En 1938 alors qu’ils vivaient à Pontarion, mes parents ont entrepris les démarches pour être naturalisés français. Ils s’y sont pris dès le mois de février. Cette année-là les événements qui se déroulaient en Europe prenaient une tournure de plus en plus désastreuse. Des gens de plus en plus nombreux se pressaient sur le sol français et le gouvernement Daladier a commencé à durcir les conditions de séjour comme l’attestent les décrets publiés au mois de mai qui réglementaient la situation des étrangers en France puis le décret-loi du 12 novembre 1938 qui prévoit l’internement des « indésirables étrangers ».
Mes parents sont devenus officiellement français au mois de juin. C’était une bonne nouvelle gâchée peu après lorsque ma mère apprenait que son diplôme de pharmacienne n’était plus valable.
Malgré ce contexte de guerre et de tracasseries administratives mes parents et mon frère Daniel menaient à Pontarion une vie que l’on peut qualifier d’agréable. Dès leur arrivée ils avaient embauché une employée de maison. Cette employée de maison, c’était Germaine Dufour qui habitait Grand Vallet, un tout petit hameau situé tout près de Pontarion. Mon frère m’a raconté que Germaine s’occupait beaucoup de lui, qu’elle était devenue sa nounou chérie. Un peu plus tard, en pleine guerre elle s’est occupée de deux cousines toutes petites. Quand je l’ai réellement rencontrée au point de discuter avec elle, j’ai pu apprécier son intelligence et son humanité. C’était une amie de la famille.
J’ai dit que Germaine était employée de maison mais ce n’était pas l’expression utilisée à l’époque, on disait bonne ou bonne à tout faire pour désigner celles qui occupaient un tel emploi. Ce n’était pas obligatoirement humiliant, cela dépendait de la considération qui leur était accordée. Dans mon enfance aussi il y avait des bonnes à la maison et souvent elles partageaient notre repas. Quelques personnes de l’entourage de mes parents réprouvaient ce type de comportement et tentaient de leur inculquer des manières plus conformes à leur statut.
Mes parents qui étaient très sociables n’ont pas tardé à nouer des relations amicales et chaleureuses. Mon père disait que sa connaissance de la langue roumaine lui permettait de comprendre le patois : c’était certainement un avantage dans l’exercice de son métier. Le patois, l’occitan pour être plus précis, était encore parlé avant la guerre dans cette région rurale. Les photos ne disent pas tout, mais celles que j’ai trouvées témoignent d’une ambiance heureuse. En particulier on y voit des creusois en compagnie de mes parents au pont de Châtelus-le-Marcheix et à la Rigole du diable.
Ainsi mes parents passaient de bons moments en bonne compagnie. Ils ont reçu des visites de membres de leurs deux familles. Je ne peux mettre de noms sur tous les visages mais je reconnais Jascha, tonton Jacques, le frère de mon père.Je sais que les sœurs de ma mère qui vivaient en Lettonie sont venues à Pontarion et je crois reconnaitre Sarah. Et puis il y a deux femmes dont je me souviens. Elles venaient nous voir à Bourganeuf ou nous leur rendions visite dans le midi de la France. Il y a Odette, excellente amie de ma mère : elles s’étaient connues à Montpellier. Il y a Renée que l’on retrouve à Aix en Provence en compagnie de mes parents et de Daniel en 1938. Renée était enseignante. J’ai retrouvé quelques-unes de ses lettres datées de cette période, et d’autres écrites plus tard, en particulier une qui m’était destinée personnellement alors que je n’avais que dix ans.
Mes parents ont emménagé au début de l’année1939 à Bourganeuf, petite ville qui n’était qu’à 10 kilomètres de Pontarion. Soutenu par la municipalité mon père devenait médecin de la « coopérative », l’Union des Coopérateurs du Centre. Mon père m’a souvent répété qu’il était arrivé à Bourganeuf comme médecin de cette coopérative. Je suppose que cela a eu de l’influence sur mon propre parcours mais je dois reconnaître que je ne savais pas en quoi cela consistait. Cette coopérative, l’Union des Coopérateurs du Centre, avait une filiale intitulée « Coopération et Travail », société de secours mutuels, qui employait mon père comme médecin. Entre autres tâches, il devait soigner gratuitement les réfugiés espagnols qui arrivaient nombreux à Bourganeuf.
Le 15 juin 1939 Irène, ma sœur voyait le jour à Bourganeuf : elle était née le même jour que mon père.
Ma grand-mère maternelle Zina est venue à Bourganeuf. On la voit sur une photo en compagnie de mon frère Daniel et de notre cousin germain Ariel, fils de Jascha, devant notre maison de Bourganeuf.
Elle a pris à temps le dernier train qui lui permettait de retourner à Riga. La guerre faisait rage en Europe. Peut-être qu’il aurait mieux valu qu’elle ne puisse pas retourner là-bas.
Cette maison que ma famille occupait à Bourganeuf était située avenue de la Voie Dieu. C’est cette maison qui était ma maison et que je retrouve encore dans mes rêves.
Dans la réalité elle nous était louée par Madame Filhoulaud. Il me semble que les Filhoulaud étaient propriétaires de l’usine de porcelaine que l’on apercevait de la fenêtre d’une de nos chambres.
De temps en temps j’accompagnais ma mère en bas de la rue des écoles, cette rue qui prolonge la rue principale et qui mène au collège et à la clinique. Nous passions sous un porche, il y avait quelques marches à monter et nous nous retrouvions dans une pièce où une très vieille dame nous attendait. J’imaginais, à juste raison, que ma mère payait le loyer. J’ai su beaucoup plus tard que ce loyer était dérisoire. Mes parents, comme nous tous dans la famille, rêvaient d’acheter cette maison. À la fin des années cinquante c’était dans leurs moyens. Mais « Chez les Filhoulaud, on ne vend pas ! ».
Mes parents ont fait construire une maison juste à côté de celle-là, ils y ont emménagé fin octobre 1967.
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