
Soigner moins, exclure plus : vers une rédéfintion du modèle social français

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Le 9 juillet dernier, lors d’une conférence de presse, le président du MEDEF, Patrick Martin, a dévoilé ses propositions pour combler le déficit de l’Assurance maladie. Parmi elles, une mesure particulièrement1…
controversée : la baisse du remboursement des affections de longue durée (ALD). Une idée reprise le 15 juillet par François Bayrou, dans le cadre du plan d’économie qu’il a présenté pour réduire les dépenses de santé.
On voit bien que cette proposition n'a rien d'innocent. Parler de santé en termes de rentabilité, ce n’est pas seulement une question d’économie : c’est un choix de société.
Certes, ce n'est pas la première fois que le MEDEF et le gouvernement, appellent à "ouvrir une réflexion sur le financement de notre système de santé". Mais avec ces propositions et sous prétexte de "responsabiliser les patients " et de "réorienter la solidarité", ils franchissent un cap inédit.
Personne n'est dupe de leurs intentions . En effet, avec cette idée, ils défendent en réalité une redéfinition profonde du modèle social français qui, si on y regarde de plus près, s’inscrit dans un projet idéologique bien plus vaste.
Derrière les chiffres d’économies espérées avancés et les formules technocratiques, une logique s’impose : cibler les malades chroniques, notamment les plus âgés, les moins autonomes, les plus précaires.
Les affections de longue durée, cancers, diabète, insuffisance cardiaque et rénale, dépression sévère, représentent aujourd’hui près de 60 % des dépenses de l’Assurance maladie. Et leur objectif est de revoir la liste de ces pathologies prises en charge à 100 %, voire d’introduire des tickets modérateurs non remboursés.
Mais cette idée repose sur un malentendu dangereux : le soin ne fonctionne pas comme un marché. Et la maladie n’est pas un choix rationnel. Laisser penser qu'un malade chronique peut "optimiser" » ses décisions de santé comme un consommateur choisit un forfait mobile relève d’une violence sociale profonde. D’autant plus que les personnes qui seront les plus touchés par ces mesures sont aussi ceux pour qui les soins sont déjà les plus inaccessibles : les personnes pauvres, isolées, âgées, handicapées.
Pour comprendre ce qui se joue ici, il faut aller au-delà de l’analyse économique. Comme l’a montré Michel Foucault, la santé est aussi un lieu de pouvoir. Dans sa notion de biopouvoir, il explique comment les sociétés modernes ont appris à gouverner les populations non plus par la force, mais en gérant leur santé, leurs corps, leur comportement. On ne contraint pas, on oriente, on normalise.
C’est exactement l'objectif recherché à travers ces mesures : récompenser les comportements "responsables", (adhésion aux parcours de soins, vaccination, prévention), et pénaliser ceux jugés déviants ou trop coûteux. Derrière le vernis de la gestion, il y a un mécanisme de tri.
Le remboursement devient une forme de contrôle social, un outil de gouvernementalité néolibérale : chacun doit désormais se prendre en main, surveiller son poids, ses gestes, sa discipline. Et ceux qui échouent à se conformer à ces normes, souvent les plus fragiles, seront écartés du système.
Ce projet en apparence rationnel, est en réalité une attaque frontale contre l’universalité du droit à la santé. Il cherche à transformer un principe de solidarité, chacun cotise selon ses moyens pour que chacun soit soigné selon ses besoins, en marché à deux vitesses, où le soin devient une récompense méritée, non un droit garanti.
C’est aussi une violence symbolique majeure. En masquant les véritables déterminants de la santé : conditions de logement, alimentation, accès aux soins, stress professionnel ou environnemental, on cherche à culpabiliser les malades
Comme le soulignait Pierre Bourdieu, faire porter la responsabilité d’une situation à ceux qui en sont les victimes est un mécanisme classique de domination.
Au fond, ces propositions nous mettent face à un choix de civilisation.
Voulons-nous une société où l’on continue à soigner les plus fragiles, quels que soient leurs revenus, leurs choix de vie, leur conformité à la norme ? Ou bien sommes-nous prêts à entrer dans une ère où la santé devient un privilège, conditionné par l’efficience, la rentabilité, la docilité ?
Comme le disait Michel Foucault : "Le pouvoir moderne, c’est celui qui fait vivre et laisse mourir." Ce pouvoir, aujourd’hui, s’exerce au nom de l’équilibre budgétaire.
Mais ce qu’il détruit, c’est bien le cœur du pacte républicain : la solidarité.
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