À cette époque, les années soixante, tout cela semblait bien fini : la guerre, le régime de Vichy, l'occupation allemande. Je ne voyais pas ce qui pouvait poser problème. J’étais loin de me douter de ce qui allait m’arriver trente années plus tard avec le même acte de naissance, lorsque je chercherais à renouveler ma carte d’identité. Ce qui aurait dû me sauter aux yeux c’est que la nationalité de mes parents n’apparaissait pas sur le précieux document que je venais de récupérer et que leur absence de nationalité n’y figurait pas non plus.
Il y a ce manque, il y a ce qui est chargé de sens…
L’heure indiquée tout d’abord : la sage-femme, Madame Rogeron, devait attendre la fin du couvre-feu pour pouvoir se rendre à la clinique de Bourganeuf. C’est pourquoi je suis né exactement à six heures du matin. Ma mère avait su attendre jusque-là.
Madame Rogeron était la mère de Maria Auxemerry qui elle-même a été mon institutrice d’école maternelle. Maria était l’épouse d’un chef de la résistance, le commandant Châteignier, instituteur puis professeur d’éducation physique. Elle a écrit un livre qui s’intitule “ Faillite ”. Ce livre raconte la faillite de son couple sur fond de seconde guerre mondiale, de résistance au régime de Vichy et à l’occupant. Elle m’en a dédicacé un exemplaire dans les années soixante-dix.
« À Bernard Elman en souvenir d’une période pendant laquelle son père, sa mère et moi sommes passés par bien des angoisses alors que lui Bernard se préparait tranquillement à naître.
Bien affectueusement à mon petit élève de la maternelle – M. Auxemerry. »
À un endroit ce livre parle de ma mère et de mon père, de mon frère et de ma sœur. Maria avait changé les noms de lieux et les noms de personne, j’ai remis les vrais noms :
[…] Maria se rend dans la cellule de Madame Elman, la femme du docteur juif de Bourganeuf. Cette dernière est à un mois d'accoucher. La maternité l'a acceptée sous une fausse identité. Depuis deux ans son mari court la campagne, il est le médecin du maquis. Leurs deux enfants de sept et trois ans (en fait dix et cinq ans, B.E.) sont chez la mère de Madame Aubreton.
Maria va la trouver pour lui remonter le moral, tant elle a pitié de la triste condition d'être juif, en ce moment.
Madame Elman est couchée. A chaque explosion qui s'entend, elle sursaute. Alors Maria parle d'autre chose que de la guerre.
« Où en êtes-vous de votre tricot ? Comment appellerez-vous votre bébé ?
A évoquer cette naissance attendue, la situation périlleuse s'oublie, tant ce qui est la vie a de force. (p. 275)
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