Arbre à gammes

Avoir honte de soi n’est pas une honte. Au contraire. C’est en quelque sorte l'ouverture d’un chantier. Excessif, mauvaise langue, vulgaire, agressif, con … Rares celles et ceux à qui ce n’est jamais arrivé. Toutefois, la honte n’excuse rien. Elle ne dédouane pas non plus des propos tenus et des actes commis. Qu’ils soient graves ou non. Mais avoir honte est l'ouverture d'un chantier.

Sans étoiles, ni aube en chantier. Quand les yeux s’ouvrent dès le matin sur une nuit. Bien ancrée sous sa peau. Présente dans chaque geste et acte, à chaque mot et silence. On peut l’ignorer ou tenter de la tenir en laisse. Refuser d’en tenir compte ou de l’anesthésier à coup de chimie. Dans tous les cas, ses crocs laissent des traces. Rideau sombre sur son abîme.

La haine est une colère qui a perdu la raison. Pas dans tous les cas. Parfois, elle n’est pas passée par la case colère. Et non plus par celle de la raison. La haine n'a peut-être pas d'oreilles. Mais elle parle beaucoup. Fort bruyante. Sa parole s'est extrêmement libérée. Refuser toute tentative de dialogue avec la haine ?

Réponse ouvre des yeux ronds. Excusez-moi de mon étonnement, mais bien longtemps que quelqu'un m'a demandé son chemin.Question lui montre son téléphone. Réponse sourit à nouveau avant de pianoter sur son portable. En effet, se dit-il, demander son chemin est une question qui ne se pose quasiment plus. Comme l’heure. Encore quelles questions de vive voix dans l'espace public?

Son mari est mort.Elle est triste. Avec une tête d’enterrement. Dedans, une petite fille. Elle sourit. Si longtemps dans l’ombre. D’abord de Papa et Maman. Se cachant sous les plis de son cœur. Quand passait l’orage Papa. Avec pluie de coups sur Maman. Un jour, elle est partie. Avec la petite fille inquiète. Toujours tapie dans l’ombre. Et double silence.

« À peine sorti de mon insomnie que ces connards me réveillent. Même pas une heure de sommeil. Un jour, je vais ouvrir la fenêtre et tirer dans le tas. Pas qu’eux que j’ai envie de buter. Y en a plein qui mérite de crever. Tous ceux qui emmerdent des gens comme moi. Nous, on est normaux. Pas des dégénérés. Du monde des vraies couilles. Et je suis fier d'être de notre bon village de Mon Ici.»

Un homme hurle sa souffrance sur une plage. Qui appelle-t-il ? Sa mère. Un demi-siècle plus tard, un autre homme dit ses derniers mots. Il s'adresse à sa mère. Deux hommes assassinés pour ce qu'ils étaient. L’un parce que poète homosexuel et engagé contre le fascisme. Le second car issu d’une «population à détruire». Et en plus, il était engagé dans le soin. Un secouriste de 23 ans.

Lumière se traîne. Comme percluse d’arthrose. Chacun de ses petits pas semble lui coûter. Elle avance en rasant les murs. Avec le moins de bruit possible. Elle n’a surtout pas envie de se faire repérer.La même inquiétude chez Intelligence, Pensée complexe, Nuance, Poésie, Doute, Ironie, Autodérision, Pensée contre soi…Nombre d’ennemis pour Lumière et ses alliés.

Nos histoires ont été arrachées au bord de l’aube. Nous ne verrons plus jamais le jour se lever ici. Ni ailleurs.Des dizaines de véhicules partout. Toutes les routes ont été bloquées. Une organisation parfaite. Le chantier de destruction mené très vite et avec une grande efficacité. Nous n’avons rien pu faire. Chacun enfermé dans sa solitude impuissante. Pendant l'arrachage de nos histoires.

Un crâne centenaire et voilé. C'est une femme toujours vaillante. Et avec toute sa tête.Femme funambule sur un fil de plus en plus ténu. Elle sait que le temps finira par avoir le dernier mot. Même si certains de ses proches ont l’impression c’est une femme indestructible. Petit bout d’histoire ne pesant rien sur la balance du monde. Mais présente.