Hebdo du Club #80: De la «violence légitime» au sentiment d'impunité
- 30 janv. 2020
- Par Guillaume Chaudet Foglia
- Édition : L'Hebdo du Club
Le 5 janvier, Cédric Chouviat mourait suite à un placage ventral lors d’une simple intervention routière, preuve de plus, s’il en est, que l’usage excessif de la force dans la répression des mouvements sociaux dérive vers une violence d'intervention plus globale. Si ce climat insidieux ne découle pas forcément d'ordres précis, il trouvait déjà ses sources dans les répressions effectuées en banlieue depuis de nombreuses années.
Le contexte : les revendications sociales ne sont pas écoutées, les prérogatives des corps intermédiaires sont minimisés et seuls les débordements semblent pouvoir faire sortir les autorités du dialogue de sourds dans lequel il s'est engagé. Les déclarations officielles successives ont minimisé une forme de répression sociale en vertu de la doctrine de la «proportionnalité», censée expliquer les violences policières au regard des violences des manifestants, et ont tendu à conforter l’impunité des forces de l'ordre.
En ce sens, la parole publique des représentants qui tend à minimiser, excuser, voire à légitimer cette violence donne aux policiers un blanc-seing qui les autorise à s'affranchir de certaines limites. Les mobilisations sociales ont, en quelque sorte, été criminalisées par principe et les forces de l’ordre semblent désormais envisager les manifestants comme de possibles délinquants et se sentent alors incarner une défense légitime de la république en danger. Les récentes déclarations d'Emmanuel Macron sur « les discours politiques extraordinairement coupables » et « l'État de dictature » prolongent cet espace sémantique et mental qui met à nouveau au cœur des préoccupations du Club cette semaine les questions de «violence légitime».
« Celles et ceux qui portent cette violence, celles et ceux qui, avec cynisme quelquefois, l'encouragent, celles et ceux qui taisent tout reproche qu'il faut avoir oublient une chose très simple : nous sommes une démocratie. » Emmanuel Macron

Eric Fassin insiste également sur un point fondamental. Pour le président, la définition de la démocratie se réduit à un seul élément : l’élection. « Une démocratie, c’est un système politique où l'on choisit nos dirigeants.» À l’inverse, « Une dictature, c’est un régime où on ne change pas les dirigeants, jamais. »
Cet élément de l’élection à valeur de carte blanche, comme facteur de légitimation perpétuelle d'une politique à mener tout le long du mandat traverse également le billet d’Yvan Najiels Le bonapartisme macronien (ou quelle est la situation?).

Cette dimension de l'élection comme « chèque en blanc » est également présente chez Marc Evelyne Dumont dans un billet habilement titré, La bande de Möbius des mots présidentiels. La bande de Mobius est cette bande qui s’entoure sur elle-même et qui par un effet spéculaire se retourne sur elle-même. C'est sous cet angle que l'agrégé d'histoire analyse les dernières déclarations d'Emmanuel Macron : « Quoique l’on pense du Président, cet homme ne s’exprime jamais au hasard. Son intelligence est aigüe, affutée ; sa culture réelle et plus que solide. Lui dénier cela serait une erreur profonde [...] il reste que la bande de Möbius de ces mots, dans ce cas très particulier, se retournent contre celui qui les prononce.»

Petrus Borel, professeur de français en lycée, effectue également un travail d’analyse linguistique, mais cette fois du coté des medias en interrogeant la sempiternelle question « absurde et illégitime » : « Est-ce que vous condamnez la violence? » qui revient régulièrement sur les plateaux de télévision et dans les studios de radio. Il relève que le verbe « condamner » appartient à la catégorie des « performatifs explicites », là où on pourrait plus justement utiliser « désapprouver ou critiquer ». Cette façon de procéder met l' « interlocuteur dans une situation où il est amené à produire un acte de langage explicite. » Or, poursuit-il « la violence émane toujours d'un contexte particulier qu'il est nécessaire d'analyser pour pouvoir la comprendre. » Ce qu'il s'agit de condamner ici serait donc plutôt l'interrogation du journaliste : « C'est généralement la violence du dominé, celle qui s'exprime en réaction face à celle subie de la part des dominants sur laquelle les journalistes n'ont généralement que peu de questions à poser puisqu'elle est perçue comme légitime et généralement invisibilisée par les médias eux-mêmes. »

Toujours sur ces questions du traitement médiatique des violences, B. Girard re-publie opportunément un ancien billet consacré au thème où il s’étonne de « l’étonnante complaisance » des medias. Pour l'historien, les violences policières ne sont pas une chose nouvelle. Pour lui, si ces dernières semaines, ce thème a fait l’objet d’une attention particulière, on ne trouve nulle place d'une telle émotion dans « les enquêtes d’opinion montrant toutes un attachement massif de la population aux forces de l’ordre.»
« Chaque fois qu’une faute sera constatée, elle sera sanctionnée, mais elle doit être sanctionnée par un juge. Pas par l’opinion publique, pas par des vidéos dont on ne voit qu’une petite partie. Mais je voudrais quand même dire que les violences ne sont pas le fait des policiers ou des gendarmes. » Christophe Castaner

Cette présence plus importante des caméras dans l’espace public, si elles permettent de mettre au jour les violences policières n’en sont-elles pas la cause s'amuse très ironiquement C’est Nabum ?, ces fonctionnaires, usés, en effectif restreint, peu formés ne seraient-ils pas la recherche de leur quart d'heure de gloire Warholien ? : « Ces fonctionnaires qui jadis étaient gardiens de la paix sont devenus au fil des époques garants du maintien de l’ordre. Terrible et noble mission qu’ils doivent accomplir non seulement avec un salaire de misère mais dans un total anonymat. Ils ont perçu que les manifestations leur donnaient la possibilité de briller un peu en société, de se faire valoir auprès de leurs voisins et de leurs amis.» Mais comme l'évoque Leo Mira, si pour Castaner, les fautes policières ne doivent pas être jugées « par l’opinion publique », ni par les images, les jugements des policiers se font attendre tandis que les manifestants sont jugés par centaines en comparution immédiate : «Il aura fallu plus d’un an de violences policières, et leur cortège de mutilations et de décès, pour que le pouvoir, jusqu’à ce jour dans le déni, reconnaisse hypocritement ces agissements inqualifiables.»

En effet, le ministre de l’intérieur a annoncé dimanche le retrait d’une grenade de désencerclement explosive utilisée par les forces de l’ordre en France, et régulièrement accusée de provoquer de graves blessures parmi les manifestants. Pourtant, les tentatives d’interdire la GLI-F4 devant le conseil d’État avaient été jusqu’ici repoussées par le ministère, celui-ci ayant annoncé son intention d’écouler ses stocks, en dépit des blessés graves. Delphine 1988, aspirante au travail, dans une remarquable vidéo didactique, qui n'est pas sans rappeler l'esprit de L'île au fleur de Jorge Furtado, dénonce une belle opération d'enfumage : « N'allez pas croire que le ministre va désarmer ces policier, non la GLI_F4, va être remplacée par une autre la GM2L » dont la composition interroge et dont les risques de lésions auditives et cutanées demeurent. La même abonnée dans une autre vidéo petit guide à l'usage d'un débutant rappelle qu’un des premiers actes du gouvernement fut une commande de matériel anti-émeute et dresse un inventaire des armes et outils de la répression.
Romain Simon, souligne de son coté que « La vie de flic est difficile en France, comme la plupart des services publics la police et la gendarmerie sont aussi en souffrance. Les ordres donnés et la course aux chiffres sont régulièrement dénoncés comme par des agents des corps concernés.» Puis l'étudiant poursuit «le seul pardon ne suffira pas à l’apaisement.» des mesures techniques doivent être de toute urgence adoptées. «Ces armes de guerre ne sont pas destinées à maintenir l’ordre, tous les pays Européens l’ont d’ailleurs interdit à la police pour des missions similaires.»
« des gens extrêmement radicalisés dans la violence, dans des actions anti-démocratiques. Il y a des ennemis de la République » Jean-Michel Blanquer

Dans une lettre ouverte, le collectif du lycée Bonaparte, partage leur indignation car le déni dans lequel s'enferme leur ministre alors que de nombreuses oppositions s'élèvent : « "La violence entraîne une réaction", disiez-vous récemment, Monsieur le Ministre, aussi ne devriez-vous pas être surpris que les gens finissent par craquer. »
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