelles cultivables.
La première fois, elle l’a dit le jour où il a appris sa réussite au concours de l’administration pénitentiaire. Puis elle l’a répété, ponctuelle et motivée, pendant l’emballage de nos affaires dans des cartons, jusqu’au déménagement. Et là, au milieu de l’appartement vide : « Ça va aller mieux pour nous maintenant. »
4 heures qu’on roule sans interruption. La fratrie, au complet, serrée comme des sardines sur la banquette arrière. Bientôt : Fresnes.
4 heures aussi qu’A joue aux chaises musicales sur nos genoux. Le rehausseur adapté à son âge bouffait toute la place, on a dû le virer. Grimpé sur les genoux de S ou P, je lance un décompte mental. Je les suspecte de se débarrasser de A plus vite que moi.
11 ans. On déménage. Paris. Ou plutôt, « près de Paris ».
Auprès de mes futurs ex-camarades de classe du collège, je fais sauter « près de ». Sa présence réduirait le sentiment d’importance qu’évoque la capitale. Elle demanderait de se justifier, d’expliquer les kilomètres entre le fantasme et la réalité.
Dîner.
Toujours la même place, interdiction d’en changer. S, P et moi d’un côté de la table recouverte de toile cirée, lui, elle et A de l’autre.
Lui et elle ont les meilleures places, face à la télé, dans notre dos.
C’est S qui me retient par le bras dans le couloir. Ou P qui m’apostrophe, au retour de l’école, à peine mon cartable ôté. Et quand, sans prévenir, les deux déboulent dans ma chambre, les augures se télescopent en écho sinistre : « T’es mal. »
S, P et moi avons un jeu récurrent. Au préalable, il nécessite qu’une condition soit remplie. Les coups reçus sans prévenir par exemple nous privent de notre jeu.
La configuration du lieu, des protagonistes, des émotions. Aussi, l’état mental, les pensées que l’on a formulées. Certains moments se conservent avec une acuité troublante. Ils paraissent irrémédiablement figés dans l’ambre, parfaitement intact, comme le moustique de Jurrasic Park. Quel incroyable film Jurrasic Park.
« C’est réglé »
Ces mots, on les prononce parfois lorsque remontent à l’esprit les souvenirs d’une période particulière. Ils tracent une ligne ferme, définitive, entre l’avant et le maintenant, entre l’enfant et l’adulte. Je me les répète souvent, comme un mantra.