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Devenir triste. On ne voulait pas. D’accord pour vieillir. Mais surtout pas devenir triste, comme eux. Qui étaient ces porteurs de tristesse ? Nos vieux. Nos vieilles. Péjoratif, vulgaire, diraient d’aucuns. En oubliant Nos. Oui ; ils étaient à nous. Et on savait que ce n’était pas pour longtemps. La vie ne faisait pas beaucoup crédit sur ce bord du fleuve urbain. Rive Prolétaire.
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La poésie ne sauvera personne. Ni le monde, ni ses habitants. Et pas non plus la nature. Ce n’est pas son rôle. La poésie n’est pas une secouriste. Elle ne soignera pas un siècle sous respirateur et quasi en état de mort cérébrale. Aux humains de se démerder avec leur boue. La poésie n’est pas une infirmière.
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Enfin la case prison. François espérait être incarcéré. Grace a sa complice. Une jeune magistrate qui avait tout fait pour l’aider. Jusqu’à écrire des mensonges concernant son dossier. Au risque de perdre son poste. François volait dans les supermarchés. Pas le seul retraité à commettre ce genre de délit. Recrudescence de la délinquance en cheveux blancs.
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Six ans quand je me glisse sous ses draps. Ma mère dort profondément. Elle ne m’a pas entendu entrer dans sa chambre. Je descends sous les draps. Son souffle, le mien, son souffle… Nos deux respirations mêlées. Je me faufile entre ses cuisses. Pourquoi ? Parce que…Tu vois, ça, ce que je viens de te dire, je ne l’ai raconté à personne. Même pas à mes psys. Ni à mon fils.
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Rome ne s’est pas faite en un jour. Et pourtant, nous étions déjà dans le bâtiment, rajoutait le voisin avec un clin d’œil. Un rital et bien sûr maçon, toujours souriant. Sauf quand vous le regardiez sans qu’il ne vous ait vu. Son visage alors s'assombrissaIt, les sourcils froncés. Avant de croiser votre regard et sourire à nouveau. Le sourire d'un dos en miettes.
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Un voyage en classe Questions. Même si c’est immobile. Des individus à leur fenêtre sur le monde réel. Ou penchés sur l’autre en écran. Qui sont-ils ? Qui sont-elles ? Impossible de répondre précisément à cette question. Une population qui ne peut être figée dans un chiffre.
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Le titre est inspiré du mail d’un vieux copain.Habituellement guère enclin à étaler ses soucis. La pudeur des individus ne voulant pas rajouter leur douleur à celles de leurs contemporains.D'abord, la fatigue du corps. Cette solitude où se heurtent toutes les bonnes volontés ou empathies. Personne ne peut souffrir de l’intérieur à la place de l’autre. Quelle est la seconde fatigue?
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Le fruit de son ventre pend à une corde. Elle est seule dans la chambre de son fils. Immobile devant la fenêtre, elle interroge le ciel. Il voit tout, se dit-elle. Pourquoi n’a-t-il rien fait pour empêcher l’exécution de son fils ? Ni le ciel, ni personne n’a bougé le moindre doigt. Des hommes et des femmes, ici, là, plus loin, ont parlé, parlé... En vain. Elle ne croit plus au ciel. Ni aux mots.
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Guère un hasard si sa langue a fourché.« Nous étions des ados heureux et insouciants qui… On ne se doutait pas que nous vivions la queue de colère des trente glorieuses. Le début de la fin de la classe ouvrière rêvant de l’ascenseur social pour ses gosses. On s’est fait mettre profond. Une bande de naïfs croyant aux promesses..» La colère semble sa seule valeur-refuge.
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Dehors, l’hiver. Je pousse la porte. Dedans, une douce chaleur et musique. Difficile de ne pas le voir : un très gros livre à la couverture bleue. Une fille d’environ vingt-cinq ans y est plongée. Imperméable au monde. Attablée dans un bistrot de quartier sans télé ni radio. Que des visages à hauteur de visages. Avec ombres et lumières. Et sans « murs-écrans » entre individus.