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Je regarde en arrière et je me dis que l’énergie que j’ai mise à vivre et à élever mes enfants supplante tout ce que j’aurais pu faire d’héroïque, que le plus grand courage est celui de garder la place. Je vois tout ce qui est hors de portée et j’enrage parce que j’ai le sentiment d’avoir été lâche. Je perçois ce moment dans ma vie où j’ai pris le chemin qui m’empêcherait de sauver le monde.
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Le regarder, jour après jour et ce depuis presque toujours, prendre sur lui, se battre à mains nues, sans relâche contre ses hyper-sensibilités, contre cette façon de fonctionner qui se butte à la norme… et se demander jour après jour et ce depuis presque toujours pourquoi un enfant doit grandir dans le combat, autiste ou pas.
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C’est cela que nous attendons d’eux. Qu’ils fassent rempart de leur corps, pour défendre les nôtres. Et nous trouvons presque normal que, les uns après les autres, ils tombent au combat.
Tout à coup, ils redeviennent humains, tout à coup, on les oublie, ils rejoignent la cohorte des malades anonymes… On ne les applaudit plus à nos fenêtres.
Quelle horreur. Quelle solitude doit-être la leur !
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En quelques heures, le voile s’est levé sur notre petite communauté… comme une lumière noire, révélatrice des empreintes et des pensées…
Tout à coup, les frontières se sont redessinées entre nous. À nouveau nous n’étions plus du même bord politique, à nouveaux nos différences ont réinvesti leur réalité palpable. J'ai pensé à la France de 1940.
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Depuis presque une semaine, je ne parviens plus à sortir Théo de sa chambre et j'ai beaucoup de mal à le sortir du lit. Il mange à peine et retrouve les vieilles habitudes de repli.
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Ça me ramène à mes souvenirs d’un temps de confinement avec mon fils autiste. 9 années d’une solitude totale, infinie. D’un temps où il n’y a eu nul sursaut de la part d’un gouvernement bien trop occupé à me juger pour proposer la moindre solution... D’un temps où mon isolement, mon confinement me protégeait d’eux…
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Huitième jour de confinement total avec mon fils Théo, 16 ans, autiste asperger.
Les premiers jours se sont bien passés pourtant. Bien sûr, ses amis lui manquaient, ses tours à vélo, ses balades avec son chien, tout ça stoppé net d’un coup. Pourquoi ? Il fallait qu’il y ait un sens. Malgré tout, il était fier d’être acteur de la lutte contre le virus.
- Je fais rempart, me disait-il.
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- En fait, j’ai des souvenirs d’avant 5 ans, continue-t-il, mais je n’ai pas de mots à mettre dessus. Ce sont des souvenirs sans mots.
Je lui demande s’il se souvient de ce qu’il faisait alors? S’ils se souvient de nous.
- Je me souviens de sensations, me répond-il...
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Pour Théo, incapable de définir les bords de son identité, tant psychologique que physiologique, tout ce qui l’abordait était susceptible de l’envahir, et tout ce qui débordait de lui, le menaçait de disparaître.
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Aujourd’hui la peur a changé de visage. Elle est finalement plus sournoise, plus subtile, comme si, elle aussi, s’était enseignée du passé.
Je réalise… je sais… que le bonheur de Théo n’est pas lié à la somme de ses progrès. Peut-être même est-ce l’inverse. Plus il apprend, plus il comprend, et plus il souffre.