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Billet de blog 12 janvier 2016

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Vichy, la parenthèse, les indésirables (15)

Je n'avais plus envie de publier cette histoire ici par peur de l'incompréhension, par pudeur aussi et parce qu'il m'aurait fallu poursuivre cette histoire de mes parents au-delà de l'année 1940, travail difficile et douloureux. Ces derniers temps je crois que cela peut contribuer au débat sur la déchéance de nationalité...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lorsque mon père est revenu à Bourganeuf à la fin du mois de juillet 1940 il a repris ses activités de médecin. Au début du mois de septembre deux lettres sont arrivées à la maison, des lettres annonciatrices de difficultés.


 Préfecture de la Creuse

1ère Division

République Française

Guéret, le 2 septembre 1940

Monsieur le Docteur,

J’ai l’honneur de vous faire connaître qu’une loi du 16 août 1940 prévoit que nul ne peut exercer la médecine en France s’il ne possède la nationalité française à titre originaire comme étant né d’un père français.

 L’article deux de cette loi prévoit que sur la proposition du secrétaire général à la santé publique, un décret de Monsieur le Ministre, Secrétaire d’État à la Famille et à la Jeunesse peut autoriser ceux qui ne remplissent pas la condition prévue ci-dessus à exercer la médecine en France s’ils ont scientifiquement honoré leur patrie d’adoption ou s’ils ont servi dans une unités combattante de l’armée française au cours des Guerres de 1914 ou de 1939.

 En conséquence, j’ai l’honneur de vous prier, si vous le jugez utile de présenter une requête à Monsieur le Ministre, Secrétaire d’État à la Famille et à la Jeunesse et m’en adresser copie.

 Veuillez agréer, Monsieur le Docteur, l’expression de mes sentiments très distingués.

 Le Préfet,

Pour le Préfet et par délégation,

Le Secrétaire Général.

Signé illisible

Monsieur le Docteur Elman, médecin à Bourganeuf.


Cette première lettre, malgré la référence à la loi du 16 août 1940 qui prévoyait « que nul ne peut exercer la médecine en France s’il ne possède la nationalité française à titre originaire comme étant né d’un père français » laissait entrevoir un espoir. Mon père pouvait être autorisé à exercer la médecine puisqu’il avait servi dans une unité combattante de l’armée française au cours de la Guerre de 1939.

La lettre suivante a eu l’effet d’une douche froide. Mon père devait cesser immédiatement de travailler tant qu’il n’aurait pas reçu de dérogation.


Préfecture de la Creuse

1ère Division

République Française

Guéret, le 4 septembre 1940

Monsieur le Docteur,

Comme suite à ma lettre du 2 septembre courant, j’ai l’honneur de vous faire connaître que par télégramme de ce jour, Monsieur le Secrétaire Général à la Santé Publique me demande de faire appliquer strictement les dispositions du décret du 16 août 1940 relatif à l’exercice de la médecine.

En conséquence, j’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir suspendre l’exercice de votre profession en attendant que la demande de dérogation que vous avez dû adresser à Monsieur le Ministre de la Famille et de la Jeunesse ait reçu une réponse favorable.

Veuillez agréer, Monsieur le Docteur, l’expression de mes sentiments très distingués.

Le Préfet,

Pour le Préfet et par délégation,

Le Secrétaire Général.

Signé illisible

Monsieur le Docteur Elman, médecin à Bourganeuf.


Au tout début du mois de novembre mon père recevait, enfin, ses états de service dans l’armée française. Il y avait deux mentions à l’encre rouge :

-        « Était inscrit (sur sa demande en date du 29-12-39) sur le Tour de Départ aux Armées comme Volontaire ».

-        (du 16 au 25 juin 1940 – Zone des Armées – Note BSC – Dépôt 171 à Toulouse du 30 octobre 1940)

Quand la guerre avait éclaté mon père comptait bien se rendre sur les zones de combat mais on l’avait envoyé à Saint-Gaudens, loin du front.

Néanmoins le Capitaine qui avait rempli « l’état signalétique et des services » n’avait pas oublié de mentionner la courte période pendant laquelle mon père s’était retrouvé dans la zone des armées.

 Il fallait attendre que l’Administration indique la marche à suivre qui permette de tenter d’obtenir l’autorisation de travailler. Pour se faire une idée du climat qui dans le pays tout entier et par voie de conséquence celui qui régnait à la maison, il faut se souvenir qu’après les lois du 22 juillet et du 16 août hostiles aux étrangers l’Etat promulguait le 3 octobre une loi portant statuts des juifs suivie le lendemain d’une loi sur les ressortissants étrangers de race juive. Je cite l’article 1 de cette dernière loi : « Les ressortissants étrangers de race juive pourront, à dater de la promulgation de la présente loi, être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence. » C’est au cours de ce même mois d’octobre que l’Ordre des Médecins a été créé, que les syndicats ont été dissous et qu’il a été mis fin à la convention qui liait mon père à la société de secours mutuel.

(à suivre ici :  [16] )

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