Ne pas confondre « monter la garde » et « la garde montée ». Ici on n’a pas les chevaux pour de toute façon. Et puis d’ailleurs, la garde montée, vaut mieux pas passer derrière. J’ai encore jamais vu un flic descendre de son cheval avec son petit sac-à-crotte. Pourtant, c’est bien eux qui tous les étés affichent des pancartes menaçantes, annonçant l’ouverture de la « chasse aux crados ». Bizarre.
La nuit est tombée sur la Maison Internationale Populaire, qui jusqu’à preuve du contraire, vit sous le même régime solaire que le reste de la Terre : au rythme des saisons. De ça non plus, on ne fait pas sécession. Et, quand l’heure passant, les flammes du brasero ne discutent plus de nos joies et de nos peines avec le ciel, il reste encore fort à faire.
On compte les jours passés ici comme si on n’avait appris les chiffres rien que pour eux. 15, 16, 17, 18 et ça continue et c’est Noël tous les jours mais sans les cadeaux qui servent à rien et sans les militaires qui patrouillent dans la rue en foulant aux pieds les sans-abris endormis devant les vitrines illuminées. 19, 20, 21. Et ce qui est génial, c’est qu’on sait compter jusqu’à l’infini.
1 mai 2025 : La Maison Internationale Populaire sort de ses murs et marche en ville, le goût de ses mots plein les poches, écrits par dessus un dessin du lieu fait par ses enfants. Sur le tract, l’adresse est pas la bonne. On a changé d’entrée et c’est tellement grand que la première est à 5 minutes à pied de la deuxième. Y en a 500 à corriger. Nous aussi on a droit à la folie des grandeurs.
On tient le fort ! D'ailleurs, c'est pas vraiment un fort, puisque la porte est ouverte et que tu peux passer tous les jours. En plus le café est bon. En tout cas y a des fenêtres, le ciel au dessus de nos têtes et des enfants qui font du vélo dans le jardin. Un fort ou un centre aéré ? Y a des concerts dans les centres aérés ? « C'est compliqué, cette histoire. » Mais non. Passe, tu verras.
Au départ, il y a des gens venus de loin qui dorment dehors. Se promènent ensuite des citoyen.es qui ne tolèrent pas cette vision du tourisme. Ils ont en tête de grands bâtiments vides depuis bien longtemps. Iels se disent « Ces gens sont dehors, ces bâtiments sont vides. C’est pourtant aussi simple que 1+1 font 2 ! ».
Le jour se lève sur la ville. J’ai grimpé les marches une à une, sans en sauter une seule. Ne pas courir dans l’escalier. Du sommet de la bibliothèque, je respire l’air frais du matin. Aujourd’hui, c’est le dernier vendredi. Il fait beau. Je prends la route dimanche, pour commencer ma formation. Lundi, je serai à l’autre bout du pays, suspendu à une corde. Quitte ou double.
Ils ne vous oublient jamais. Sur la côte pour les fêtes, je passe devant les agences d’intérim de ma ville natale : « Urgent : mise en bourriche d’huîtres tout profil accepté ». J’ai déjà fait ça, ici. Depuis, ils me bombardent de sms et de mails tous les ans pour que j’y retourne. J’ai beau répondre « Stop » au 3636, comme indiqué, rien à faire. Le noël des uns fait le noël des autres.
Dans les toilettes de la salle de lecture, des flyers au sol. La planète en feu. « Dernière Rénovation » continuait sa campagne pour réclamer la rénovation des bâtiments vétustes. Ça m’avait retourné le cœur de voir tous ces efforts étalés sur le carrelage glacé alors je les avais ramassés. Aujourd’hui, les militants passent à autre chose ; et je travaille sur le chantier de la bibliothèque.
Trois mois d’intérim, et on m’envoie enfin sur ce que je demande depuis le départ: un chantier. C’est un désir très relatif car ce que je veux moi c’est écrire ; avoir mon propre chantier. Mais en attendant, le BTP est un compromis pas pire. Après tout, trois mois d’attente pour aller m’abîmer dans un accord un peu tiède entre moi-même et la réalité, c’est presque un privilège.