Une semaine après un week-end de deuil à la Monumental de Barcelona, Morante fait le dernier paseo de sa temporada dans les arènes de Zafra. Construite en pierre blanche et d’une hauteur vertigineuse, la plaza donne une vision surréaliste du ruedo. Il y a de tout dans les tendidos, des oiseaux dans une boîte en carton pas très solide ne font que bouger. Leur pouvoir d’épouvante est bien plus grand qu’on ne peut l’imaginer, la frayeur se lit dans le regard de ma voisine… La faute à la feria ganadera qui se déroule en même temps. Il fait chaud mais les tendidos sont pleins et veulent vibrer. Morante, défenseur de l’art, de part son attitude, son toreo, sa vision et son rapport à la vie, se concentre dans le patio des cuadrillas. Les yeux fermés, il se demande surement comment faire pour nous toucher, nous émotionner, nous vider. Son art ne plait pas à tout le monde mais ne pas le reconnaître s’apparente à l’ignorance d’une réalité.
Sur la route menant au Rocio, après la Parc naturel de la Doñana, vous passez devant de grandes étendues de terres sauvages, plus loin vous arrivez sur une finca splendide et en ce jour de tempête elle revêt un air mystique. Les habitations apparaissent, des silhouettes légendaires vous observent...
La féria s’achève sur une note musicale, une œuvre lyrique. Il s’est passé beaucoup d’évènements. Les aficionados repartent-ils avec un sentiment de frustration ? D’amertume ? De satisfaction ? Il est important de s’interroger au vu de ce que doit représenter une arène comme Nîmes. Nous aimons cette plaza qui est esthétiquement la plus belle du monde ; tauromachiquement, une des plus importante par sa programmation. L’est-elle vraiment par le sérieux ? Ce débat n’a fait qu’alimenter les conversations d’aficionados durant une semaine entière. Il est vrai que jeudi soir, la barre avait été placé très haute. Nîmes n’avait pas connu une telle exigence depuis longtemps, cela en a choqué certains. Pourtant, la majorité des aficionados ne le fut pas ; c’est même le contraire. Dans des arènes comme Séville ou Madrid cette rigueur est en adéquation avec la catégorie de la plaza. Nîmes n’est-elle pas considérée comme la Séville française ? Par la sensibilité artistique de son public, la réponse est évidente. La faena de Morante lundi soir l’atteste profondément. Pour le reste…
« Je ne sortirai a hombros de ces arènes qu’en franchissant la porte du Prince » (José María Manzanares hijo). En déclarant une telle envie, un tel sentiment, l’alicantin ne s’imaginait pas sortir par cette porte tout en marquant l’Histoire. La relation qu’il entretient avec les arènes de Séville est singulière. Il a coupé la coleta de son père, en larme, le jour de sa despedida. Il lui a toujours manqué le petit plus pour arriver à concrétiser ce rêve de Grande Porte ; les toros ne l’aidant pas la plupart du temps. Cette année rien n’aurait puis lui empêcher de toucher le graal. Une prestation exceptionnelle, une sérénité retrouvée, un relâchement total. Malgré les problèmes physiques rencontrés la fin de l’année dernière, la confiance est restée présente. Les doutes du début de saison ont laissé place aux réponses positives. Le déclic s’est produit d’une manière inattendue. Indulter un toro dans la deuxième arène d’Espagne est tout simplement irréel et pourtant… Dès l’entrée du toro en piste les tendidos ont pris conscience qu’il allait se passer un moment inoubliable.
Sevilla est particulière, unique, identitaire, ici tout est différent. Dans les arènes aussi : pour sortir par la Porte du Prince il faut couper trois oreilles, dans le reste de l'Espagne deux suffisent. La banda, devenue au fil du temps orchestre philharmonique, joue à n'importe quel moment de la lidia. Cela se fait à la discrétion du chef d'orchestre. Son public s'enflamme pour une passe, un geste, un solo de trompette ou de saxophone. Son exigence est comparable à Madrid mais elle est plus chaleureuse. L'allégresse de la plaza vous envahie, sa féria est spéciale, si vous ne connaissez pas vous êtes totalement perdu dans ce campo de feria si vaste. Cette année elle restera dans l'histoire tauromachique. Et pourtant... Historique : Qui marque un moment particulièrement important dans l'histoire de telle ou telle personne ou chose (Larousse). Qui est ou qui sera conservé dans la mémoire des hommes, synonyme : mémorable. (Encarta). Le samedi 30 avril à Séville les personnes présentes dans la plaza de la Maestranza ont vécu un tel moment.
En voilà des mystères… Nombre classique pour certains, mystiques pour d’autres, banals… Beaucoup de significations sont possibles. En tauromachie, il revêt une importance toute particulière. Dix peut-être le début du commencement, la fin du commencement ou tout simplement le point final d’un paragraphe, d’une histoire. Pourtant son pouvoir mystique nous dépasse. Au bout de dix minutes tout doit normalement s’arrêter, cependant il se peut que tout s’arrête sans que rien ne s’achève. Dès la première minute, le temps se fige, l’atmosphère est lourde, l’expectative est grande, l’attention aussi. Au bout de trois minutes on peut être totalement décroché, à six minutes on peut revenir encore plus attentif qu’au début. La fin doit pourtant être la même, à dix tout se stoppe. Il n’est pas rare que l’on soit obligé d’arriver à treize ou quatorze, à quinze tout se termine inévitablement, cela dans n’importe quelle situation. Moment de vérité pour certains, point d’orgue ou signature d’une œuvre pour d’autres le chiffre dix est essentiel dans la corrida.
Le bonheur est une chose difficile à trouver et à garder. Pourtant il est possible de le vivre tous les jours, plutôt toutes les nuits. Lorsque nous rêvons notre corps vit une plénitude que nous ne retrouvons que très rarement. La tauromachie peut nous la faire ressentir. Avoir des rêves est essentiel dans la vie, ne pas en avoir serait se perdre, ne pas s’échapper. Les réaliser n’est pas si facile mais il faut voir la réalité, nous ne pouvons être dans un rêve perpétuel, il faut faire face à ce qui nous entoure, prendre conscience que rêver constamment n’est pas la solution. Pourtant il y a des personnes qui arrivent à vivre leurs rêves, qui du moins s’en donnent les moyens. N’est-ce-pas le plus important ?
Je suis né pour te connaîtrePour te nommer Liberté. (Paul Eluard) Ces vers, les petits catalans risquent de ne jamais pouvoir les apprécier. Si cette région de l’Espagne acquiert un jour l’indépendance ils crieront : « Libertat !» ; saisiront-ils tout le poids de ce mot ?
La liberté est un vaste sujet, parlons en. Cela nous paraît naturel, nous avons toujours vécu dans ce contexte. Nos ancêtres se sont battus pour elle. Nous le leur devons, le respecter est un devoir. Ce qu’il s’est passé en Catalogne est inqualifiable, une telle atteinte à la liberté ne peut pas passer en toute impunité. Notre responsabilité est de dénoncer ce genre de vote, de le combattre par tous les moyens. Les catalans ont la mémoire courte car il n’y a pas si longtemps ils se sont battus contre le franquisme, repoussés la dictature, la pensée unique. Avec l’interdiction de la corrida, l’opposition au pouvoir central est un retour à ce système, c’est consternant.
Galapagar est un petit village à une trentaine de kilomètres de Madrid. Il y a cinquante ans, un homme décide de racheter un lot d’Albaserrada. Parti de rien, le « paleto » (paysan) de Galapagar commence à élever des toros de combat. Dès 1960 Victorino Martin Andres démarre une sélection dure et imprime sa griffe. Le succès arrive dès les années 70, c’est phénoménal quand on sait que pour arriver à sortir un lot de toros il faut attendre cinq ans. Forcément tout n’est pas arrivé immédiatement mais il est évident que cette ganaderia est aujourd’hui l’une des plus emblématiques. Au fil des années, victorino a construit sa réputation par sa connaissance, son observation des toros. Aujourd’hui cela fait un demi-siècle qu’il nous ensorcelle. Cette ganaderia de réputation difficile peut pourtant permettre aux toreros de triompher. La science de l’éleveur lui a permis de créer des toros avec du piquant, de l’émotion, de la transmission. Il n’a pas de baguette mais il est considéré comme un véritable sorcier. Nous avons tous un souvenir de cet élevage. Il nous intrigue, nous passionne parfois.