Nous l’avons négligée. Cette autre Ukraine qui n’est pas montée sur les barricades, qui n’a pas suivi l’élan protestataire, les commentateurs cherchent à la réduire aujourd’hui à la question d’une hypothétique sécession d’une partie de l’Ukraine orientale.
Le Maïdan a gagné. Le président s’est enfui, les badauds affluent dans sa résidence hier encore gardée par les militaires pour se faire photographier dans les dorures. Le retour à la Constitution de 2004 qui rétablit l’équilibre des pouvoirs a été voté, les députés et les administrations passent peu à peu du côté révolutionnaire.
Pendant que certains d'entre nous ont les yeux rivés sur les descentes des pentes enneigées, la patience des manifestants à Kiev a atteint ses limites. Après presque trois mois dans la rue sans un centimètre de progression de la négociation politique, le débordement était inévitable.
Rarement on aura vu une protestation aussi photogénique. Neige noire mêlée de cendres, stalactites de glace donnant aux carcasses calcinées de voitures des reliefs inattendus, casques de chantier oranges des manifestants contre casques noirs rutilants des forces de l’ordre, flammes dans la nuit tombante, spirales lumineuses des cocktails Molotov. La bataille aux portes du Mordor dans toute sa force cinématographique.
Il y a quelques semaines, de jeunes Ukrainiennes sont allées offrir des fleurs aux soldats des unités spéciales qui gardaient les quartiers du pouvoir à Kiev. Le message était clair: ne faites pas usage de violence contre les manifestants opposés au régime en place. Les soldats de la division spéciale "Berkut" se sont déridés, les jeunes filles les embrassaient sur les joues
Il y a quatorze ans, je franchissais pour la première fois la porte du Comité des mères de soldats de Moscou. Nous étions en 2000 et la Russie était en plein boom économique.
Nous tous exilés à l’est de l’Europe, journalistes, diplomates, chercheurs, entrepreneurs, étudiants, baroudeurs, adorons échanger ces anecdotes de passages en France où l’on nous regarde comme si nous revenions de la planète Mars.