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En effet, conformément à la ligne adoptée, à juste titre, par l’Observatoire, les inégalités ce ne sont pas seulement les très pauvres versus les ultra-riches, ce qui laisse de côté beaucoup de riches considérés presque comme modestes sous prétexte qu’ils ne sont pas au sommet de la pyramide. Le niveau plancher de richesse, seuil de richesse, pendant du seuil de pauvreté, est fixé par le dernier rapport de l’Observatoire, à 3900 euros, chiffre qui a du mal à passer y compris à gauche où beaucoup préfèrent s’en prendre aux patrons du CAC 40 comme s’ils étaient les seuls à ne pas vivre chichement. Cette approche permet de visualiser le fait qu’il y a tout une progression des niveaux de richesse et qu’il est souvent trop facile de ne mettre l’accent que sur le seul haut du panier. Les auteurs considèrent que « concentrer tous les regards sur les ultra-riches permet de mettre en lumière les processus d’enrichissement délirants d’une poignée de milliardaires, mais a aussi pour effet de cacher les niveaux de vie d’une large fraction de la population située en haut de la hiérarchie sociale ».
Les auteurs du rapport regrettent, comme en 2022, que l’Insee, malgré la qualité de ses publications, ne fournisse pas suffisamment de données permettant d’établir ce seuil avec plus de précision. Manifestement, tenter d’établir un seuil de richesse est un pavé dans la marre qui gêne beaucoup d’experts.
En effet, c’est une chose de déterminer les déciles (découper la population en dix catégories de revenus, avec des pauvres, des moins pauvres, des un peu riches, des très riches), autre chose de poser un chiffre à partir duquel on peut considérer qu’on est riche. On se souvient du tollé quand François Hollande avait dit qu’on était riche à partir de 4000 euros (or c’était en 2011). Aujourd’hui afficher 3900 donne des boutons à certains.

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Seuils : à la moitié ou au double
Le seuil de pauvreté est fixé sur le niveau de vie médian (la moitié gagne moins, la moitié gagne plus). Avant impôt, ce chiffre selon l’Insee (2021) est de 1930 euros par mois, après impôts et prestations sociales. Contrairement à divers organismes, dont l’Insee, qui fixe le seuil de pauvreté à 60 % de ce revenu médian, l’Observatoire a estimé que 50 % était plus pertinent (la moitié) car reflétant davantage une situation de pauvreté : ainsi le seuil de pauvreté est 935 € (1158 € si on retient 60 %). D’autres moyens d’évaluation de la pauvreté existent (voir en note).
Le niveau de richesse est (arbitrairement) fixé par l’Observatoire au double du revenu médian soit 3860 euros (il était de 3673 dans le rapport de 2022). Cette façon de calculer a été proposée par l’économiste Tony Atkinson, et est utilisée par l’OCDE et par le gouvernement allemand. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’y a que 7 % des Français qui ont un tel revenu, 93 % sont en dessous de ce niveau. Evidemment, il s’agit de barèmes pour une personne seule : de même que pour le calcul du seuil de pauvreté, on tient compte des personnes présentes dans le ménage (1er adulte 1 part ; les autres de plus de 14 ans 0,5 part ; de moins de 14 ans 0,3 part). Ainsi, le seuil de pauvreté d’un couple avec deux enfants de plus de 14 ans se situe à 935 X 2,5 soit 2337 euros (2895 au SP à 60 %), tandis que pour le même type de famille le seuil de richesse serait de 9650 euros.

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Ce mode de calcul ne prend pas en compte le coût du logement, mais pas plus pour les moins riches, qui n’ont en général pas le choix de leur loyer alors que les plus riches peuvent décider de se loger à des loyers très élevés. Autre objection : l’âge n’est pas pris en compte, or plus on avance en âge plus on peut disposer d’un patrimoine qui change la donne. Il faudrait construire un barème qui combine revenu et patrimoine.
Les auteurs du rapport répondent à l’objection qui consisterait à dire qu’invoquer un niveau de richesse c’est créer des jalousies et pousser à montrer du doigt les riches : or, si certains le redoutent ce n’est pas parce qu’ils gagnent plus que d’autres mais parce qu’ils ont éventuellement conscience que leurs revenus ne sont pas légitimes. Pour ma part, je considère que tous les revenus devraient être publics, et dans les entreprises, associations et administrations tous les salaires quels qu’ils soient devraient être connus.
Définir un seuil de pauvreté c’est sous-entendre que personne ne devrait vivre en-dessous de ce seuil en République (dont la Constitution enjoint à l’État d’assurer à ses citoyens des moyens convenables d’existence). Pourtant, le montant du RSA est inférieur à la moitié du seuil de pauvreté (il n’atteint même pas la moitié du Smic alors que c’était le cas du RMI en 1988). A contrario, le seuil de richesse ne signifie pas que c’est un montant qui ne devrait pas être dépassé. Par contre, Louis Maurin, directeur de l’Observatoire, émet l’hypothèse de la définition d’un seuil de l’ultra-richesse. S’il ne le dit pas clairement, ce seuil devrait pouvoir empêcher les « enrichissements délirants » qui font que des milliardaires font sécession avec le reste de la société.

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4,7 millions de Français sont riches : ils sont moins nombreux qu’en 2011 mais plus riches, ce qui est une preuve d’échec de politiques en France visant prétendument la réduction des inégalités. 16,9 % des ménages disposent d’un patrimoine supérieur à 531 000 euros (soit trois fois le patrimoine médian). La concentration du patrimoine aux mains des plus fortunés augmente.
Le rapport de 87 pages livre bien d’autres données : sur la façon de vivre des riches (logement, résidences secondaires, emplois domestiques, pouvoir), sur la façon dont les riches se perçoivent. On relève que les Français sont majoritairement (58 %) indifférents à l’égard des riches (5 % de l’hostilité, 17 % de l’envie). Si à partir d’un salaire de 3159 €, on entre dans les 20 % les mieux payés, il n’y aurait que 1000 salariés percevant plus de 101 858 € (chiffres de l’Insee). Je vérifie dans l’édition de juillet 2023, les 500 du barème de Challenges vont de 203 milliards (Bernard Arnault) à 235 000 (Chouchan, Roche Bobois), soit, pour ce dernier, 19 583 € par mois. Les 500 restants doivent être joueurs de foot et… stars de la télé, y compris quelques journalistes et collaborateurs discourant sur le chômage, sur l’assistanat et sur les pôvres.

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. Ce rapport existe parce que 928 personnes se sont engagées financièrement pour qu’il soit publié. Il a été élaboré sous la direction d’Anne Brunner et de Louis Maurin, avec la participation de Rémy Blans, Vivien Charbonnet, Xavier Saint-Martin, Bernard Schlemmer et Valérie Schneider. Aujourd’hui, le meilleur moyen de s’informer sur le sujet des inégalités c’est de lire les articles et enquêtes de l’Observatoire (ici) et de le soutenir en commandant son rapport (12 €).

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. Il y aurait une autre façon d’évaluer le seuil de pauvreté en se démarquant d’un calcul théorique (moitié du revenu médian) : ce serait de tenir compte d’un budget de base indispensable. Sauf qu’il est difficile de déterminer un minimum vital. Pourtant certains pays se basent bien sur un budget-type pour évaluer la pauvreté. Par ailleurs, des quotients non officiels sont utilisés pour que des commissions d’attribution de secours prennent leurs décisions (CAF, ASE-Conseils Départementaux). En cas de saisie sur salaire, le tribunal tient compte d’un "reste à vivre". Il en est de même dans les dossiers de surendettement gérés par la Banque de France : si, à ma connaissance, le reste à vivre n’est pas scellé dans le marbre, les BdF en arrêtent un et veillent à ce qu’une famille, une fois déduits les remboursements de prêts, conserve un reste lui permettant (plus ou moins) de vivre. Les banques calculent ce reste à vivre en principe de la façon suivante : 700 à 1000 € par adulte, 300 à 500 € pour chaque enfant (j’ignore si ce chiffrage publié dans divers documents est réellement respecté). Enfin, le minimum vieillesse (ASPA) et l’allocation adulte handicapé (AAH) censés permettre à un individu de vivre (1012 € pour l’un, 1016 pour l’autre), proche du seuil de pauvreté (mais inférieur) et au double du RSA, sans qu’il n’ait jamais été expliqué pourquoi le RSA, revenu minimum, reste à un niveau si bas (sinon un semi-aveu signifiant que les titulaires du RSA ne sont pas destinés à rester sur la durée attributaires de cette allocation et qu’il importe de les pousser à accepter de travailler à n’importe quelles conditions).
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Sur ce blog Social en question, de très nombreux articles (sur un moteur de recherche, taper : faucoup mediapart pauvreté ou richesse ou inégalités ou fortune), dont :

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. Qui est riche en France ?, 14 juin 2022.
. Pour un revenu minimum à 900 euros, individualisé, 14 avril 2021.
. Rapport sur les riches en France, 9 juin 2020.
. Les inégalités en France, 6 juin 2019.
. Rapport sur la pauvreté en France, 7 novembre 2018.

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. La lutte contre la pauvreté en ordre dispersé, 22 septembre 2017.
. Les inégalités : que faire ?, 19 juin 2016.
. Sous-seuil de pauvreté : définir un "reste à vivre", 7 février 2012.

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Billet n° 806
Le blog Social en question est consacré aux questions sociales et à leur traitement politique et médiatique. Parcours et démarche : ici et là. "Chroniqueur militant". Et bilan au n° 700 et au n° 600. Le plaisir d'écrire et de faire lien (n° 800).
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