Je suis né dans la Creuse à Bourganeuf. C’était le 10 août 1944. Bourganeuf est une petite ville de province, dans le Limousin.
Alors qu’elle était enceinte ma mère s’était cachée dans la clinique de Bourganeuf sous une fausse identité. Elle y est restée presque deux mois. Sur sa vraie-fausse carte d’identité on pouvait lire qu’elle était née dans le Calvados et qu’elle avait épousé un Corse du nom de Delmonti, mon père.
Le 14 juin 1944 Monsieur Partyka était venu chercher ma sœur Irène et mon frère Daniel avec sa carriole tirée par un cheval. Il les emmenait dans sa ferme pour les mettre à l’abri. Irène n’était pas contente parce que le 15 juin on aurait dû fêter son anniversaire. Je pense que c’est à ce moment-là que ma mère entrait dans la clinique. Quant à mon père, je ne sais pas exactement où il se trouvait, peut-être là où il travaillait, là où il était ouvrier agricole.
Les troupes alliées avaient débarqué le 6 juin, le jour J, et elles avaient livré bataille aux troupes allemandes en Normandie jusqu’à la fin du mois d’août. Le 7 juin 1944 l’Armée Secrète, les FTP et d’autres groupes de résistants libéraient Guéret puis deux jours après les allemands (on disait les boches) reprenaient la ville. Les combats ne cessaient pas. Le 9 juin trente-et-un maquisards étaient massacrés tout près de Bourganeuf à Combeauvert. La région était particulièrement dangereuse.
De la mi-juillet au 24 ou au 25 août une garnison allemande était installée dans l’école primaire supérieure qui est située juste à côté de la clinique. C’est un collège maintenant.
Quand j’ai fait mon entrée dans le monde cela faisait presque un mois que les Allemands occupaient la ville. Quelquefois, plus tard, ma mère me disait que c’étaient mes cris qui les avaient fait partir. C’était flatteur. J’aimais bien quand elle me le disait avant de m’embrasser en me chuchotant « zolotko ». J’étais content qu’elle me considère comme un petit héros, content qu’elle me manifeste de la tendresse de cette façon. Je n’ai jamais cru que mes cris aient pu jouer un quelconque rôle dans la libération du territoire. J’ai malheureusement sous-estimé longtemps l’étendu des combats qui étaient livrés dans ce coin de la France profonde et j’ai eu tort.
Il y a encore des gens qui se souviennent : ceux-là sont de moins en moins nombreux. Il y en a qui se souviennent des histoires que d’autres ont pu leur raconter. Il y a des stèles, il y a des papiers, des archives, quelques livres…
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