Le soleil se lève sur son histoire. Comme tous les jours depuis 94 étés. Sa journée sera semblable aux précédentes. Avec les mêmes gestes. Elle a toujours vécu ainsi. Dans le même endroit. Ses jours et nuits se succédant sous le regard muet du ciel. Ni heureuse, ni malheureuse. Satisfaite de pouvoir encore se nourrir et se déplacer. Qui irait agresser une solitude de son âge ?
D’abord la main gauche. La première à avoir déclaré forfait. C’était il y a deux ans. Les doigts recroquevillés et refusant de s’animer. Il les secouait. Chaque fois, il avait réussi à les réveiller pour pouvoir s’en servir. Accomplir sa tâche quotidienne. Jusqu’à ce matin où elle s’est absentée. Définitivement. Sa main droite vient de s'absenter. Un homme déshérité de ses gestes essentiels.
Par la bêtise d’en haut
.Certes brillante
Mais pas éclairante.
Des lampadaires auto-satisfaits.
De leur savoir.
Celui du verbe avoir.
Pas des phares.
Éclairer c’est une autre histoire.
Au-delà du haut et du bas.
Un autre débat.
Loin des mots creux.
Des phrases à la chaine.
Élément de non-langage.
Des bouches qui savent.
Sans saveur.
Ni sens.
Pas un jour sans une nouvelle femme dans mon sillage. Parfois plusieurs en une journée. Pourtant pas un beau gosse. Ni un séducteur. Sans le moindre humour. Pas non plus de belle situation, comme on disait dans le vieux monde. Et en plus, je suis infidèle non-pratiquant. Rien donc qui puisse générer un quelconque intérêt pour des suiveuses. Pourtant plusieurs à chercher le contact.
Chaque matin, son adieu au monde.
Pas sûre de le revoir , l’instant d’après.
Puis un large sourire.
Souhaite le bonjour au monde.
Quelle que soit leur espèce.
Un salut aussi aux arbres, aux plantes, aux fleurs…
Elle écarte les draps de la nuit.
Le corps entre deux rives.
Avant de se glisser
sous les draps du jour.
Encarté. Ce terme à peine lu que poétique s’y est accolé. En pensant à un certain nombre d’individus. Vivants ou morts. Des personnalités connues ou des personnes lambda. Pas que des auteurs et autres artistes. Tous et toutes dépositaires d’ histoires uniques. Mais avec quelques points en commun. Dont celui de ne pas penser en meute. Ni de pointer l’index à la demande.
L’horreur en tartine. Chaque jour trempée dans son café. Une habitude qui blinde ? Non. Chaque fois traversé par une profonde tristesse. Avant d’être envahi par un sentiment d’impuissance. Conscient de ne pouvoir servir à rien. Si ce n’est à essayer d'encaisser les horreurs servies par le radio réveil. Comme la noyade de douze migrants. Leur avis de décès entre météo et prestation d’humoriste.
Un homme qui avait honte. Des mots qui sortaient de sa bouche. Il aurait tellement rêvé en avoir d’autres. Des mots qui font beau et intelligent. Comme ceux que ses parents écoutaient dans un silence religieux. Des phrases sortant du transistor de la cuisine familiale. Et de la sacro-sainte émission littéraire du vendredi soir à la télé. Des mots plus hauts que lui ?
La perte d’un être cher est comme un exil. Sans la possibilité de retour. Comme pour cet homme qui parle. De sa fille morte. Quelques jours plus tôt, une femme évoquait son mari.Des mots de souffrance fort différents pour elle et lui. Mais un point en commun. Tous deux désormais sous le soleil des inconsolables.