À l’école primaire, une autre fois, c’était en CM2, le jeu principal pendant la récréation consistait à se taper dessus entre “ boches ” et français. Personne ne voulait être “ boche ”, c’est le sort qui décidait. Deux meneurs avançaient en cadence l’un vers l’autre alors qu’un troisième scandait « chou-fleur, chou-fleur », cela jusqu’à ce que l’un marche sur le pied de l’autre : à lui le privilège de choisir son camp et de commencer à former sa troupe. Il décidait invariablement que son armée était française.
Lorsque les équipes étaient constituées les hostilités commençaient. Nous étions armés de matraques faites de cache-col torsadés. On se tapait dessus avec entrain quand l’un de mes adversaires au lieu de me crier « Sale français ! » m’a crié « Sale juif ! ». J’étais interloqué. Je ne comprenais pas pourquoi il me traitait de la sorte. Il m’a fallu l’écrire des années après pour réaliser qu’il ne sortait pas du tout de son rôle de « boche ». Toujours est-il que lorsque je suis arrivé chez moi j’ai raconté ce qui m’était arrivé à ma mère. Elle m’a fait répéter plusieurs fois le nom de mon adversaire d’une récré. Et elle m’a dit que c’était impossible, qu’il n’avait jamais pu dire ça.
– Pourquoi maman ?
– Parce que ses parents nous ont aidés pendant la guerre. Tu es sûr de ce qu’il a dit ?
– Oui, il a dit : « Sale juif ! »
– Alors ce n’est pas lui.
– Si, c’est vraiment lui, je t’assure maman, il m’a dit « Sale juif ! »
Je n’étais pas spécialement affecté par le fait d’avoir été traité de cette manière. Par contre j’aurais bien aimé savoir de quoi il retournait. J’aurais bien aimé que ma mère me dise si je l’étais ou non, et si c’était le cas en quoi cela consistait. Mais elle avait les larmes aux yeux et on passait à autre chose.
(À suivre : [ 4] )
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